Son regard suit le mouvement des gouttes qui ondulent entre les rayons du soleil. Immobile, il se délecte de ce moment où le monde mélange les pinceaux avec les serviettes. Cet instant confus, sortant de toute banalité où rien ne semble impossible même emmêlé. Ce drôle de temps en suspens qui sur ces vitres ordinaires joue les indécis et s'écoule abondamment. Qui rend le soleil plus flamboyant et les gouttes plus étincelantes. La fusion improbable de ces deux éléments, semblant se défier par habitude mais qui dans un moment d'égarement se subliment. Une brèche dans ce plafond, une malfaçon qui déverse ses émotions. Une contradiction saisissante et frissonnante. Ils auraient pris le même chemin sans s'en rendre compte ? Comme une course effrénée mais sur la ligne d'arrivée des carreaux mal lavés, pas de gagnant. La pluie s'abat entre les faisceaux lumineux indécents comme des larmes qui s'échoueraient sur un sourire trop évident. Les rideaux ne sont pas tirés. Aucune marionnette si ce n'est son vague reflet. Naturellement le plafond finira par chasser l'un des deux, au hasard de ses impressions. Hier le soleil, demain la pluie sans raison. Il sait que le duel cessera. Le vainqueur se perdra dans l'espace inusité. L'ennui l'appellera. Et toujours il se lassera de cette étendue dépouillée. Il deviendra arrogeant pour la faire revenir. Elle manipulera les nuages pour le faire revenir. Ils se chatouilleront un peu, se chamailleront sans doute, se murmureront au son des brises dérobées leurs désirs de partager l'immensité.
Et ces gouttes libres et rayonnantes le renvoient au temps des coquelicots. Dans ce fleuve cristallin qui accueillait leurs pieds enjoués et maladroits. Son regard enfantin caressait avec envie les plantes restées sauvages. Entre ces deux rives, entre ces deux ponts, entre ces deux mondes les cailloux se glissaient dans le sable pour ne pas écorcher leurs peaux, et l'eau ne faisait pas de vague. Des cabanes en bois se hissaient sur les bords de la rives, abritant de belles idées et l'une d'elle avait décidé de lui appartenir. Les larges feuilles devenaient ici des parapluies pour les perles invisibles, les tiges entremêlées des couronnes flottantes, et parfois des bouées pour les noyés des berges trébuchantes. Ces berges riches de petites tâches rouges, qui s'éveillaient entre les herbes chatoyantes, marquaient l'arrivée de l'été. Ils croyaient à des étoiles tombées du ciel après une incartade embarrassante. Peut-être avaient-elles seulement semé les champs de blé monotones. Sur la partition peu nuancée, elles dénotaient. Et ils se persuadaient, avec la douce naïveté des cœurs innocents, que si la brise avait pu les faire chanter, leurs douces voix n'auraient su s'éteindre. En caressant cet espoir, ils les étreignaient sans les étouffer, sans les arracher. Ainsi leurs pétales ne cesseraient de tomber et les coquelicots jamais ne faneraient.
Le ciel s'assombrit volant à la pluie ses derniers émois. Il revoit ce parking déserté de cette nuit sans sommeil. Les luminaires farouches qui se taisaient dans l'obscurité. Les charriots errants dans l'immobilité, abandonnés sur les passages piétons effacés. L'absence de vie. Les façades ternies par les mouvements incessants. A l'heure où les grandes portes ne coulissent plus devant les ombres, à l'heure où les contours des corps se figent sur ces immenses baies vitrées. Paisibles les voitures sans occupant couvertes de flocons dorés, la faute à la plus longue saison qui n'en finit jamais, avaient gardé une lueur improbable dans leurs phares brisés. Un canapé de métal qui avait cessé de ronronner semblait les inviter. Les balais d'essuie-glaces à l'arrêt, nichés dans le creux de leurs reins, ne pouvaient débarrasser le ciel. Dans ce désert bétonné, un tableau sous leurs pieds se dessinait. Les fissures devenaient le fruit d'une main ferme sur un pinceau séché qui ne veut plus rien tracer. Qui laissait pour tout dire l'empreinte indélébile d'une volonté morcelée. Dans ce lieu froissé, quelques insectes enivrés dansaient sous la lueur étriquée de l'unique réverbère. Un sentiment de paix les envahissaient, loin des tumultes routiniers. Le silence se faisait d'or, et déjà l'aube apparaissait.
Les traces laissées par ce souvenir viennent se confondre avec celui où elles s'effaçaient. Un moment d'égarement, elle avait ôté son pullover qui avait de la bouteille, pour le regarder tournoyer. Sur les banquettes en plastique, il écoutait le vieil homme qui ne lavait jamais rien vanter les mérites de son téléviseur en fixant un hublot inutilisé, à l'image de ce dernier. Dans un élan de curiosité, elle lorgnait au dessus des épaules avares d'informations frivoles et dépassées. Entre ces pages trop vives qu'il évitait, elle se perdait et son regard revenait à lui pour comprendre ce qu'elle ne savait décoder. Il souriait à ses quêtes futiles, elle qui connaissait le noms de tous ces anonymes, ces blanchisseurs endimanchés. Sous les néons froids, le ballet des couleurs se réalisait au rythme des tambours. Les paniers vides vibraient sur les machines comme pour récupérer leur velours. La mécanique était soignée, il découvrait qu'ici on venait gommer les instants de vie ratés.
Dans son canapé son regard s'échoue de nouveau sur les carreaux mal lavés. Le spectacle touchant de ceux qui se prévoient depuis si longtemps est terminé. Le spectacle de ceux qui bravent toutes les saisons, ceux qui amènent l'hiver à se découvrir, l'été à s'adoucir, l'automne à moins pleurer et le printemps à durer. Ils se cherchent, se réclament avec une ferveur si féroce qu'elle fait déborder les canaux, brûle les mauvaises herbes, fait chanter les toits du monde quand elle ne les couvre pas d'un silence pesant. Les bruits s'engouffrent dans l'ombre des maisons pleines, pour qu'ils s'entendre se prier, se priser. Pour que la magie opère, le temps d'un instant, une fois encore. Et les rayons laissent paraitre les traces du passé. Du temps qu'il lui a fallu attendre avant de la retrouver. Dans sa chaleur accueillante elle frissonne, se dévoile et lui offre ses plus belles lueurs. Se mêlent alors les couleurs éveillées des coquelicots, chatoyantes des indésirables, illuminées des réverbères, réconfortantes des pullovers, pour se courber sur les murs, danser sur les planchers, pour emprunter le vide avant de s'estomper.
Demain, des rues désertes sous les étoiles, des balades sur les plafonds, des mots dénudés, des rires bouleversants, des éclats en reconstruction. Demain, des gouttes s'ajouteront à ses vitres embuées, à ses pupilles tachées, à ses yeux délavés. Demain, des faisceaux lumineux glisseront entre les perles de pluie pour faire revenir les jolies choses de la vie.
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Rien que des histoires
Historia CortaCe sera peut-être un recueil de courtes histoires...