Les jours sans ont le goût des émotions anciennes que l'on marchande contre quelques bibelots fanés et quelques prières appliquées. Dans les plus infimes détails du monde les signes se guettent et se dérobent aux fondements censés de la raison. Les claquements de portes impromptus, les rayons solitaires, les ampoules défaillantes et les sifflements du vent ont la saveur de certains souvenirs tandis que le cœur immobile les observe comme au bord d'un abîme. Fasciné par le son des pierres que l'on jette, qui se perdent dans un silence de plomb, camouflant l'espoir impossible qu'il en ressorte quelque chose de ressemblant. L'irrationnel se fraye un chemin en écartant le moindre brin. Feignant l'irréelle sensation qu'en marchant à l'envers, s'envisage un possible retour en arrière. Et les lèvres tremblent dans les courants d'air quand les mains finalement se désespèrent. Ils se racontent avec les yeux bardés de tout ce qui brille, dans un silence qui désire se combler de gestes plutôt que de pensées isolées qui semblent si futiles, perdues dans l'immensité d'un désert humide, comme un lieu désolé. Inévitablement, sur le rebord ébréché de la falaise désenchantée le cœur s'abime à regarder chuter les galets.
Et vient alors le jour cent. Il porte les traits d'un milliard d'années. Arbore dans toute sa fierté illégitime l'air de ce qui s'oublie le temps de quelques instants de bonheurs furtifs. Le visage fatigué clairsemé de rides si grossières qu'elles masquent en réalité les précisions singulières de toute une vie. Je ne saurais dire à combien de jours cent nous en sommes, nos rides ressemblent aux fissures des vieilles bâtisses que j'aime contempler. D'instinct, j'ai fini par ne plus compter nos abîmes pour ne plus m'abimer. Mais dans certains élans de mélancolie je reconsidère le temps qui nous éloigne. Cette routine de l'absence et son rythme régulier, la rengaine imprécise et dissonante lance ta mélodie sans me prévoir. S'accompagnent alors invariablement, les jours sans, sans vraiment les vouloir.
Parfois, ils se remplissent et ressemblent à la nuit. Flottant comme un songe, il appartiennent à un autre monde, que je crois avoir inventé. Car tout de toi m'échappe, comme sortie d'un rêve. Seule cette sensation persiste, brumeuse, vague, à l'image des esquisses insondables que tu dessinais dans tes carnets. Tu sembles avoir traversé mon existence comme on court sur des passages piétons les jours d'averse, sans pépin. Les épaules rentrées, le visage baissé pour te protéger de ce qui transperce, malgré tous tes efforts, ta douce chemise en lin. Alors je frissonne et sèche les gouttes en te priant de faire demi-tour lorsque je perçois ton ombre sur le trottoir d'en face. Mais les rectangles blancs ont disparu sur le bitume détrempé et aucun véhicule n'est plus à l'arrêt. Toutes lumières éteintes, j'attends quelques instants que l'espérance passe, que les perspectives de ce décor se dissolvent dans cette pluie acide qui ronge jusqu'à mon cœur en équilibre sur l'asphalte. Les galets perdent leur superbe, deviennent granuleux, rudes et rugueux et j'abandonne le monticule de pierres à mes pieds, les bibelots qui t'appartenaient, les prières que je ne sais appliquer.
Mes talons se détournent de la déraison, de mes envies d'inimaginable. Le décor se détruit au fil de mes pensées démunies, la pluie ne tombe plus que sur mes joues rougies. Et tu te disperses dans les marques étranges sur le parquet de l'entrée, dans les grincements des volets à peine effleurés, dans les détails imperceptibles, accueillis par mes irrépressibles envies d'indicible. Les jours sans, je te voudrais pour toute une nuit. Je braverais tous les ennuis pour entendre dessiner tes mains, les écouter conter ce qu'il me reste de toi, même si ce sont des tout petits riens.