Si j'avais dit

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Si j'avais dit que tes yeux m'émerveillaient. Qu'ils étaient capables de voir ce qui s'oublie et rendre invisibles les regrets. Ils abritaient cette étincelle si vive à chaque battement et semblaient déplacer des montagnes de poussière d'étoiles lorsqu'ils brillaient. Quelque chose m'échappait, tu t'égarais là où je ne pouvais aller. Ils croyaient avant de voir, réinventaient le monde pour le contempler. A travers tous les vents ils naviguaient sans jamais s'embrumer. M'obligeant à admettre que la beauté pouvait exister, seulement dans tes reflets. Ils me fascinaient quand je les lisais. Ils m'enivraient quand je m'y noyais. Ils me poursuivaient même quand tu t'absentais.

Si j'avais dit que ta bouche m'intriguait lorsqu'elle mentait à tous les chandeliers. Juste pour qu'ils gardent leurs lueurs enflammées. Qu'elle avait le goût de toi quand elle ne s'excusait pas. Je ne comptais plus les heures à la regarder sans t'écouter. Ni les jours à t'écouter pour l'imaginer. Tes silences sonnaient comme des poèmes libres et insouciants. Pourtant, je savais ce qu'ils contenaient . Elle avait le pouvoir de libérer ta voix. Mélodieuse, rieuse, enjouée ou fâchée, tant qu'elle était là, je crois que je m'en fichais. Même quand elle faisait mal, je la désirais. Tes sourires parlaient toujours vrai. Les polis m'amusaient, les discrets me donnaient des envies de d'immensité. Je voulais les étirer, parce que plus larges ils me subjuguaient. Ils s'offraient sans concession, sans retour. Ils illuminaient mes jours de pluie, quand je ne voyais que l'ennui.

Si j'avais dit les félicités que m'apportaient tes mains quand elles dansaient sous les réverbères pour m'apprendre à comprendre. Des ombres chinoises qui racontaient sans se dérober. Qui jouaient, se balançaient en fendant habilement le triste vent pour l'exalter. Qui effleuraient la splendeur du monde qui se désastre et comptaient les astres qu'il fallait pour le rallumer. Je les soupçonnais d'appartenir au cieux, tant divines étaient leurs caresses. Elles qui me bandaient les yeux, non pour faire disparaître mais apparaître la beauté simple d'un ciel abandonné. Qui erraient sur ma peau pour la réveiller, et finalement me perdre dans un rêve aux airs parfaits. Elles avaient le monde à transformer, le mien elles l'avaient si bien modelé.

Si j'avais dit que ton corps était le plus beau des supplices pour mes yeux fragiles et fatigués. Tu pensais que je les fermais. Je demeurais en perpétuelle errance. Trop loin, pas assez près. Combien la lutte était insensée pour prendre la distance nécessaire à la contemplation de son entièreté, face à l'effroyable envie de la rompre juste pour le toucher. Drôlement gauche, feignant maladroitement l'insolence dans tes colères, si gracieux lorsque tu consentais à bannir tes barrières. Divinement éloquent lorsqu'il se contait, quand tu te dénudais le monde tout autour s'éteignait. Il te portait. Et rien que pour ça au fond, je l'admirais. Il laissait s'envoler les brumes délicieuses de ta peau que j'ai longtemps cherché à retenir sur notre drapeau. Il savait mettre un terme à nos désaccords. Une pause consumée pour se rapiécer et tenter de ne faire qu'un, une fois encore.

Mais tes yeux ont finalement fui les miens. Ta bouche ne disait plus rien. Tes mains ont cessé de parcourir le vent. Ton corps, aux abonnés absents, n'a laissé que ton odeur sur l'oreiller comme un pansement. Alors, j'ai longuement dessiné les esquisses de tes mouvements dans notre appartement. Tes contours naviguaient sous mon nez reniflant. Tu ne dansais plus aussi bien qu'avant.

Le temps pour tout me dire a gommé les marques sur les objets inusités et tes yeux me manquent pour effacer mes regrets.  

Rien que des histoiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant