Chapitre 36 : Miroirs

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  EVRELGUEIL –


Thélia suivit les lacets de la route esquintée afin de s'approcher autant que possible du parc, puis enjamba la glissière et traça son chemin sous les ramures des chênes, des pins et des santals blancs agitées par le vent. Une bourrasque plus virulente que les précédentes fit couler un flot de bruine au fond de la vallée. La canopée grinça et mugit.

Pegasi couvrait une trop grande étendue pour que l'URIAA n'en quadrille chaque recoin. Depuis les hauteurs, Thélia avait constaté que la brigade préférait resserrer ses filets sur une poignée de secteurs à l'intérieur du parc. Elle put gagner le grillage camouflé par une haie en cruel manque d'entretien sans craindre d'être repérée. Essoufflée, la transpiration lui ruisselant dans le dos, elle longea l'enceinte jusqu'à une ouverture – pratiquée à la pince par de précédents intrus – à travers laquelle elle s'infiltra. Dès qu'elle se redressa, elle remonta sur son nez le masque sanitaire en tissu noir qu'elle avait emporté.

Devant elle, les montagnes russes suspendues, la grande roue et les tours à nacelles dressaient leur ossature métallique contre le ciel de plomb. Le vent s'écoulait entre les charpentes mangées de rouille avec un sifflement lugubre. Sans s'accorder le temps de reprendre haleine, Thélia s'engagea au pas de course dans la première allée venue. Son cœur tambourinait de manière frénétique mais résolue dans sa poitrine. Elle s'arrêta devant le plan des lieux afin de lire la carte déteinte par des années d'ensoleillement.

Son unique chance de trouver Belonias avant Haxc, avant l'URIAA, avant l'hõplite à la vitesse redoutable.

Elle fit hâtivement courir son index sur la vitre jusqu'à s'immobiliser sur le point qu'elle s'attendait à trouver. Le Palais des miroirs. Un afflux d'empressement et de nervosité l'électrisa. Là. Il était là.

L'une des particularités les plus cruciales de l'Arété de Belonias était son entière dépendance aux reflets. Le garçon n'en possédait pas. Chaque fois qu'il se positionnait devant une surface réfléchissante, c'était l'entité chaotique qui lui apparaissait. Pour libérer ce dernier, il leur suffisait d'échanger de place. Khaos ne pouvait alors évoluer que dans l'espace reflété par la glace dans laquelle s'était retiré Belonias.

Thélia repartit en courant. Elle dépassa des autos-tamponneuses immobilisées depuis si longtemps que des herbes folles poussaient sur la piste et que les sièges pourrissaient, longea une maison hantée dont le rideau de velours masquant l'entrée n'était plus qu'un haillon terne, et finit par repérer les miroirs, pour la plupart intacts, de l'attraction installée au beau milieu d'un carrefour. Contigus les uns aux autres, ils étaient disposés selon un agencement complexe qui permettait de refléter à l'infinie les six rues et les manèges alentours. La forteresse idéale pour Belonias.

La thaumaturge s'apprêtait à se précipiter vers l'attraction, lorsqu'une silhouette se découpa dans la bruine. Un torse nu et athlétique à la peau cuivrée, une profusion de boucles blanches, malmenée par le vent, qui cascadaient jusqu'à ses omoplates, des yeux aux orbes entièrement écarlates : Khaos se tenait à deux-cents mètres d'elle, comme une apparition d'un autre âge. Une pièce de tissu noire était drapée autour de ses épaules. L'étoffe flottait dans son dos et s'enroulait autour de ses hanches.

Thélia songeait à se diriger prudemment vers lui, quand des raies rubescentes tranchèrent la poussière d'eau pour marquer de points de visée le front et la poitrine de l'entité.

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant