Je n'en avais jamais connue de pareille. D'aussi vaste. Alors plantée dans ce désert à contempler cette oasis mouvementée, qui refusait les baigneurs, animée par une colère sombre dont je soupçonnais les raisons, parce qu'elle ressemblait à quelques traits près, dans toute sa démesure à celle qui envahissait mon regard désabusé.Nous partagions le goût salé naissant des profondeurs agitées, soulevant les surfaces habituellement paisibles. Les promeneurs tournés les talons comme soumis à un volonté divine. Elle l'était. Dans sa splendeur naturelle, elle giflait les visages insoumis.Crachait à ceux des plus aventureux, ivres de son humeur déchainée, l'écume de son amertume. Leurs audaces ne durèrent guère longtemps quand elle fit danser les grains sous nos pieds, abandonnant leur désert pour l'atmosphère. Et le monde se para d'un voile doré, non pas de ceux qui scintillent pour le rendre plus coquet mais semblable à un souvenir fané, aux couleurs abandonnées par les années.
Dans ce tumulte, je revis les méduses échouées et les mouettes flottantes des étés passés. Entre tous ces corps inertes, il y avait une joie étrange, relative aux vacances, qui nous emportait. Nous avions connus des endroits moins lugubres, mais celui-ci nous semblait raisonnable, convenable. Et finalement, avions-nous d'autres choix ? Les baignades devenaient des aventures où la gaieté se dissipait quelque peu lorsque qu'une aile errante et désarticulée nous frôlait le bras. Un remake bien étonnant des oiseaux d'Hitchcock aurait pu être tourné sans le moindre effort, sans le moindre effet. Froussards, peut-être un peu, trop habités par l'imagination indéniablement. Et particulièrement quand il fallait se résoudre à changer nos histoires face un sable incapable de devenir rempart. Les pieds mouillés, les mains brunes nous retournions à la serviette, les solutions se perdaient entre les plis du tissu, se mêlaient aux grains égarés et l'ennui à l'idée de devoir les dissocier me gagnait. Je m'attardais dans ce ciel azur en espérant un semblant de nuage. J'attendais patiemment , les yeux rivés sur ce décor sans frontière, abandonné par les oiseaux des mers, l'heure de rentrer, sans avoir de véritable raison, si ce n'était celle du voyage et ses milles images.
Elle avait la couleur de tous ces moments vagabonds. Celle d'un soleil qui éclaterait en un milliard d'étoiles amourachées. La couleur de tous ces jours d'été à griller sous les rayons sans jamais bruler. La couleur des tapis lumineux de la voie lactée. Elle nous entrainait voyageurs saisonniers, plus typés qu'à l'accoutumé sur les parking des supermarchés, les autres s'attendant à nous voir sortir de son coffre des paniers d'osier, nous pensant présents pour alpaguer leurs mains comme des conteurs de destins. Des airs de rien, vêtus de nos costumes de vacanciers : sandalettes désaccordées au short de bain rêvant des courants, des airs de tout ceux qui flirtaient avec la saison sur les routes larges et encombrées, à quelques détails près. Ses banquettes une fois rabattues, décousues, offraient la perspective d'un tapis volant à grande échelle, flottant à quelques centimètres du sol. Nous nous écrasions, roulions en galipettes improvisées dans les virages serrés, riant à en perdre le peu d'équilibre qui nous restait. Nous ne savions pas encore que c'était la réalité. Libres et insouciants le monde défilait au travers de ses grandes vitres, nous narguait de tous ses paysages à peine effleurés. Les écorchures en ce temps là disparaissaient sous des pansements de baisers.
Les autres, dans leurs coques métalliques, les mains navigants non sans effort sur leurs immenses volants de petites citadines,n'appréciaient pas toujours notre sens de la communication et nos regards insistants. Nous nous immiscions dans leur habitacle, sans leur laisser d'autres choix, jusqu'à ce que nos chemins divergent. Avec l'innocence des enfants, nous listions les problèmes existentiels qui les menaçaient. Le choix de la radio revenait souvent, le manque de place pour les roulades était indiscutable dans leurs conserves où s'étendre relevait déjà de l'exploit. La stratégie du château de sable nous apparaissait comme une conversation obligatoire quand ils naviguaient le long des cotes animées par les cris vitaminés des marchands. Le matériel nécessaire à la construction de tels ouvrages était abordé à haute voix, caressant l'espoir d'en devenir les heureux propriétaires au moins une fois. Nos désirs couvraient les tubes qui s'échappaient des enceintes, sous les rayons apaisants, derrière ces vitres qui nous donnaient l'impression d'être aspiré par un monde de possibles, chaque kilomètre voyait s'ajouter un vœu de plus à notre longue liste. Aussi nombreux que les pins environnants qu'on ne savait compter, aussi large que les forets immenses et généreuses qui nous entourées parce qu'arrivés en bas des vitres, quand l'espace venait manquer, on étoffait nos premiers souhaits.
Le monde n'avait plus d'horizon, le sable faisait disparaitre les immeubles dont les façades seraient demain à nettoyer. Sans doute se lèveraient-ils avec ce voile étrange d'un monde décoloré. Mon corps frémit aux ardentes fraicheurs marines. Le caramel beurre salé glacé me faisait autrefois le même effet. J'aurais tenu à l'écart tous les caprices pour ce gout parfumé d'une douceur exquise. J'avais recherché cette saveur chez tant de glaciers, vainement. Nous en rêvions depuis le petit matin, passions la journée à la mériter avec une volonté si débordante qu'à l'heure du verdict, quand le soleil décidait de s'éclipser, nous bavions simplement en voyant les cornets s'approcher de nos mains trop petites. Sur le remblai inondé par un silence quasi religieux, les passants gourmands ne faisaient plus de vague et simplement savouraient. Nous avions alors tout l'or du monde sur les mains, sur les joues, le regard brillant d'être parvenu au Graal, après tant d'efforts, de contrariétés contenues et c'est le ventre plein que nous nous endormions sous la toile, accompagnés par la mélodie des caresses zéphyriennes du ciel. Les lendemains ne pouvaient qu'être gaies. Les petits déjeuners ensoleillés sur des tables bancales fleuraient bon l'aventure. La senteur des arbres baignant toute la forêt arrivait jusqu'à nous et recouvrait l'odeur du café monotone, l'odeur des autres saisons. Les couleurs saturaient nos perspectives, les yeux se plissaient, les peaux perlaient . En milieu de matinée, l'eau se dispersaient loin des bouches. Les vêtements comme sortis des machines se trempaient, à la recherche d'une fraicheur oubliée. L'ombre s'entrecoupait de cris juvéniles, de râleries enfantines, d'enthousiasme fragile.
Le vent cessa subitement. Le sable à l'image de la pluie s'échoua sur ses terres et dessina des ronds sur l'eau désormais calme et lisse de la mer. Je ne compris pas son soudain changement d'attitude, le goût du sel ne m'avait pas quitté. Une dernière bourrasque détournait mon attention sur ce décor inconnu. L'architecture cubique des immeubles se redessinait, les enseignes aux noms tapageurs et inappropriés reparaissaient sans plus de clarté. Les marches pour regagner le pavé avaient été balayées. Face cette immensité un sentiment de petitesse m'envahissait. Naviguant dans ces sables mouvants pour regagner la terre ferme, je pris conscience de mes cheveux emmêlés abritant des grains de sable rebelles, de mes mains dorées, brillantes, qui semblaient s'être ornées de coquillages broyés. Je ne me savais pas en quête d'un trésor à déterrer pourtant mon corps portait les stigmates d'une journée de jeux sur la plage. Et bien que capricieuse et n'ayant pas été tout à fait sage, je salivais à l'idée d'une glace imméritée. Alors que je retrouvais la grande allée qui surplombait cette étendue d'eau salée, touristes et habitants sortaient tout doucement de leurs nids douillets, et le remblai se remplit de bouches fines. Accoudés aux rambardes ensablées, ils souriaient de voir le ciel redevenu vierge. Ils le pensaient apaisé, je le soupçonnais d'être seulement essoufflé. En regardant la crème tournoyer, je me conditionnais à l'absence de résultat. Elle n'aurait pas la même saveur, il fallait me faire à cette idée. Mes mains étaient devenues trop grandes, mes illusions avaient fuit, les baisers ne faisait pas de pansements fiables, le sable était doué pour imiter la pluie, la vie n'était qu'une fable.
Et durant quelques instants, je me perdis en pensant à ces morales qu'il nous fallait apprendre pour la rentrée, et dont nous discutions longuement, argumentant qui méritait le plus ce fromage, en picorant des morceaux crémeux disposés sur du pain grillé. Nous proposions finalement d'en acheter un autre au supermarché pour plus d'équité. Implacables, nous arrivions à la conclusion parfaitement fondée qu'il fallait plus de faits dans les contes de fées. La réalité nous tenait à cœur. Baignés par l'insouciance des vacances, pourtant loin du monde et des épreuves qui nous attendaient, nous ne perdions pas pied. En réalité, nous apprenions à nager, à ne pas boire la tasse, et avec le recul la combattivité avec laquelle nous construisions des remparts inopérantes de sable humide vouées à disparaitre, n'était pas vaine. Alors, quand mes lèvres bravèrent la montagne pour atteindre le glacier saupoudré de mes espérances réfrénées, je découvrais avec émotion qu'il avait le goût des châteaux infortunés, le goût des nuits éveillées, celui des rires innocents, des rêves insensés dans les camionnettes dorées, des tapis volants, des convictions enfantines, celui de ses bobards, de ses chants. Il avait le tendre goût d'antan mêlé au sel du présent.