Au revers des dunes

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Depuis toujours il est la première chose que l'on découvre en entrant dans cette demeure au revers desdunes. Majestueuse, sa prestance coupe le souffle avant que le sentiment de petitesse s'immisce aux quatre coins de l'être. Fins et coquets ses balustres d'époque, comme des racines ondulantes, nous racontent ses origines. Dans les détails de ses dessins, de ses courbes, on perçoit la fantaisie de sa personnalité qui m'a toujours fascinée. Il semble imposer sa discrétion pour les curieux amoureux de l'imparfait. Et si l'environnement a changé au fil des siècles,si ses murs en ont vu de toutes les couleurs et ont porté bien des visages fébriles et fiers, vêtu ou dénudé, il n'a jamais jamais perdu sa splendeur, ni oublié les fondements de son existence.Il aurait pu, il fut un temps, se vanter de tous ses attributs quand il brillait sous des lustres indécents.

Au premier abord sa droiture rassure,il s'érige devant les arrivants avec une force convaincante. Comme si rien ne pouvait le chasser ou le faire pencher, pas même un brin d'argousier. Mais le sournois s'octroie, au milieu du chemin, un tournant sur la gauche imprudent et inespéré. On se laisse alors entrainer et tournoyer pour un peu d'altitude, pour d'autres latitudes. En se demandant si sa conscience lui susurre la vue qui s'en vient et le pesant d'or qu'elle contient. Rien de plus que de l'or céleste disparaissant dans les profondeurs paisibles l'océan. Et la lumière doucement s'éteint pour annoncer la nuit au creux de nos mains.

Si on le monte pour toutes sortes de raisons quelles soient poétiques, pratiques, remplies d'obligations,quand c'est pour celle-ci on finit par redescendre dans le but de toucher du doigt le tableau qu'il daigne nous dévoiler. Pour réaliser que ce monde existe de l'autre coté de la porte d'entrée.Et nos pieds encore humides d'avoir si joliment flottés entre les étoiles réemprunteront dans l'obscurité la passerelle pour rejoindre Morphée.

Mais ce qui le définit véritablement, ce sont les stigmates de sa vie infinie. Celles qui ne disparaissent pas au petit matin ens'évaporant comme l'embrun. Ces charmes qui le rendent réel, plus ancré dans notre monde. Un miroir sans reflet, inondé d'une pudeur profonde.

Car ses rebords écorchés trahissent les êtres pressés de regagner leur mont. Il porte le souvenir de leurs joies, de leurs ardeurs qu'on imagine vives pour toutes sortes de raisons. Entre ses empreintes heureuses se cachent les coups de talons colériques, des montées véhémentes et trébuchantes. A-t-il souffert de nos imprudences, de nos caractères ?

Le centre de ses marches s'affaisse, se creuse et l'on devine tous les fessiers pensifs, qui ont perdu leur chemin. Ceux qui ont attendu que la porte s'ouvre enfin. Et parmi eux, il y a sans doute celui qui a longuement observé ses valises face à l'entrée, n'ayant nul autre choix que de descendre ces marches pour la dernière fois.

Les innombrables rayures sur sa rampe me rappellent les moins farouches,bouillonnants à l'idée voir la marée monter et sentir l'écume du jour. Trop ivres d'envies pour se contenter de son couloir accidenté et suffisamment large pour s'y croiser. Ma main,quant à elle, n'a jamais fait que glisser sur la courbe suspendue,empruntant les réflexes de ses habitants d'antan. Similaires et tous différents, animés par la peur de chuter même en montant.

Dans ses interstices, des grains de sable vieux d'au moins cent ans se prélassent sagement non loin de leur dune. Ils accompagnent depuis si longtemps le voile de mystère invisible qui l'habille. Et je sais qu'en son ventre furent cachés tant de trésors que l'Homme voulait dérober, chasser, ou que la nature a seulement déposés. Mais toujours, à quelques grincements prêts, il est resté silencieux et humble devant ses actes héroïques pour protéger ceux qui l'envahissaient. Il méritait mieux que des godasses souillées viennent ternir son plancher.

Il a connu tous les mondes, aussi ses rides me semblent devenir imperceptibles à cette pensée. Lieu de passage, il demeure la parenthèse insoupçonnée de ses résidents depuis tout ce temps. Au milieu de leurs existences, ils se sont arrêtés dans cet endroit de transhumance. Il n'est pas toujours facile de descendre ou de monter, de connaitre le sens le plus approprié, ou même désiré. Alors nos doutes ont courbé ses marches, écorché son hêtre, serré sa rambarde et le pont s'est abimé, son verni encore écaillé. Quand d'autres fois sans la moindre hésitation, ni le moindre égard nous le bravions, le cœur léger et la tête déjà au grenier.

Tant de fois je me suis envolée en le rencontrant, alors c'est immobile que je contemple les marques de son temps, de tous mes élans. Celles des anciens cadres restés trop longtemps, la fine poussière nappant sa balustrade, ses échardes fanées qui n'ont éprouvé d'autres pieds. Et pour la première et la dernière fois j'écoute l'absence de grincement de son tendre bois en me disant qu'il a bien le droit de s'arrêter là, au beau milieu de ses marches, sans qu'aucun pas ne vienne tourmenter ses jolis rêves de dunes dont il n'a connu que les grains arrachés à la lune.



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