5. Oh ça crépite

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L'eau est froide, sombre, oppressante. Elle constitue un univers abstrait et malveillant, coupé de la réalité par la perception différente des choses qu'on y a. C'est un monde rude, destiné à la survie absolue des plus forts, où évoluer est une épreuve de tous les instants. Un monde qui ressemble à celui dans lequel elle a été balancée.

Des bulles d'air, dans la panique, s'échappent de son nez. Leurs reflets brillants se perdent vers une surface qu'elle ne peut pas voir et dont elle attend, désespérée, la délivrance.

Elle ne peut que fermer les yeux, ou voir le fond de la cuve en métal dans laquelle elle suffoque. En apercevoir les rayures, témoignages d'anciens retenus restés visibles au travers des années, n'est pas plus rassurant que l'ombre silencieuse de ses paupières.

Elle n'a jamais souhaité ça. Est-ce que c'est de sa faute ? Est-ce qu'elle le mérite vraiment, au fond ?

Ses yeux se ferment avec force et obstination, comme pour ne rien voir et tout oublier. Des traits lumineux percent l'obscurité de ses paupières.

Le manque d'air.

Ses poumons brûlent, forment un poids dans sa poitrine. Elle se mord la langue, tentant d'ignorer ce poids par le secours d'une autre douleur. Le sang goûte dans sa gorge avec un goût métallique et acéré qu'elle ne connaît que trop bien.

Privée de la vue, ses autres sens s'accruent.

La cuve de fer sous ses mains glissantes, à laquelle elle tente de se rattraper. Ses genoux écorchés contre le sol glacé.

Ses oreilles semblent bouchées. Immergées dans l'eau dont la salubrité reste encore à prouver, elle maudit cette eau chaque soir en sachant très bien que la douleur qui lui vrille continuellement le crâne vient de là.

Et le sang poisseux qu'elle sent remplir sa bouche et qu'elle ne peut évacuer. Ouvrir les lèvres maintenant la viderait de l'air qui lui reste, et lui emplirait la bouche d'une eau mortelle.

La main froide, dans son cou, qu'elle sait blafarde et couverte de cicatrices, l'empêche, par une poigne de fer, de relever la tête. Elle devine sa jumelle pointant le canon d'une arme à feu sur son crâne, là où la balle est prête à se loger si elle venait à essayer trop vivement de se libérer.

Ces mains, elle les connaît. Depuis longtemps. Trop longtemps.

Ce sont les mêmes qui l'ont arrachée à sa famille. Les mêmes qui la maintiennent ici. Les mêmes qui ne la laisseront jamais partir.

Celles qui reviennent toujours dans ses cauchemars.

Et les secondes s'écoulent en éternité.

Elle voit ses propres cheveux, noirs comme les corbeaux, et pourtant sublimés ignoblement par les reflets colorés d'une lumière éclatante à la surface. Maudissante, elle se jure qu'elle les coupera. Lorsque sa tête a été sortie de l'eau les fois précédentes, ils se sont amassés autour de son visage, et, dégoulinants et trempés d'une eau glacée, l'ont empêchée de reprendre suffisamment son souffle. À cause d'eux, sa souffrance s'accentue chaque seconde.

La main calleuse tire son cou en arrière.

Ses mains à elle, qu'elle usait tant bien que mal pour tenter de sortir la tête de cet enfer, dégagent enfin ses cheveux de son visage en tremblant.

Elle tousse, crache, pleure.

Le sang, la salive et la bile goûtent, en plus de l'eau, sur son menton.

Les larmes s'écoulent sur son visage avec la puissance d'un torrent, tentant d'emporter avec elles la violence qu'il a fallu pour qu'elles tombent.

La main lui rappelle sa présence au travers d'une emprise sur sa nuque qui se fait plus sèche, dure et agacée.

Lonely Wolf (Katsuki x oc)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant