31/ Immobile

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Plus rien n'exista.

    Le claquement de l'impact de la fourchette sur le sol fit écho au claquement de ce moment.

   Immobile, la petite fille regarde son père, regarde sa mère, regarde son assiette constellée de tâches.

   Ce goût en bouche, qu'elle découvrait pour la première fois ce soir là, ne la quitterait jamais vraiment.

   Immobile, elle regarde cet homme faire irruption dans la salle à manger.

    Immobile. Elle ne devait pas rester immobile.

Je me levais brusquement.

   Tous les bavardages s'étaient tus dans la cantine. Tous les bruits de couverts s'étaient stoppés.

  Le temps était comme figé.

Figé sur ce moment.

  Son regard figé sur elle.

  Puis soudain. Toutes ces têtes qui se tournent vers elle. Sa tête toute entière qui tourne, ses jambes qui tremblent.

   Elle voudrait vomir. Elle voudrait ne plus jamais se souvenir. Elle voudrait ne plus jamais sentir.

 Je ne discernais plus rien devant moi.

  Pourtant tout me semblait si net.

  Mais ce n'était pas une cantine qui se trouvait devant les yeux.

     Je ne dois pas me souvenir.

  Je ne dois plus y penser.

  C'est trop tard.

     Mais ce goût entetant persistait dans ma bouche. Alors le souvenir résistait.

   La scène se déroulait encore et encore devant mes yeux. 

      Mon cœur semblait s'arrêter, mon sang quittait mon visage. Pourtant il accélérait, mon ventre faisait mine de se retourner.

     Je ne savais même plus ce qu'il m'arrivait. Je ne savais même plus si je voulais respirer, je ne savais plus si j'y arrivais.

    Je m'étais dressée, je ne pouvais pas rester assise, comme ce jour là.

    Mais il m'était pourtant impossible de bouger.

  Immobile.

    Seuls mes yeux étaient en mouvement.

Ils ne pouvaient s'en empêcher.

   Ils ne pouvaient pas arrêter de me montrer. Cette scène, en boucle. Ce goût, en bouche.

Le Jeu T1 : AloneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant