Chapitre 32 : Cineád

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– BÉTELNEUVE –


Au sortir de la clinique, Kaya éprouvait systématiquement l'impression de respirer plus aisément. Mettre les pieds dans un centre médical lui faisait toujours l'effet d'être en apnée. Ses examens annuels n'avaient rien de bien pénible, et ses derniers bilans s'avéraient plutôt positifs, mais ils constituaient un rappel régulier de sa condition. Ces derniers temps, elle appréhendait davantage les rendez-vous trimestriels, et avait annulé le plus récent au prétexte d'un empêchement.

Soulagée de quitter l'établissement aux couloirs impersonnels pour retrouver les boulevards animés de Bételneuve, elle plissa les yeux sous le soleil et respira à pleins poumons l'air brûlant. Quitte à s'emplir les bronches des émissions carbones.

Elle retrouva Raphaëlle en terrasse de la place Asterope. Alors qu'elle s'installait, une ambulance passa en trombe sur la route attenante, noyant les conversations sous les deux tons assourdissants de sa sirène. Une agitation intangible troublait l'après-midi, nota Kaya. C'était le troisième véhicule d'urgence qu'elle voyait filer depuis qu'elle avait quitté la clinique. Sans compter l'hélicoptère. Or, dans une métropole constamment en effervescence telle que Bryvas, ce genre d'occurrence n'avait rien de surprenant.

Désireuse de se détendre, elle occulta l'extérieur, pour ne plus se concentrer que sur les chroniques fraîches de Raphaëlle à propos du beau kiné qu'elle fréquentait depuis quelque temps. Les vibrations répétitives du smartphone de la Vessarias finirent par interpeller Kaya. S'apercevant de son coup d'œil agacé, Raphaëlle le retira de la table et le fourra au fond de son sac sans prendre la peine de consulter l'écran.

— Avec qui tu prends tes distances ? voulut savoir l'esthésive. Ton père ou la Constellation ?

— Tous. Je les emmerde. Ils peuvent se débrouiller une journée sans moi.

Elle s'alluma une cigarette sur laquelle elle tira avec humeur. Le serveur en tablier noir apporta leurs boissons à l'instant où elle soufflait sa fumée.

La place fut alors balayée par une impulsion qui roula sur Kaya de toute sa force délétère. Elle eut un hoquet. Les bordure de son champ de vision s'assombrirent. Tétanisée par le malaise qui lui retournait l'estomac, elle ne put que s'agripper à la table en attendant que passe le courant chargées d'esquilles d'Éther.

— Kaya ? Qu'est-ce qu'il t'arrive ? s'inquiéta son amie. T'es toute blanche !

Elle déglutit avec peine, puis expira un maigre filet d'air entre ses lèvres.

— T'as pas senti ?

— J'suis pas esthésive, moi. Qu'est-ce qu'il y a ?

Avant qu'elle ne puisse préciser son ressenti, une vague d'émoi parcourut les terrasses. Les consommateurs se levèrent pour se rapprocher des télés allumées dans les salles. Le volume augmenta de quelques crans. Des "oh, putain !" articulés sous le choc montèrent.

— La verrière ! s'exclama quelqu'un d'autre.

Saisies du même pressentiment, les deux Asters s'entre-regardèrent. Raphaëlle fut la première à sortir son portable, et tendit l'un de ses écouteurs sans fil à Kaya. Elles se penchèrent toutes les deux au-dessus de son écran, pour suivre le flash d'information. Les caméras, braquées sur le Palais Polarós, montraient l'édifice noyé dans un nuage de poussière brune. Tout autour clignotaient les gyrophares des ambulances et des voitures de police. Des fourgons de l'URIAA envahissaient les lieux. La superbe verrière avait été soufflée. Seuls se devinaient quelques tronçons d'armature métallique, saillant comme des côtes brisées.

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant