Chapitre 26 : Approche

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VARMANTEUIL –



Le Baroudeur était loin de l'esthétisme classieux et raffiné dont raffolait Oswald. Néanmoins il en était venu à trouver un certain charme à ce bar aux airs de chantier nocturne. L'intérieur de béton brut, aux piliers esquintés, laissait entrevoir l'acier de la charpente par endroit. Des bandes de LED éclairaient la salle, suspendues en rubans incandescents. La plupart des cloisons avait été abattues, de sorte que les pièces supérieures s'ouvraient directement sur la salle.

Uniquement accessibles par une travas, les lieux servaient de repère aux activités clandestines. Personne ne tiqua donc quand Oswald y pénétra sous son costume de Charlatan. Fedora à galon de soie cuivrée vissé sur ses boucles, gilet de costume boutonné, il monta sur une table libre d'un bond souple et plein d'entrain. Derrière les fentes en verre fumé de son masque, il parcourut les consommateurs du regard et ouvrit les bras.

— Mesdames et messieurs, bonsoir, salua-t-il, sa voix modifiée par l'abraxas qui couvrait sa figure portant à travers le bar. Vous me reconnaîtrez si vous avez suivi mon intervention à la réception des Achernar : je suis le Charlatan !

Son allocution lui valut des regards défiants et réservés. Debout sur la table de métal recyclé, baigné par la blancheur froide des néons, il était loin de la moire chamarrée des projecteurs nimbant les fauteuils de velours et du tonnerre d'applaudissements percés de sifflements stridents auxquels il aspirait. Depuis le comptoir, Malachias Saan, le propriétaire du Baroudeur, le surveillait du coin de l'œil, prêt à intervenir s'il causait du grabuge. Oswald reprit sans se laisser ébranler par la tiédeur de l'accueil :

— Ne vous alarmez pas, je ne suis pas ici pour polluer vos verres. Je m'adresse à vous ce soir au nom de Rigel. Si je viens à votre rencontre, ce n'est que pour recueillir vos griefs et doléances à l'égard des Constellations. J'invite donc toutes celles et ceux qui, en nourrissent, à venir me retrouver à cette table. Qui sait ? Peut-être pourrons-nous trouver un accord mutuellement avantageux...

Là-dessus, il exécuta une révérence et redescendit de son perchoir. Malachias le guigna avec un calme vigilant tandis qu'il s'approchait du comptoir. Quadragénaire doté d'un visage sec et osseux, il présentait une barbe de trois jours et des avant-bras tatoués. Depuis sa paupière jusqu'à la racine des cheveux, une tâche laiteuse s'étalait, contrastant subtilement avec sa carnation bisque. La dépigmentation frangeait son œil droit de cils nivéens et tranchait sa chevelure brune d'une touffe de mèches blanches.

— Sacrée mise en scène, commenta-t-il quand Oswald posa ses mains gantées sur le zinc.

— Oh, ça ? Ce n'était rien. Guère plus qu'une criée de rue. Un Apollon, je vous prie.

— Je vous ai déjà vu par ici ?? l'interrogea le non-Aster avec détachement en lui glissant son verre.

— Je ne porterais pas ceci si je pouvais vous répondre, répliqua Oswald, une ébauche de sourire aux lèvres, en tapotant la surface lisse et miroitante de son masque.

De retour à sa table, il se tapit dans un pan d'obscurité afin de retirer la partie inférieure de l'abraxas. Une simple pression sous le bord abritant le loquet suffit à activer le mécanisme de séparation. Sous le feutre de son chapeau et l'étoffe douce qui entourait son crâne pour faire tenir son masque en place, son cuir chevelu devenait moite. Il apprécia de sentir sa mâchoire exposée à l'air libre.

Comme il l'escomptait, il se retrouva à siroter sa boisson sans que les clients n'osent l'approcher. La plupart s'obstinait à ignorer sa présence. Le reste murmurait entre eux en lui lançant des regards par intermittence. Il se doutait pertinemment qu'il ne les intimidait pas assez pour les dissuader de l'aborder. C'étaient les Constellations qu'ils redoutaient.

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant