10- Loup

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Depuis maintenant deux semaines, je suis pris d'une fureur compulsive qui bouillonne en moi et qui me tient en alerte

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Depuis maintenant deux semaines, je suis pris d'une fureur compulsive qui bouillonne en moi et qui me tient en alerte. Elle dirige mes pas. Comme si j'avais un radar intégré, mon instinct me guide aveuglément vers elle à chaque fois qu'elle gravite dans mon univers. Telle une lune inaccessible, je ne peux m'empêcher de lui courir après. Elle est empreinte d'une aura destructrice qui balaye tout sur son passage. Moi le premier, et je déteste l'effet qu'elle me fait.

Je pensais être parvenu à passer à autre chose, plus personne ne parlait d'elle dans la bande. Personne n'osait même évoquer son prénom. Les copains ne savaient pas pourquoi notre histoire avait pris fin si subitement — seule Coline a été mise au courant, mais bien plus tard —, mais ils semblaient avoir capté qu'il ne fallait pas ramener le sujet devant moi. Ce n'était pas bien difficile à comprendre d'ailleurs, à chaque évocation de cette fille, je partais dans des éclats de fureur incontrôlables. Ca les faisait marrer au début de me voir m'emporter et être hors de moi, mais le pain dans la gueule de Grégory, il y a de ça quelques années, a dû fortement aider à me lâcher les baskets.

Je n'avais plus entendu parler d'elle jusqu'à ce fameux vendredi, il y a quinze jours. C'est ce jour-là que Jodie m'a donné la liste des futurs stagiaires, à la fin d'une réunion. À peine ai-je posé les yeux sur la feuille que je n'ai plus vu que ça. Semblable à une enseigne aux néons clignotant dans la nuit et attirant tous les regards, son nom étincelant scintillait au milieu d'un brouillard de lettres aléatoirement positionnées sur le bout de papier. Incapable de poser mon regard ailleurs sur la feuille blanche, ces symboles encrés envahissaient mon esprit. Je n'ai plus vu que ça et je me suis laissé emporter dans un tourbillon de souvenirs. J'ai chiffonné la feuille et l'ai fourrée au fond de ma poche, tentant d'échapper à ce que je ressentais comme une agression. Suite à cette entrevue, j'ai été d'une humeur exécrable durant quarante-huit heures. Ce n'est que le dimanche soir, chez Léo, où les gars ont réussi à me tirer les vers du nez, après avoir passé deux jours dans un état alcoolisé proche du coma éthylique. N'arrivant pas à expliquer avec des propos cohérents ce qui me tourmentait, j'ai sorti la feuille pour leur montrer. Quand ils ont lu le nom écrit en toutes lettres que je leur montrais tant bien que mal, les cons n'ont rien trouvé de plus intelligent que de me piquer mon téléphone pour composer son numéro. Ils espéraient peut-être qu'en crachant tout mon ressenti à cette fille, ça m'aiderait à passer à autre chose. Mais ça n'a fait qu'attiser les braises de fureur qui se consument en moi.

Après notre duel aux fléchettes et le concert du lendemain, je pensais que son état d'agacement avait atteint son paroxysme, je m'attendais à ce que nos confrontations aillent crescendo. Cela fait une semaine que je lui tourne autour, tel un prédateur jouant avec sa proie avant de lui asséner le coup fatal. Mais malgré mes allusions venimeuses, elle reste entièrement hermétique. Sa bouche reste définitivement close et cet air préoccupé sur son visage terne ne la quitte plus. Cette ride soucieuse au milieu de son front semble être gravée dans sa peau diaphane.

J'espère que l'autre connard ne l'a pas menacée de mettre son stage en péril. Je n'aurais peut-être pas dû m'attaquer à lui mais je n'ai pas supporté de les savoir enfermés tous les deux dans cette pièce, percevant ses gémissements à travers la porte. Je me suis imaginé je ne sais quoi et je ne pouvais endurer cette vision. Quand je pense qu'il est venu me trouver pour me faire la morale après ça. Que s'il devait être témoin d'un nouvel échange, du même genre que celui de samedi dernier, il en référerait à Jodie. De quoi se mêle-t-il, ce con ? C'est entre elle et moi. Et j'avoue que même si elle a attaqué là où ça fait mal, j'adore son mordant lors de nos échanges. Je préfère la voir hargneuse et emplie de fureur comme la semaine dernière, plutôt que d'affronter ce spectre fébrile qui a déambulé dans les couloirs toute cette semaine. J'ai enfin quelqu'un contre qui déverser toute ma rancoeur sans que l'on me fasse culpabiliser sur mon attitude. J'ai des comptes à régler, et elle n'a que ce qu'elle mérite. Après la façon dont elle m'a traité il y a cinq ans, elle n'aura droit à aucun égard.

Black MoonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant