Capt'aine Bébert [Partie 2]

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Pas patient pour un sous, Bébert m'arracha de ma rêverie. Je lui livrais alors la magie d'un souvenir un peu lointain. J'avais toujours aimé la mer alors pour mon douzième anniversaire mon père avait fait la promesse de m'emmener faire du voilier. Excitée par l'idée de cette aventure, j'avais orchestré ma préparation minutieusement. La première étape de mon apprentissage se trouvait être la lecture. Les bases théoriques assimilées, il me fallait passer à la pratique. Je construisis alors un radeau et le fis flotter sur un lac proche de la maison. Je simulais les gestes en m'exprimant comme un matelot et finissais toujours dans l'eau. Un fois, deux fois, trois fois... Rien ne pouvait m'arrêter jusqu'à cette sensation d'équilibre sur les rondins de bois, une longue vue dans les mains, j'étais prête à braver tous les océans du monde. Jamais, je n'avais fait preuve d'une telle détermination, moi qui avait toujours tout laisser filer.

Lorsque j'eus fini le récit de mon tendre souvenir, il resta immobile un sourire malicieux plaqué sur ses lèvres abimées, en secouant frénétiquement la tête.

- Ça tombe à pic ma p'tite !

Je fronçais les sourcils, je n'étais pas sûre de comprendre sa réponse, ni le fil de cette conversation.

Dans une étrange agitation, il se mit à farfouiller dans les grandes poches de sa parka, trop chaude pour la saison, toujours le vieux bout de bois fumant calé entre ses dents. J'observai la scène avec un suspicion certaine. Ne m'étant jamais confié à un inconnu je ne savais pas à quoi m'attendre,d'autant que je doutais un peu de son équilibre mental.

- Tiens ma p'tite prends ça.

Je regardais la clés qu'il me tendait se balancer dans l'air printanier sans comprendre le fondement de sa proposition.

- Bah prends j'te dis.

Sous son autorité, j'attrapai mécaniquement l'objet, tout en le laissant pendouiller au bout de mes doigts. Qu'allais-je donc faire de ça?

- C'est quoi ?

- Bah un bateau ma p'tite. Et un vrai ! Aller prends et va à l'adresse indiquée sur le trousseau.

Je me mis à rire franchement, sous le regarde étonné du vieux fou. Me prenait-il pour une imbécile ?Une homme dénué de tout avait un bateau et de surcroit il l'offrait à la première venue ?

- Vous êtes fou !

- Juste thalassophobe.

Mon rire se noua dans ma gorge quand ses yeux me transpercèrent de toute leur intensité. Ce bleu c'était celui de la mer. Je déglutis face au sérieux de Bébert. Bah merde,le vieillard n'avait pas l'air de mentir.

- Ben Diou, va prendre ton train ma p'tite!

- Et vous alors ?

- J'attends ma femme. Allez file je te dis !

Ses bras gesticulèrent nonchalamment dans l'air pour me faire fuir, alors bêtement je me contentai de suivre les ordres du Capitaine Bébert. Je le saluai en enveloppant tendrement sa main vieillissante dans les miennes quand ses iris s'illuminèrent un instant, pour changer de couleur, avant de retourner à l'observation de nos locomotives modernes.

Sans savoir ce qui m'attendait, je pris le train qui m'emmena dans le sud de la France. Je traversai les montagnes, pris des routes impraticables. A chaque virage, je fermai les yeux de peur que le bus ne finisse sa course dans les forêts en contrebas. Après plusieurs heures à retenir mon souffle, le paysage changea. Je quittai le véhicule fou pour atterrir à l'adresse notée sur le trousseau. Bravant les grilles blanches de l'entrée principale, je me retrouvai dans un petit port familial. Le bois du ponton craquant sous mes pieds, déclencha l'envolée d'une horde de mouettes rieuses. Leurs cris éraillés déchirèrent le ciel et le calme de l'endroit. Le soleil glissait doucement avant d'être englouti par la mer tandis que mon regard oscillait sur les épaves un peu rouillées qui dansaient au rythme de la faible houle. Même si mes yeux sondaient minutieusement les environs, je ne pensais pas trouver la dite propriété de Bébert et s'il n'y avait rien, le spectacle que m'offrait le monde me suffirait. Tandis que je poursuivais ma contemplation, un grand homme au larges épaules,portant un bonnet rouge s'arrêtant au dessus des oreilles interrompit mon élan. Timidement, je lui racontai ma rencontre avec le vieux Bébert et lui demandai si " L'arche " existait vraiment.

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