32-Sybille

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Après avoir récupéré les différentes parties de mon téléphone éparpillées sur le lino douteux du couloir, je me redresse lentement sans jamais lâcher des yeux le couple qui s'éloigne

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Après avoir récupéré les différentes parties de mon téléphone éparpillées sur le lino douteux du couloir, je me redresse lentement sans jamais lâcher des yeux le couple qui s'éloigne. La dame ne semble pas m'avoir reconnue. Je ne peux malheureusement pas en dire autant. Même si je n'ai pas eu l'occasion de la voir souvent, je me souviens parfaitement de ses traits sévères et de son regard noir. Le même qui vient de me lancer des éclairs. Tout dans son allure transpire la sévérité. La raideur de son corps, son chignon gris trop serré dont aucun cheveu ne dépasse, le claquement de ses talons sur le sol, l'austérité de sa tenue, les effluves âpres qui flottent dans les airs après son passage. Mais le pire, c'est cette voix. Cassante, froide, sèche. Je ne peux pas oublier ce timbre autoritaire que j'ai trop souvent entendu malmener Loup. La colère bouillonne en moi et l'envie irrépressible de lui sauter dessus me démange les doigts. Je dois faire preuve de volonté pour ne pas risquer un esclandre dans cet hôpital.

Bon à rien. Minable. Raté. Erreur. Crétin. Incapable.

Par dessus les critiques qu'elle lui assénait quotidiennement, des cris du passé — les siens — reviennent me hanter tels les mugissements du vent qui se mêlent aux éclats des flots contre les rochers en pleine tempête. Le spectre angoissant de ma jeunesse me cloue sur place et s'infiltre en moi, entravant toute pensée cohérente. Mon cœur se comprime dans ma poitrine. Une douleur aiguë et lancinante m'arrache une grimace. Ma vue se brouille et je ressens des vertiges. J'ai la sensation qu'un trou béant s'ouvre sous mes pieds pour m'engloutir dans les ténèbres. Ces mêmes ténèbres qui planaient perpétuellement au-dessus de nous lorsqu'on était adolescent et qui ont fini par nécroser son âme. Ce n'est que lorsque la porte claque au bout du couloir, que je retrouve mes esprits. Comme si le courant d'air provoqué par la fermeture emportait avec lui les fantômes d'autrefois. Je prends une profonde inspiration. Je ne m'étais pas rendue compte que j'avais cessé de respirer. La chape de plomb qui m'enserrait le cœur s'effrite et je retrouve la pleine maîtrise de mon corps et de mes pensées.

Loup. Il faut que je le retrouve. Un bourdonnement enfle au fond de ma poitrine, symbole d'un présage funeste. Tout en me précipitant vers la salle d'attente où je me trouvais ce matin, j'allume mon téléphone espérant qu'il ait tenté de me contacter. Cet objet de malheur a-t-il toujours été aussi lent, ou est-ce moi qui suis particulièrement impatiente à cet instant ?

En arrivant à destination, je ne vois pas l'once d'une mèche blanche parmi les chevelures poivre et sel présentes. Une multitude de paires d'yeux mornes me fixent avec étonnement. Mon allure doit faire peine à voir. Le visage rougi par l'effort, les mèches de cheveux sauvages entortillées par l'humidité de la matinée, le regard affolé, le pantalon trempé.

Mais où es-tu, Loup ?

Plus les secondes défilent et plus la panique gonfle dans ma gorge et risque de me terrasser. Je ne réussirai pas à m'apaiser tant que je n'aurai pas eu la certitude qu'il se porte bien. Tout en tentant de l'appeler une nouvelle fois, j'accélère le pas dans les différents corridors de l'hôpital, jusqu'à me retrouver à sprinter. Les sonneries s'éternisent dans le haut-parleur et finissent par basculer inlassablement sur son répondeur. Je dévale les escaliers, je déboule dans les couloirs comme une furie sous le regard courroucé des secrétaires médicales. Leurs réprimandes glissent sur moi sans entacher mes recherches. On ne court pas. Moins fort. Silence. Du calme.

Black MoonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant