Chapitre 15 : Enclenchement

332 61 525
                                    




– VARMANTEUIL –



À l'instar de la plupart des Régulus, Kaya se rendait peu aux étages intermédiaires d'Alphecas. Les artistes et les jeunes couples qui occupaient les lieux y vivaient sans faire de remous, aussi il était rare qu'il faille venir y rétablir l'ordre.

Elle évita la nappe d'eau de javel irisée qu'un résident déversait sur le ciment de son palier, et parcourut du regard les fresques de peinture aérosol qui habillaient le béton esquinté des murs. Grâce aux indications données par ses frères, elle trouva sans peine le local que squattait l'Aster non-affilié. Un bruit ténu d'eau coulante lui parvint de derrière la porte. Elle frappa deux coups contre l'alliage de métal, assez appuyés être entendue. Basile et Gale l'ayant prévenu que l'occupant avait les visites en aversion, elle s'annonça en haussant la voix :

— Fahrenheit ? J'ai tes quatre-vingt balles.

La réponse lui parvint après un court silence :

— C'est ouvert !

Négligeant le pincement anxieux dans son estomac, Kaya fit coulisser le panneau d'acier, qui grinça sur son montant, et pénétra dans le loft. Elle découvrit un vaste espace impersonnel, pas assez délabré pour être inhabitable, mais trop vétuste pour être commode. Un sac de voyage ouvert débordait d'affaires roulées en boule, un mini-réfrigérateur bourdonnait par intermittence, et un micro-onde était branché sur une étagère, près d'un entassement de boîtes de conserves et de plats lyophilisés. L'aérateur de la fenêtre, encastré dans la vitre couverte de chiures de mouche, faisait paresseusement tourner ses pâles encrassées.

Le jeune homme était penché au-dessus du lavabo de la minuscule pièce attenante, tête sous le bec du robinet, une main en appui sur le rebord, le torse seulement couvert d'une serviette passée en travers de ses épaules. Ce ne fut qu'en voyant les filets d'eau noirâtre dégouliner de ses cheveux que Kaya comprit qu'il était occupé à rincer les résidus d'une coloration. Au vu du parfum qui flottait dans l'atmosphère cuisante, et de l'absence de bavures sur sa peau, il devait s'agir d'un produit obtenu auprès d'un alchimiste.

De ce qu'elle décelait du spécimen, elle doutait que la teinture relevât d'un choix esthétique. Changer de couleur de cheveux, c'était changer d'identité. Que pouvait-il espérer cacher, alors qu'il arborait à même sa peau un signe aussi distinctif ?

Le squatteur tourna la molette dans un couinement de visse mal huilée, puis se redressa, épongeant sa nuque et son visage.

— T'as fait vite, apprécia-t-il avant d'ajouter avec un accent plein d'ironie méprisante : remarque, vu vos airs de petite famille convenable, je savais que ça serait pas trop difficile de rembourser.

Tout en le dévisageant, elle grommela d'une voix acide :

— D'accord, c'était totalement gratuit comme commentaire.

Fahrenheit se tourna vers elle, exposant une musculature mince et ferme couverte par un contraste de peau blanche et noire. Les marques épargnaient la majeure partie de son torse, et suivaient avec précision sa morphologie, pour tracer la partie inférieure de sa cage thoracique, soulignant ses pectoraux. Sa ligne du nombril se trouvait dessinée comme à l'encre, en s'évasant vers le pubis.

— Tu t'attendais à quoi ? rétorqua-t-il. Un merci ?

Rendue mordante par son antipathie, Kaya riposta :

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant