Chapitre 31 : Attaque

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BÉTELNEUVE –


Il y avait quelque chose d'incongru à les voir tous les quatre rassemblés dans le carré de la rame de métro. Elias avait couvert ses cheveux nivéens sous la toile ample de sa parka. De l'avis d'Oswald, ce genre d'accoutrement par trente degrés à l'ombre risquait de faire sourciller, mais il supposait que cela valait mieux que d'exposer sa nature d'aratós à la vue de tous. Sahira inclina le buste pour approcher la main de la poitrine de Cineád. Après un coup d'œil réticent, il se décolla de son dossier, avançant à sa rencontre.

— Juste le brouilleur. Rien d'autre, prévint-il par-dessus le crissement du freinage.

— Je suis peut-être esthésive, mais je n'ai pas développé de capacités en matière de perceptions émotionnelles et somatosensorielles.

Sur un bref hochement de tête rassuré, le pyrocien la laissa appliquer la paume contre son torse. Les portes de la rame s'ouvrirent, puis le signal sonore retentit.

— Voilà, annonça Sahira en rompant le contact sans que rien de notable ne se soit produit.

Cineád s'empressa de rétablir la distance entre eux. Circonspect, il tourna la tête pour scruter son reflet dans la vitre. La paroi impropre lui renvoya l'image d'une figure aux traits racés, un rien brutaux, sur le teint pâle duquel coulait l'encre sombre de ses marques. Il s'examina en plissant les paupières, tandis que Sahira tendait à présent le bras vers Elias.

— T'as fait ton truc là ? s'étonna Cineád.

— Ce n'est pas visible à l'œil nu, à part pour les esthésifs. Mais ton image est bien brouillée sur tous les dispositifs de capture d'image.

Elias se soumit à son tour à l'opération. Oswald avait beau savoir que l'esthésive manipulait leur Essence afin qu'elle interfère avec tout capteur électronique et camoufle leurs figures, il lui était impossible de percevoir la différence. Il observa le meneur de Rigel, cherchant à déchiffrer son état d'esprit. Alors qu'ils étaient enfin en route pour libérer sa sœur, Elias ne manifestait pas la moindre émotion. Son habituelle souveraineté austère imprimait son faciès. Depuis le départ, il était demeuré mutique et absent, la mine presque boudeuse.

Oswald fut le dernier dont s'occupa sa voisine. Il éprouva un remous à travers son Essence, une onde soyeuse qui le parcourut, puis Sahira écarta la main de sa chemise sombre. Le réflexe le prit à son tour de vérifier son image, mais son reflet fut estompé par la lumière souterraine qui révéla le quai au sortir du tunnel.

Ils quittèrent les effluves nauséabonds du métro parmi la foule de bryvasiens et de touristes qui s'épanchait dans les rues de Bételneuve. Sans se concerter, tous quatre s'éparpillèrent dans le plus grand naturel, pour progresser vers le Palais de Polaròs. Le grand musée de l'Histoire Astérienne accueillait les visiteurs par un vaste parvis aménagé de statues de bronze. Oswald dépassa les figures célèbres figées dans des poses empreintes de noblesse dramatique, hágios et aratós ayant marqué l'histoire, certains mythiques, d'autres bien réels. Du coin de l'œil, il repéra les individus en costard sur mesure, aux couleurs moirées et broderies discrètes, qui rôdaient sous le soleil écrasant. Comme attendu, les Achernar veillaient. Des fourgons de l'URIAA devaient en outre stationner dans les parages, prêts à rafler d'un coup de filet les Asters qui sèmeraient le désordre dans cet arrondissement branché et cosmopolite de Bryvas.

Oswald effleura du bout des doigts le masque rangés dans sa sacoche à bandoulière. Il put franchir les portes du musée sans éveiller la vigilance des veilleurs et des agents de sécurité. Sahira l'avait devancée, pas plus inquiétée que lui grâce à son allure impeccable. Elle feignait de s'intéresser aux décors peints et sculptés sur les murs. Les hautes voûtes rehaussées de coupoles culminaient à plusieurs dizaines de mètres au-dessus de l'imposant vestibule. Toutes de verre et d'acier, elles laissaient tomber une lumière ardente, que l'ossature métallique teintait de son pourpre. Les reflets rougeâtres produisaient un effet surréaliste sur la veste ajustée en jacquard bleu saphir et les tresses aux pointes indigo de Sahira.

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant