En retard, le souffle saccadé, le sac en bandoulière frappant frénétiquement ma hanche, j'arrivais dans la ruelle sombre éclairée par le croisant de lune qui décorait le ciel. Maintenue avec un reste de parpaing, je tirai avec force la porte d'un vert écaillé, pour me glisser dans le faible entrebâillement. Résonnante et vibrante elle claqua de tout son poids lorsque je repoussai le petit bloc de béton. Un frisson saisissant parcourut mon échine, un retour en arrière n'était plus possible.
L'excitation était palpable, les couloirs étroits animés par mes partenaires presque prêts, je me faufilais entre les artistes en tout genre, en ayant l'étrange sensation d'être dans "Birdman", empruntant la peau de Michael Keaton. Sauf que je ne renouais pas avec une notoriété perdue, mais avec un passé profondément oublié.
Le cagibi qui me servait de loge semblait m'attendre depuis de longues années. L'ampoule flottante recouverte de poussière n'éclairait plus vraiment, les murs constellés de mots écrits d'une main parfois lisible, parfois poétique ou insensée m'encourageaient avec une ferveur presque mystique. Le corps calfeutré dans ce faible espace insolite, je jetai mon sac sur la petite table, sur laquelle s'entassaient les objets nécessaires à ma préparation,majoritairement composé de maquillage tandis que mon costume pendait sur un cintre, accompagné de quelques accessoires. Coutumiers, ils me permirent de retrouver mes marques avec une aisance confortable.Je les avait touchés, senti pour m'imprégner le plus possible de l'être qui m'attendait.
Enfilant un serre-tête pour faire disparaitre la racine de mes cheveux, je teignis délicatement ma peau devenant lisse et superbe au contact de mes doigts, à la lumière des ampoules qui ornées le miroir ovale. Un entrainement de longue haleine alliant habileté et gracieuseté m'avait été nécessaire, mais lorsque j'attrapai le tube de mascara pour en sortir la brosse, mes mains hésitèrent. Elles tremblaient sous mes yeux, sous ma gorge nouée par l'angoisse de la performance. Le trac, c'était donc ça ?L'être que je devenais allait naitre sous le regard du public,c'était enfin le grand soir.
Voyant les minutes défiler au rythme des secondes, je pris un instant pour me calmer. Une respiration lente, les paupières fermées, je me remémorai les raisons de ma présence. Cette nuit le Phénix allait renaitre de ses cendres. La main plus sûre, je dessinais tout autour de mes yeux des arabesques noires, masquais mes sourcils, je devenais un cygne. Puis je coloriai mes lèvres d'un rouge vif et puissant qui les rendait vivantes,désirables et libres. Comme-ci ce soir, elles avaient le droit de tout dire. J'enfilai prestement le pantalon aux larges bouts, la veste de tailleur cintrée et décolletée avant de déposer délicatement mon chapeau sombre aux bords courts sur le sommet de mon esprit. D'un geste quelque peu excessif, je défroissais mon costume et mon allure semblait sortir d'un film muet.
Je consacrai les dernières minutes à me regarder dans le miroir, qui de ses lumières réveillait toute la beauté de ce que j'étais. Pour la première fois je me sentais belle, m'admirais, sous les lointains applaudissements du public que j'imaginais abondant et électrisé. Les bruits de couloirs se pressaient,l'heure arrivait, le spectacle allait débuter. Mes mâchoires concentrées à s'étirer en chantonnant d'une voix haut perchée les lettres de l'alphabet, je n'entendis pas la porte s'ouvrir quand le metteur en scène m'interpella : " Thomas c'est à toi".
Le visage fermé par le stress qui m'envahissait, je quittais mon siège, mon cagibi pour éclore sur les planches d'un théâtre à Paris.