Chapitre 6 : Hóplite

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MONTHECLIVES –


Au-dessus de la mégalopole, la couche nuageuse formait une masse unie, dont les boursouflures progressaient avec une lenteur pesante. Perchée sur la selle de son vélo, Thélia avait les mains moites sur les poignées du guidon, et la nuque humide sous son chignon lâche. Un air gras d'humidité, saturé des vapeurs des pots d'échappements, faisaient gondoler les plis de sa jupe.

La pluie se mit à tomber alors que la jeune femme n'était qu'à mi-chemin. Elle poussa un glapissement en rentrant la tête dans les épaules, le visage cinglé par les gouttes. L'eau ruisselait sur ses bras charnus, et giclait en gerbes sous ses roues pour éclabousser ses mollets.

Elle gagna son quartier après une grosse demi-heure de trajet. D'une pression des doigts sur les leviers de freins, Thélia fit grincer les patins du système, et exécuta un hydroplanage risqué avant de s'éjecter de selle. Elle attacha en un tournemain sa roue avant au rack mangé de rouille, avant de courir s'engouffrer dans l'épicerie solidaire située à quelques mètres.

C'était une petite boutique qui s'enfonçait en longueur entre un fast-food et un magasin d'électronique. Aucun rayon, seulement des frigos et des étalages de caissons alignés le long des murs. Les invendus des grands distributeurs finissaient là, à disposition des citoyens en situation précaire.

— Tiens, t'as les cheveux rouges aujourd'hui, observa le gérant en la voyant passer devant son comptoir.

Thélia tira une mèche ondulée entre son pouce et son indexe, pour constater qu'elle était effectivement d'un rouge carmin. Sûrement le résultat de l'ivresse de la vitesse et de son sang fouetté par l'averse, conjugués à l'effort fourni pour garder la maîtrise de ses roues.

Sa chevelure ne tarda pas à tirer sur le rose alors que la gêne et la honte qu'elle éprouvait toujours en se remplissant un cageot la rattrapait. Elle ne venait pas à l'épicerie par nécessité, mais par souci d'économie. Limiter les dépenses alimentaires était de l'argent gagné sur les budgets, moins réductibles, de produits d'hygiène et de cosmétiques, ainsi que sur les éventuels frais de santé.

À l'insu de son père, Thélia gérait ainsi leurs finances personnelles, épuisant toutes les ressources possibles afin de ne pas sombrer trop loin sous la ligne rouge. Tout en s'efforçant de ne pas laisser paraître sa mortification sur son visage – bien que ses iris et ses cheveux en étaient déjà colorés de magenta – elle alla se servir dans les caissons et les frigidaires déjà aux trois-quarts vides.

La plupart des fruits et légumes au fond des paniers avaient commencé à se gâter. La jeune femme sélectionna quand-même une grappe de tomates, quelques courgettes et une aubergine, en songeant qu'elle pourrait toujours découper les parties abîmées pour consommer le reste de la chair encore saine. Elle dénicha en outre une boîte de quatre œufs et une bouteille de lait dont la date d'expiration venait tout juste d'être dépassé.

Thélia quitta l'épicerie comme une voleuse, priant pour qu'aucune de ses connaissances ne se trouve incidemment dans les parages. Elle plia le sac cabas étanche de sorte que la pluie ne s'infiltre pas à l'intérieur puis, son panier alourdi, brava de nouveau l'intempérie jusqu'à chez elle.

Le message arriva alors que, ayant troqué sa jupe et son haut trempés contre un short en coton porté sous un vieux tee-shirt, elle s'affairait à ranger ses achats.



📩 Sylvius - 18:37

4h derrière la gare, demain matin

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant