Il était doué son magicien. Sa voix caressait les mots, qui, domptés par ses cordes vocales offraient des sonorités mélodieuses et chaleureuses. Ses gestes gracieux et maitrisés peignaient dans l'air des fresques divines pour rendre le monde ravissant. Un regard de beau parleur, un sourire de canaille et une posture d'enchanteur. En grand maître de l'illusion, il faisait rêver le monde sur chacune des scènes qui l'accueillaient lors de ses représentations. Il dansait avec légèreté sur la réalité, riait de ses vérités en contournant sous leurs regards éberlués les lois de la physique, pour les émerveiller. Car tout ce qu'il faisait disparaitre, reparaissait toujours plus étincelant.
Il était si doué qu'il avait créé, juste pour elle, tout un monde entouré d'un voile surprenant et merveilleux. En partant de ses combles, où il lui était interdit de s'aventurer. Lui laissant la liberté d'inventer mille et une histoires toujours plus mystérieuses et fantastiques. De ses marionnettes venues de pays inconnus, qui dans la pénombre ravivaient les angoisses terribles de ses cauchemars enfantins. Parfois même, elles remuaient leurs bras en affichant un sourire terrifiant teinté d'un rouge sanglant.Etait-ce dû à la brise qui entrait par les fenêtres ouvertes été comme hiver, où la vie qui les animait les soirs de pleine lune ?
Dans son immense jardin bucolique, le chant des colombes l'emmenait dans un pays lointain. Ainsi elle partait à la rencontre de lapins blancs, de pruniers sauvages dont la poussière d'étoiles tapissait les fruits, qu'elle goûtait avec envie.
Le moindre objet semblait différent dans cette maisonnette animée par la magie. Les portes manteaux couverts de draps blancs devenaient des fantômes qui la fixaient de leurs regards invisibles. Les murs tapissés de moquette rouge des tableaux créatifs sur lesquels ses doigts dessinaient des animaux fantastiques. Les tomettes usées des marelles infinies, laissant ses petits pieds nus rebondir sur des cases vides en direction du ciel.Et même ses cigarettes lui semblaient ne jamais se finir.
Il était doué son magicien pour lui faire croire que la vie n'était qu'une multitude de petites choses formidables qui la rendaient spéciale. Pour lui faire croire que rien ne pouvait arriver de fâcheux car lui et sa magie protégeaient le monde. Du moins son monde. Conteur d'histoires de sorcellerie au coin du feu, elle écoutait ses mythes et légendes avec l'espoir qu'aucun de ces êtres maléfiques ne hante le grenier interdit. Part son assurance infinie, il rassurait sa mine apeurée en jurant"croix de bois-croix de fer", que ces connaissances en la magie blanche égalaient sans mal celle de la magie noire. Aussi lui confessait-il à voix basse, être capable du pire comme du meilleur sous son regard fasciné et son corps frissonnant. Et elle le croyait son magicien. Elle se souvenait avoir senti ses douleurs disparaitre,lorsque ses mains dansaient au dessus de sa peau abimée tandis que ses lèvres chuchotaient des secrets.
Il était si doué qu'un jour, pas fait comme un autre, il offrit le plus grand et magistral tour de magie de toute sa vie : il disparut. Devant une foule de spectateurs endimanchés, sur une scène habillée de bouquets de lys qui trônaient au milieu d'une église. Allongé dans une boite, mimant l'immobilité, dans son costume fétiche, accompagné de ces éternels foulards de soie, de ses balles de mousse rouge, il attendait que les deux hommes déposent un couvercle en bois qu'elle imaginait très lourd. Ses jambes flageolantes trahissaient son impatience. Malgré tout, elle attendait en silence, sûre que la surprise du grand dénouement déclencherait des étoiles dans ses yeux d'enfants. Les gens autour, émus par ce fascinant spectacle se mirent à pleurer. Il faut dire que son magicien avait toujours eu le don de susciter toutes sortes d'émotions. Bien souvent les gens riaient,laisser coulaient leurs larmes une fois l'objet retrouvé au fond de leur poche, et certains s'agaçaient de ses grands pouvoirs. Mais ce jour là, il ne réapparut pas.
Alors, elle se mit à le chercher : à l'ombre d'un chapeau haut de forme, dans toutes les boites transpercées par des sabres, sous chaque jeu de cartes, derrière les foulards de soie, sans jamais retrouver ce sourire facétieux, ce bagout généreux. Son magicien semblait avoir mis les voiles. Mais à l'instar de ses milles et un tours, quand il lui avait appris que tout retrouvait toujours sa place d'origine, lui, semblait s'être perdu en chemin.
Ainsi, il fallut du temps avant de comprendre que son magicien n'était plus. Son ultime tour la laissa d'abord pantoise, avant que la colère ne la gagne. Il avait emporté avec lui ses souvenirs et tous les secrets de son monde devenu sien.La maison perdait son charme, les prunes devinrent fades et le grenier qu'elle s'autorisa à braver, était vide. Ses paroles autrefois enchanteresses sonnaient à présent comme des balivernes,contes inventés pour ses oreilles juvéniles. Et finalement elle se mit à douter des pouvoirs magiques de son magicien.
Tandis qu'elle observe les faisceaux lumineux traversant les nuages gris, le souvenir du seul et unique tour qu'il avait finalement accepté de révéler, lui revient en mémoire. Elle n'avait pas saisit à l'époque, la beauté de son secret. Dans ses yeux d'enfant, elle découvrait avec déception que ce tour de passe-passe n'avait rien de merveilleux. D'après ses mots, il était le seul à n'être qu'un mirage, une fantaisie, car transpercer une personne de sabres aiguisés et la ramener à la vie,ça même le plus grand des magiciens n'en était pas capable, pas même lui.
Elle se revoit dans cette boite jouant les magiciennes et avec le recul comprend enfin le sens de cette chimère. Ainsi le jeu consistait à trouver des échappatoires, user de stratégies, se courber, tenir sans vaciller dans des positions insoutenables et finalement glisser sa main dans la fente prévue à cet effet. Une fois visible aux yeux de tous, elle devait la secouer vivement. Prouvant, malgré les obstacles, les douleurs, la vivacité de l'être qui s'y cachait.
Alors que le spectacle éphémère aux milles couleurs s'efface doucement, son regard se pose sur le rectangle de marbre gris sur lequel est écrit son nom d'artiste en lettres dorées. Ses lèvres lui offrent un sourire nostalgique quand du bout des doigts, elle caresse la pierre froide. En silence, elle se demande si la magie ce n'est pas simplement garder l'insouciance de l'enfance. Continuer de croire que tout peut apparaitre à tout instant, pas seulement un lapin sortit d'un chapeau bien trop grand.Alors elle ferme les paupières pour retrouver, faire revivre le sourire de canaille de celui qui fut et restera son magicien.
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Rien que des histoires
KurzgeschichtenCe sera peut-être un recueil de courtes histoires...