ÉPISODE 64

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13 : 00

Les escaliers m'ont jamais paru aussi longs. Je sais pas si c'est parce que j'suis claqué à mort ou alors simplement parce que ça fait longtemps que j'les ai pas utilisés. Ma piaule étant au premier étage, c'est rarement que je m'aventure au second. Enfin, j'ai pas d'boulot en haut quoi. Grand max, c'est pour la salle de bain qui s'y trouve. La douche est plus spacieuse. Le problème c'est qu'elle est toujours envahie par mes petites sœurs.

Mais là, maintenant, c'est ni pour la douche ni pour les chiottes que je gravis ces marches. En vrai, là, c'est carrément pour autre chose. Je souffle, deux doigts pinçant mes lèvres gercées. Un bout de peau s'arrache par accident. Putain, ça brûle.

Ma mère ouvre doucement la porte grinçante de sa chambre et je m'invite moi-même à y entrer. Oklm. J'entends mes pieds nus taper contre le parquet. Y a l'odeur de ma génitrice qui se dégage de cette pièce. C'est la première chose qui me frappe. Puis j'peux que la trouver apaisante, à cette odeur. Depuis que j'étais gamin, elle a pas changé d'parfum. Je veux pas qu'elle le change, en fait.

— Oh regarde moi ça ! Zoé a encore volé mon maquillage ! Ah cette fille, cette fille... se plaint-elle.

Je sais pas quoi répondre. Mon cerveau enregistre à peine ce qu'elle m'raconte. Façon, j'comprends toujours pas pourquoi elle m'a obligé de venir ici. Mon lit était l'unique truc que j'désirais. Sauf que voilà hein, ma mère voulait « parler ». De quoi, ça j'l'ai pas encore découvert. Et j'vais pas tarder à l'découvrir.

— Oui ? je lui demande, toujours debout à la même place.

— Oh Seigneur... marmonne-t-elle, en fouillant dans le tiroir de sa commode. Ferme la porte mon chéri, ferme la porte...

— Pourquoi ? Tu veux m'parler de quoi ?

Le silence est perturbé par les affaires qui se bousculent dans ce tiroir. Mais... elle cherche quoi en vrai ? En tout cas, elle répond pas à ma question. Je ferme la porte, après m'être assuré que personne est dans les parages. Grande famille, tu connais. Les oreilles curieuses, c'est pas ce qui manque dans ce foyer.

Normalement, mes sœurs et le démon — Daniel — dorment encore à 13 : 00. Mais ça, on peut jamais en être tout à fait sûr.

— Tu as fermé la porte ? Oui, assieds-toi, pourquoi tu restes debout ? elle m'ordonne de sa voix très douce, en me désignant le lit double.

— Bah... ok.

Le matelas rebondit sous mon geste et j'suis jaloux parce qu'il est plus confortable que le mien. Wo, ça donne envie de dormir. Alors j'ferme les yeux quelques secondes. Et quand je les ouvre de nouveau, ma mère se coiffait devant le miroir sali par de p'tites taches noires.

— Sonia, tu veux m'parler d'quoi ?

À travers la glace, j'aperçois son visage 100% neutre. Aucun sourire, aucune grimace, aucune expression particulière. Du Sonia tout craché, quoi. On sait jamais à quoi elle pense, ni ce qu'elle ressent, ni ce qu'elle aime, ni ce qu'elle aime pas. Cherchez pas, même moi j'ai jamais compris comment elle fonctionnait.

Ses mains traversent ses cheveux blonds, avant de les regrouper pour former un chignon sans défaut. J'observe ses mouvements. Son poignet fin qui tourne deux fois, ses épaules, la cicatrice qui disparaissait sous son haut rose. Dans ma poitrine, les battements sont bizarres. Ouais bizarres. Genre, j'ai l'impression que... argh, j'ai cette boule au ventre vous voyez. Normal.

Non mais parce qu'il faut savoir que, « parler » avec ma mère ? C'est pas commun. On va pas s'mytho. Elle me pose jamais de questions, pas car elle s'en fout d'ma vie, mais elle sait qu'elle aura jamais de réponses exactes. Elle me connaît et elle sait que c'est pas contre elle. J'ai juste rien à dire, frère.

LUCAS, l'insomniaqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant