Chapitre 39 : Reconsidérer

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BÉTELNEUVE –


Associées aux notes flûtées de la musique d'ambiance, les LED qui illuminaient le carrelage mural anthracite et les pots de plantes grasses instauraient une ambiance profondément relaxante. Postée devant le miroir des toilettes, Thélia examinait le bleu de ses iris et de ses mèches. Encore quelques heures avant que les effets du cachet ne commencent à s'estomper. D'ici-là, la couleur qui les pigmentait ne subirait aucune variation.

Elle fit couler un filet d'eau froide dans la vasque, puis s'inclina au-dessus du marbre afin de s'asperger le visage. La fraîcheur qui dégoulina sur sa peau éclaircit quelque peu son esprit, sans parvenir à chasser le brouillard qui lui capitonnait le crâne. Résignée, Thélia quitta la pièce pour regagner le salon privé du restaurant chic dans lequel Adamer avait ses entrées.

Installée côté fenêtre, tellement penchée vers l'agent qu'elle empiétait sur son espace vital, Meesha racontait avec enjouement :

— Et là, j'entends un "Elle est là !" et comme, tu sais, ils avaient l'air vénères et qu'ils étaient beaucoup plus grands que moi, bah, je repars en courant, parce qu'ils ont aucune chance de me rattraper, sauf que... ils ont quand même essayé !

Là-dessus, l'adolescente s'affala sur la table, prise d'un éclat de rire agrémenté de grognements nasals. Bon public, Adamer émit un rire impeccable, puis se tourna vers Thélia. "Sauve-moi", articula-t-il en silence, l'œil pétillant de connivence.

— C'est l'histoire des Travas d'Hamalex ? reconnut-elle l'anecdote tandis qu'elle se glissait à la place libre près de Bélonias.

Meesha se montrait particulièrement fière de toute mésaventure dont sa vitesse lui avait permis de se tirer. Thélia avait déjà entendu à deux reprises le récit du jour où elle avait été poursuivie dans le dédale d'Hamalex.

— J'en apprends des belles depuis tout à l'heure, acquiesça Adamer en s'accoudant à la table pour scruter l'adolescente d'un air faussement réprobateur. D'habitude c'est pas à moi qu'on avoue ses délits de fuite.

Le trait d'humour fit écarquiller des yeux hilares à Meesha. Elle se redressa avec une telle brusquerie qu'elle manqua de mettre un coup de boule à Adamer.

— Délit de fuite ! Ah ! Excellent !

Alors que l'agent haussait les sourcils, surpris par la portée de sa plaisanterie, Thélia l'avertit :

— Si tu l'encourages, je peux plus rien pour toi.

Ses paroles ramenèrent un sourire aux lèvres de l'agent, qui se tourna vers elle. Il la scanna d'un œil auquel les éclairages conféraient un éclat sphène, et elle sut qu'il prenait note de la couleur de sa chevelure. Couleur qu'il n'avait pas vu fluctuer depuis qu'il était intervenu dans le parking de la gare. Il s'abstint pourtant d'émettre le moindre commentaire, et saisit le menu pour le consulter.

— Vous savez tous ce que vous prenez ?

Meesha fut la première à clamer son choix, puis elle incita Bélonias à donner le sien. Dépourvue d'appétit à cette heure de la soirée, Thélia se contenta d'une boisson. Quand le serveur venu prendre leur commande se fut éclipsé, la thaumaturge aborda le sujet qui la travaillait depuis un moment :

— Tu étais là, pas vrai ? Avant que Sylvius se montre.

La bonne humeur qui flottait sur le quatuor se tarit sous la pesanteur des événements, encore trop récents. La jovialité d'Adamer s'estompa. Sa soudaine gravité parut faire ressortir les égratignures et accrocs sur sa veste miel, laissés par les chaînes de Sylvius. Autant de preuves que si ces éraflures étaient présentes sur l'étoffe de coton et non sur sa peau, c'était bien du fait de son extraordinaire dextérité au combat. Un coude sur la table, Adamer glissa les doigts dans ses mèches hirsutes, les ramenant songeusement en arrière.

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant