Chapitre 27 : Influence

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VARMANTEUIL –


Les lumières étaient éteintes et les stores abaissés derrière la vitrine du bistrot. Kaya et Isaac y entrèrent bien après l'heure de la fermeture. Dans la pénombre du crépuscule se distinguaient les pieds des chaises relevées sur les tables. Une senteur chimique de produit d'entretien remplaçait celle de la viande rouge tout juste cuite. Seul le bar demeurait éclairé. Le propriétaire se leva précipitamment quand ils poussèrent la porte et s'avança à leur rencontre.

La face burinée et sillonnée de rides creusées par l'alcool et la fatigue, il possédait néanmoins une carrure robuste. Serge Blodis échangea une poignée de main vigoureuse avec le dirigeant des Régulus, avant de tendre sa paume rugueuse à Kaya. Elle profita qu'il lui écrasait les doigts pour tenter de le sonder. La première chose qu'elle constata fut la perte de finesse discriminative que subissait son Arété, près de deux semaines après la reprise de son traitement. Les sensations et émotions de Serge la gagnèrent en une masse brouillonne. Elle eut tout juste le temps de capter le stress induit par la présence des Régulus dans son établissement, ainsi qu'une pointe de curiosité étonnée à son égard, avant que leurs mains ne se séparent.

— Qu'est-ce que je vous sers ? s'enquit-il ne leur faisant signe de s'installer à la seule table encore dressée. J'ai un rhum arrangé maison qui cartonne !

— Va pour le rhum arrangé, accepta volontiers Isaac en prenant place. Comme ça va, Serge ?

Le non-Aster dodelina de la tête en revenant avec une bouteille dépourvue d'étiquette et au bouchon oxydé. Des bâtons de vanille, des graines de grenade et des cerises flottaient dans le liquide rubicond. Kaya se laissa servir un verre sans broncher.

— J'suis à bout, lâcha Serge tandis que les effluves douceâtres de l'alcool parfumaient l'atmosphère. J'suis fauché !

Au-dessus de son verre, Isaac émit un son de gorge profond comme un rauquement de fauve.

— J'espère que tu es assez malin pour ne pas tenter de m'amadouer avec des jérémiades. Parce que je t'assure que ça fera pas baisser les frais de protection.

— Nooon ! Non, non, non ! s'empressa de nier Serge. J'voulais pas parler d'la taxe, je la paie toujours, j'vous assure !

Kaya trouvait toujours frappant que des types possédant le double de l'âge d'Isaac et d'apparence bien plus mûre et éprouvée que le jeune trentenaire qu'il était s'aplatissent ainsi devant lui. Agité, le gérant se passait sans cesse la main sur son crâne aux cheveux ras.

— C'est pour un emprunt, alors ? supposa Isaac après avoir fait claquer sa langue contre son palais derrière une gorgée de rhum.

L'esthésive identifia avec un temps de retard l'embrouillamini d'émotions qu'elle avait perçu chez Serge.

— C'est pour un service, corrigea-t-elle, désireuse d'écourter les explications. Une revanche, pas vrai ?

Le propriétaire la fixa avec stupéfaction avant d'hocher frénétiquement du chef.

— Ouais. J'veux récupérer ma thune.

— Et elle est où, cette thune ? interrogea-t-elle en appuyant l'avant-bras contre la table pour se pencher vers lui.

Inconscient qu'elle cherchait à attirer son attention, Serge réagit exactement comme elle l'escomptait et répondit en la regardant dans les yeux :

— J'l'ai prêté. À ma sœur. Enfin c'est son mari qui la poussait à réclamer, ce crevard ! J'vais l'attraper ! Ça se fait de l'argent sur le seul bosseur de la famille !

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant