16- Sybille

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Assise sur ma chaise, je commence à piquer du nez à cause de mon inactivité

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Assise sur ma chaise, je commence à piquer du nez à cause de mon inactivité. Les clients se font rares ce matin. J'ai donc tout le loisir de repenser aux paroles que Loup a proférées en début de semaine. La souffrance qui transparaissait sur les traits de son visage me hante chaque nuit. La culpabilité étreint mon cœur et les cauchemars sont devenus mon lot quotidien. Leurs souvenirs planent au-dessus de moi, signe de mauvais augure à l'instar de cette chouette qui est venue se poser sur le rebord de ma fenêtre le week-end dernier.

À l'époque, j'avais cru comprendre que tout n'avait été que jeu pour lui. Mais comment, alors, expliquer la douleur qui semble le plonger dans un profond désarroi ? Et si ses sentiments avaient été réels et qu'il n'avait toujours pas fait le deuil de notre relation ? Il semble prisonnier de ses souvenirs passés et incapable de se libérer.

La sonnerie du téléphone me sort de mes pensées.

— Sybille, caisse 14, j'écoute.

— Sybille, tu peux prendre ta pause maintenant. Il n'y a pas grand monde, profites-en.

— Merci.

C'est vrai que c'est calme ce matin. Tout ce temps libre me plonge en apnée dans mes réflexions qui parasitent mon cerveau. J'ai besoin d'avoir l'esprit occupé pour me focaliser sur des tâches simples. Prendre un article, tourner, bipper, passer, recommencer. Le genre de gestes robotisés en chaîne qui accaparent mon quotidien, ici. Je préfère être active à mon terminal de caisse plutôt que de me retrouver en pause face à ma solitude et mes pensées envahissantes. Quelle matinée morose. J'en suis même à espérer apercevoir ma petite mamie préférée — Madame Mougeon — pour qu'elle vienne me parler de ses exploits sexuels avec son défunt mari Joseph. Tout pour me sortir l'autre énergumène de la tête.

— Bonjour, Simone.

Je me redresse et tout mon corps se tend. Je ne l'ai pas vu arriver celui-là. Ce timbre de voix, grave et écorché, que je connais par cœur maintenant ne me fait plus sursauter. Il s'immisce en moi et m'oblige à rester sur mes gardes. Il faut évidemment que je pense à lui pour qu'il apparaisse devant moi. Alors que je fais tout pour l'oublier. Il s'accoude à l'extrémité de ma caisse et pose son menton dans ses mains. Son sourire forcé me laisse présager le pire si je reste en sa compagnie. Peut-être qu'aujourd'hui, m'échapper de cette place m'aidera à me changer les idées.

Après avoir éteint l'enseigne lumineuse pour signaler aux clients fantômes la fermeture de ma caisse, j'ignore Loup qui est toujours accoudé au même endroit et qui ne me quitte pas des yeux. Je récupère mes affaires personnelles et je m'engage dans le passage menant au magasin. Comprenant que je lui tourne le dos et que je tente de m'enfuir, il s'élance à ma suite en sautant par-dessus la barrière que je viens de fermer pour bloquer l'accès à ma caisse. Il évolue d'une démarche nonchalante à mes côtés, tout en gardant le regard braqué droit devant lui. Son allure désinvolte a le don de me hérisser le poil. Il faut que j'échappe à sa présence, mais ce n'est pas évident quand il me suit à la trace en susurrant ses syllogismes puérils.

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