Assis sur une plage, les orteils plantés dans le sable fin, un homme fixe au loin des casse-cous qui entrent en collision avec les vagues colossales de l'océan déchainé. Il laisse échapper un rire lorsque l'un d'entre eux vient s'échouer avec ferveur sur la rivage, comme noyé dans l'écume. L'homme en combinaison se relève, et ni une ni deux, retourne à la vitesse de l'éclair à l'assaut de la houle, armé de sa planche sous le regard éberlué de l'unique spectateur.
- Ils sont fous ces mecs !
Face à la réponse silencieuse, il se retourne vers la femme qui l'accompagne. Immobile, allongée sur sa serviette, ses cheveux virevoltent au grès des bourrasques maritimes.
- Tu penses à quoi ?
- Je regarde les nuages.
- Et pourquoi tu regardes le ciel ?
- Je pense à la vie.
Il l'observe perdu, attendant une réponse plus claire de sa part. Alors que rien ne vient, il abandonne son corps sur le tissu éponge encore humide, d'une baignade écourtée. Son corps à elle est encore parsemées de gouttelettes d'eau salées. Comme toujours elle, elle a pris son temps. Il observe un à un ces petits diamants luisants ainsi que la chaire de poule naissante sur sa peau halée. Sa contemplation est entravée par le mouvement gracieux de son bras qui se lève pour pointer du bout du doigt un amas de vapeur condensée en suspension dans l'atmosphère.
- Tiens, regardes, là, ce nuage.
- Oui, je le vois, et ?
- Il y a encore quelques minutes, il était seul... Et il vient de s'acoquiner avec un autre. Je suis prête à parier qu'un peu plus loin, sur la route du ciel, ils se sépareront.
En observant le gros morceau de coton volant, le corps de l'homme se crispe. Où peut-être est-ce dû aux paroles de la femme qu'il aime.
- Quoi ? T'es en train de me quitter?
Elle souffle en souriant, avant de détailler le visage fermé de son partenaire. Elle fait alors glisser ses lunettes le long de son arrête pour observer ses iris sombres. Délicatement, elle pose ses longs doigts fins sur sa joue brûlante.
- Ne sois pas idiot et observe. Chuchote-t-elle.
Son visage revient dans sa position initiale, face à l'immensité du vide bleuté, dans lequel naviguent quelques stratus, nimbus et cumulus.
- Celui là, tout à l'heure, il ne ressemblait à rien, informe, presque transparent. Je ne sais pas ce qui s'est passé pour lui, mais il a changé. Tu le vois ?
- Celui qui ressemble à un dragon.
- Ou à un bateau.
- Un bateau ?
- Oui, un navire volant à la conquête d'un trésor étoilé.
- Et pas un dragon ?
Son rire emporté par la brise semble réveiller la plage déserte. Lui, la regarde, encore une fois comme le spectateur d'un autre monde. Différent. Plus doux. Imaginaire. Auquel il n'a pas vraiment accès, mais il aime entendre sa voix lui conter de drôles histoires.
- Un dragon, ça vole déjà. Avoue-t-elle en lui offrant un sourire radieux.
Évidemment, elle n'aime pas quand tout est simple et prévisible. Et pourtant elle l'aime lui. Alors il se met à observer les nuages qu'elle se plait à détailler, à essayer d'intégrer tout ce qui semble lui échapper. Mais son regard transpire l'incompréhension face à ce tableau qu'il observe de très loin.
- Je vois toujours pas le rapport avec la vie. Murmure-t-il avec une pointe d'agacement.
De sa voix rayonnante et chaleureuse, elle lui offre toutes ses pensées, pour l'aider à la comprendre un peu mieux.
- Regardes les défiler... Ils s'accouplent, se défont. Ils virevoltent paisiblement, se laissent porter par le mouvement et puis soudain tout va plus vite. Comme si le vent, en les entrainant dans sa fuite, accélérait le temps qui passe. Ils n'ont pas d'autres choix que de suivre ce rythme effréné. Oh et puis certains brillent, comme celui-ci regardes, quand d'autres s'éteignent... Là, le gris, il semble plein de chagrin, tu ne trouves pas ?
- C'est vrai qu'il a pas l'air en joie, contrairement aux autres. On dirait qu'il va nous offrir une sacrée pluie.
- Ou bien s'apprête-t-il à pleurer...
- C'est un peu triste.
- Peut-être... Tu vois, là, regardes, ils se dispersent, s'amenuisent, pour finir par disparaitre.
- Donc en fait, on est comme des nuages.
Elle se retourne, ses cheveux dansant dans le vent fougueux et embrasse tendrement, de ses lèvres encore salées son compagnon. Un jour, ils seront poussière, en attendant ils ne sont que de simples nuages.