PROLOGUE

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Il ne savait plus son nom.

La stase comateuse qui lui tenait lieu de camisole avait effacé jusqu'à sa conscience identitaire. Il n'était plus qu'une entité brute enterrée dans les plus profondes strates de la capitale. Le temps avait étiolé ses pensées et ses sens.

Tout juste distinguait-il la pression des sceaux occultes qui l'emprisonnaient.

Tout juste parvenait-il à maintenir sa perception de l'Éther. Ce flux impalpable et ésotérique provenu des confins de l'univers, qui s'épanchait dans l'atmosphère, roulait sur la terre, s'infiltrait dans les sols. Tout ce qui existait de minéral et d'organique s'en trouvait imprégné à des degrés divers, sans qu'aucun outil ni aucune science ne puisse le déceler.

C'était la genèse des merveilles, le précurseur de l'extraordinaire.

Avant de se trouver diminué à ce point, il aurait pu s'en abreuver. À l'instar de la poignée d'individus sensibles à l'Éther, dont l'âme, noyau d'énergie vitale, résonnait avec ce flux brut pour le convertir en leur énergie propre : l'Essence.

Or cette résonance, cette connexion avec les forces invisibles, autrefois aussi naturelle pour lui que de respirer, avait été rompue. Un barrage puissant lui en interdisait l'accès.

Il n'en avait plus qu'une conscience lointaine et vague. De la formidable quantité d'Éther brassée à Bryvas, loin au-dessus de lui, il ne captait que les sédiments. Mais ce n'était pas après les rebuts des vivants que sa conscience amoindrie en avait.

Un tribut lourd devait continuellement être versé afin de le contenir. Afin de nourrir les sceaux qui l'affaiblissaient.

Voilà pourquoi ils l'avaient enfermé parmi leurs morts. Au cœur de leur caveaux séculaires, l'Essence libérés par les défunts, génération après génération, constituait un véritable gisement d'énergie.

Prisonnier de ce dédale d'ossements qui lui tenait lieu de cellule, coupé de son pouvoir et de ses pensées, il peinait à se concentrer sur une unique tâche : ronger à petit feu les sceaux qui le retenaient. Une opération lente et fastidieuse. Il lui arrivait de se laisser dériver dans les limbes de l'inconscience, et de perdre le fil.

D'abord, il lui avait fallu attirer à lui l'Éther sépulcral. En se faisant gouffre, réceptacle, pour générer un appel d'air suffisamment puissant. De sorte que l'énergie qui nourrissait les verrous affluait avec plus de virulence, les soumettant à une pression continuelle. Le cercle vicieux était établi.

Il avait continué à aspirer jusqu'à ce que les premières gouttes lui parviennent, à travers les infimes défaillances des sceaux. S'était alors entamé un long travail d'accumulation et d'appropriation de cet Éther tiré à même la moelle des dépouilles. S'il n'avait pas été privé de toute capacité physique, ce bain glacé et mortifère l'aurait mis à l'agonie. Son âme avait rué et crachoté contre l'empoisonnement auquel il la soumettait. Puis elle s'était racornie, embobinée dans les fils sirupeux d'un cocon de soie noire.

Il avait eu l'impression d'avancer poussière par poussière, sans la moindre idée de la corrosion qu'il lui restait à effectuer.

Et subitement, le tissage des sceaux lâcha. La compression qui le maintenait depuis si longtemps s'allégea. L'accès à l'intégralité de la source d'Éther fut une décharge inouïe. Il grésilla. Avant d'y plonger comme à plein bras, à pleines dents.

Saturé de puissance, il libéra son pouvoir corrompu par le sacrilège. Le sarcophage de basalte implosa ; l'onde de choc se propagea en secousse dans les ténèbres. Tous les os alentours se craquelèrent en grinçant. Le fracas à ses oreilles, premier bruit qu'il entendait depuis ce qui lui semblait une éternité, fut un régal.

Il retrouvait ses sensations toutes à la fois. La pesanteur de son corps. La sécheresse de sa peau sous la membrane minérale que fendillait ses mouvements. Sa cage thoracique se souleva d'une première inspiration. Il inspira une goulée d'air âpre et poussiéreuse. Puis une toux sèche l'ébranla, et une grimace plissa son visage. Ses cils encroûtés battirent. Ses yeux fixèrent l'obscurité. Étendu au milieu des débris, il écouta son cœur battre.

Un crissement de semelles lui parvint alors. Des pas approchaient. Un halo de lumière poignit, esquissant les contours des ossements.

Il se redressa. Des filets de poussière chutèrent de ses cheveux. L'individu qui approchait était l'un de ses semblables, perçut-il. Qui qu'il puisse être, il se tenait prêt à remporter les hostilités.

— Élias Marcdargent ? appela une voix.

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant