53. Pas sûre de l'idée, pour le coup

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On m'oblige à retourner le regard vers les enregistrements.

Il est là.

Ils sont là.

Et devant moi, le sang se répand dans une flaque écarlate sur le sol blanc.

Je ne sais plus quoi penser.

Ils sont là. Juste derrière moi, à regarder une enfant se faire mutiler. Leurs regards me brûlent, me transcendent.

Et devant moi, tous les spectateurs de ce mauvais film me jugent à l'aide de pitié et de dégoût, comme ils regarderaient une pauvre petite créature sans défense.

Mais ici, je le suis.

Or, à peine quelques instants avant, ils me considéraient comme une danger.

L'ironie est un jeu que le destin manie apparemment bien mieux que moi.

Changement de vidéo. L'acouphène est revenue. Pourquoi montrent-ils ça ? Ils veulent m'exposer dans la moindre de mes faiblesses, la plus nue des positions, devant tant de gens, n'est-ce pas ? Je crois que le gouvernement m'a toujours voulu du mal.

Je ne vois pas pourquoi ça changerait.

Je me noie, je brûle, je hoquette, je hurle, je saigne en même temps que la fillette sur l'écran, qui grandit au fil des prises au même titre que la folie du Docteur, mais personne dans cette grande cage dorée ne remarque que je suffoque.

C'est long. Rares sont les choses qui m'ont parues si longues, et l'éternité s'écoule alors que je suis obligée de regarder des scènes que je revois déjà dans mes cauchemars.

Elles ont infiltré mes nuits, et désormais, mes jours aussi.

Mon esprit, celui de mes professeurs, et maintenant, mes... amis ? Puis-je les considérer comme tels ? Je n'en ai plus aucune idée.

Elles flottent autour de moi en une présence qui me cloue sur place.

Et au moment où elles s'arrêtent, c'est comme si le temps lui-même reprenait sa respiration. Je déglutis, mais ma gorge est sèche. L'instant de flottement dure de longues secondes avant que le juge ne se racle bruyamment la gorge.

— Rin Akamata, confirmez-vous être l'enfant apparaissant sur l'ensemble de ces enregistrements ?

Il me faut quelques secondes pour répondre mais ma voix ne me parvient plus qu'en un murmure.

— Oui.

— Et avez-vous quelque chose à ajouter à votre témoignage ?

Les mots prennent place dans mon esprit, et je cherche ce que je pourrai bien leur dire. Bien évidemment, il y a un nombre incalculable de choses que je voudrais leur faire parvenir. Tout le monde ici semble être étranger à la souffrance, ou ne pas prendre assez en compte la teneur de mes remords.

Mais peut-être est-ce juste moi qui, encore une fois, exagère les choses. Cependant, il y a bien un fait qu'ils ne connaissent pas.

La vraie raison de ma haine pour Endeavor.

— Oui.

J'ai besoin de laisser les phrases couler hors de ma bouche, hors de mon esprit, une bonne fois pour toute. Histoire de mettre un point final à toute cette histoire. Ce procès déterre de vieux et mauvais souvenirs, mais sera l'occasion de les clore.

Je m'éclaircit la voix, rassemble des morceaux de moi-même comme pour en faire un petit tas de cendres que je protège de la brise glacée du destin.

Je balance mon regard contre l'assemblée de jurés et de magistrats devant moi.

— Vous devez sans doute vous demander pourquoi une gosse de neuf ans a rendu la justice elle-même, au prix de nombreuses vies innocentes. Et je n'aurai jamais de raison valable. Je le sais bien.

Lonely Wolf (Katsuki x oc)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant