9. Interrogatoire (2)

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A peine Bellamy avait-il fermé sa porte et posé les clés sur la table du salon, que la sonnette retentissait en écho dans la maison vide. Il frissonna. Ce son avait quelque chose de désagréable à l'oreille. Pieds nus sur le carrelage frais, il enfila rapidement ses pantoufles et posa la main sur la poignée. Son cœur battait plus vite. Il avait un mauvais pressentiment, et il sentait que son hôte aussi.

Les clés tournèrent, il appuya sur la poignée et la porte blanche s'ouvrit lentement.

- Bonjour monsieur.

C'était le visage d'une femme à moitié souriante qui s'adressa à lui.

- Je vous prie de m'excuser.

Longs cheveux noirs, yeux sombres et lèvres charnues, elle lui présenta un papier, qu'il réussit à déchiffrer seulement en clignant des paupières.

- Torielle Perkins, du Service de Protection.

Son cœur manqua un battement, et Torielle remarqua son embarras. Menton levé, elle acheva :

- J'aurais quelques questions à vous poser.

Bell la fit rentrer, se sentant coincé dans une impasse sans issues. Torielle monta le perron avec ses talons aiguilles et son pantalon large qui traînait presque sur les marches.

Après plus d'un jour entier à tourner en rond, elle avait eu le courage de retourner ici. Dans cette rue. Même après l'accident de la dernière nuit. Elle ne l'avait d'ailleurs pas revu, heureusement. Il n'y avait toujours pas la voiture bleue, mais Torielle se souvenait très bien du garage où elle avait été garée. C'était chez ce jeune homme qu'elle suivait depuis ce matin. Jusqu'ici, il ne lui avait pas appris grand chose. Il était temps d'utiliser les grands moyens.

De son côté, Bellamy la regarda s'installer sur le canapé de son salon avec son allure svelte et sa démarche assurée qui le faisait trembler de peur. C'était pour Tina, cela ne faisait aucun doute. Comment avait-elle su ? Était ce à cause de la voiture ? Si le Service de Protection commençait à s'en mêler, ils étaient mal tous les deux.

- Tu devrais lui dire la vérité, lui souffla alors son hôte.

Bell avait toujours du mal à s'habituer à entendre quelqu'un parler dans sa propre tête. D'ordinaire, on aurait pu considérer cela comme une maladie. Étant en fac de médecine, il était plutôt renseigné sur la question.

- Hors de question ! Tina compte sur moi, répliqua Bell en essayant de ne pas parler à voix haute.

- Elle n'a rien fait de mal, ils ne lui feront rien.

Il avait une voix très douce, mais cela ne suffisait pas à rassurer son pilier pour autant.

- Je ne veux pas qu'elle se retrouve en difficulté à cause de moi.

- Je pourrais lui dire moi.

Bellamy frissonna, tout en marchant avec raideur pour s'installer aux côtés de l'agent qui avait fait irruption dans sa maison.

- Si tu prends sans autorisation le contrôle de mon corps pour me trahir, je ne te le pardonnerai jamais.

L'hôte se tut, mais Bell n'était pas du tout serein. La femme lui souriait, mais il avait la gorge tant nouée qu'il manquait d'air. Assis côte à côte sur le canapé du jeune homme, l'ambiance était aussi lourde que si le ciel menaçait de tomber. Il essayait de ne pas montrer son embarras, mais Torielle était bien trop expérimentée pour ne pas le remarquer. Elle contenait sa joie, enfin elle tenait quelqu'un qui pourrait l'aider.

- Ce ne sera pas long, ne vous en faites pas.

Bell hocha la tête, sans un mot.

- Voyez vous, poursuivit-elle avec une aisance déconcertante, je travaille sur une affaire importante, et vous êtes le parfait témoin.

- Ah oui ? feint-il de s'étonner.

Elle posa ses mains sur ses genoux croisés, sourire aux lèvres :

- Avez vous plusieurs voitures, monsieur...

Il s'empressa d'ajouter :

- Corton.

Elle acquiesça. Bellamy s'inquiétait, elle abordait directement le sujet et ne s'embêtait pas avec les métaphores. Il songea qu'il était inutile pour lui de mentir à ce stade là. Si elle avait vu la voiture, il était bien trop tard.

- Et non, je n'ai qu'une seule voiture.

- Bleue ?

- Non.

- Alors que faisait la petite voiture couleur ciel garée devant votre garage la nuit dernière ?

Bell déglutit. Maintenant il était temps de mentir, avec la plus grande aisance possible, et en espérant que 76 205 tienne sa langue.

- Je vous avoue que je n'en ai pas la moindre idée. Je dormais et j'ai entendu du bruit. Lorsque je me suis levé pour voir ce qu'il se passait, j'ai juste vu la voiture sortir de chez moi et repartir.

Torielle savait qu'il mentait. Non pas parce que ses mains tremblaient et s'enroulaient sans cesse entre elles, mais parce que si la voiture était repartie dans la nuit, elle l'aurait entendue. Même si elle était avec lui.

- Savez vous à qui appartient cette voiture ? Une personne du quartier peut-être ?

- Non je ne l'avais jamais vue.

Torielle hocha gravement la tête. Bellamy dégoulinait déjà de sueur. Si ces questions se répétaient encore longtemps, il n'était pas sûr de tenir.

- Avez vous alors pu identifier quelques chiffres de la plaque d'immatriculation ?

Il haussa les épaules.

- Il faisait nuit et la rue est mal éclairée.

Torielle se tut un moment, recherchant d'autres questions, ou méditant sur celles déjà posées. Bell en profita pour jouer les innocents :

- Est ce que je peux vous demander en quoi consiste cette enquête ? Étant donné que je suis interrogé.

Torielle releva la tête, faisant danser ses mèches luisantes sous le soleil des baies vitrées.

- Un délit de fuite après accident matériel, rien de bien sérieux.

Bellamy se demanda alors si elle était vraiment au courant qu'une fusion illégale avait eue lieu, ou si elle ne pensait qu'à un simple accident.

- C'est pour cela que tu devrais lui dire ! insista son hôte aux yeux bleus.

- Elle m'a l'air d'être très maligne. Je ne veux pas m'aventurer sur un terrain glissant.

Torielle se leva alors du canapé.

- Je vous remercie d'avoir répondu à mes questions, mais avant de partir, pourrais-je emprunter votre salle de bain ?

Bell hocha la tête déconcerté et se leva pour lui indiquer le passage.

- Bien sûr, par ici.

Une fois seule, Torielle referma la porte des toilettes et dirigea immédiatement son regard vers le miroir accroché au dessus du lavabo. Que devrait-elle faire ? Creuser un peu plus de ce côté ou laisser ce jeune homme tranquille alors qu'il semblait être un puit de réponses ?Mais elle n'avait aucune preuve concrète pour le mettre devant le fait accompli, et elle n'allait quand même pas le menacer. Elle trépignait. Elle avait tellement hâte de terminer cette affaire. De trouver cet anti-hôte, d'enfin réaliser son rêve.

Lui qu'elle attendait depuis si longtemps.

De son côté, Bell faisait les cent pas dans l'entrée, attendant impatiemment le moment où elle repasserait l'encadrement de sa porte. Il pourrait enfin souffler. Et pourtant, avant même que Torielle ne soit sortie de la salle de bain, il tourna brusquement la tête.

Quelqu'un venait de toquer vivement à sa porte.

L'ANTI-HÔTE [Partie 1] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant