Chapitre 23 : Confrontation

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– HAMALEX –


L'ancien hangar industriel d'à peine huit-cents mètres carré, qui faisait office de point de regroupement pour Rigel, pouvait difficilement prétendre se mesurer au squat Alphecas. Le soleil accablait la toiture en tôle au point que la chaleur semblait dégouliner de la charpente métallique. Les ouvertures dessinaient des carrés d'une blancheur éblouissante, véritables murs d'air suffoquant. Chaque coin de l'espace servait de débarras, Sahira ayant acquis les lieux en l'état et ne s'étant jamais donné la peine de procéder à des aménagements. Elle n'avait fait qu'y ranger deux petits modèles de caravane.

Ainsi qu'une cuve vitrée qui, posée au milieu du hangar, conviait inéluctablement l'attention. Ce n'était pas tant la clarté glauque du liquide. C'était ce qui flottait à l'intérieur.

Une masse de fourrure sombre et de muscles. Les longs pans lacérés de membrane élastique. Un bâillon métallique fixé entre de puissantes mâchoires. Aucun signe de vie ni d'intelligence. Cineád ignorait à quel genre de cuisine s'adonnaient Oswald et Sahira avec le thērion volé aux Becrux, mais le seul résultat notable pour le moment se résumait à la diminution de son aspect putrescent et galeux.

— Ça ressemble juste à une mocheté baraquée, observa-t-il en entendant la porte d'une remorque s'ouvrir. Je suis pas vraiment un amateur des tas de muscles stupides.

Une voix traînante, à la tessiture aussi douce que le déchirement de la soie et poisseuse que le goudron, balaya son opinion :

— Il a pas besoin d'être intelligent. Seulement d'être parfaitement obéissant.

Une moue ironique au coin des lèvres, Cineád se tourna vers le meneur de Rigel. À sa sortie des catacombes, Elias Marcdargent usait du registre cultivé et de l'accent châtié caractéristiques de la bourgeoisie du siècle précédent. En l'entendant s'exprimer à l'instant, il constata qu'il avait presque terminé d'assimiler les codes de l'époque actuelle. Son pas légèrement chancelant et son regard encore hagard indiquaient d'ailleurs qu'il venait tout juste de sortir d'une session.

Face à la nécessité pour Elias de s'adapter à la société contemporaine et de saisir au plus vite l'organisation moderne des Constellations, Sahira avait choisi de recourir à une méthode peu conventionnelle. De ce que Cineád en avait compris, elle avait glané les empreintes spectrales d'Asters récemment décédés, et infusait leurs connaissances à Elias. Elle l'avait prévenu que l'opération, même exécutée avec la plus extrême minutie, pourrait lui faire perdre l'esprit.

Mais Elias était un aratós sorti de plusieurs décennies de coma artificiel. Il avait baigné plus longtemps que quiconque ne pouvait le supporter dans le suint d'innombrables générations de morts. Son esprit encaissait sans broncher les gouttes de mânes qu'elle lui inoculait.

Alors qu'il n'avait physiquement pas plus de la vingtaine, il était l'incarnation parfaite du cauchemar des Constellations, avait jugé Cineád dès leur première rencontre. De constitution élancée, il semblait coulé dans la cire. Sa nature de maudit le rendait blême, décolorait ses yeux. Ses cheveux blanchis tombaient en mèche nivéennes à ses épaules et encadraient un visage osseux, dont les lignes fuselés dessinaient la courbe des orbites. Il dégageait une sorte d'orgueil juvénile, mêlé d'ambition vorace, qu'accentuaient son nez long et ses lèvres minces.

— Il va suffire ? demanda Cineád en se détournant de lui pour faire face à l'aquarium de l'horreur.

Mu par une sorte de curiosité morbide, il s'en approcha d'un pas. Dans la vitre, son reflet apparut, vague et translucide.

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant