(Nils)
Dans l’impossibilité de contrôler mon stress, j’ai fait appel, comme d’habitude à Hugo. Ma confiance en lui est totale, jamais il ne m’a raconté de mensonges.
—Tu sais qu'à force de faire des aller retour sur ce lino, il te faudra le changer quand tu vas quitter l'appartement !
—Très drôle ! Je dois me présenter devant le directeur jeudi !
—Tu devrais sauter de joie, alors ! Tu attends ce rendez-vous depuis plus de six mois si je ne me trompe pas.
—Tu te rappelles de ma décision ?
—Nous en avons parlé tout l'été donc, oui, je m'en souviens. Ne t'avise pas de me dire que tu as changé d'avis !
—J'étais persuadé de ne pas être dans la liste des sélectionnés.
—Ton incroyable confiance en toi est au meilleure de sa forme, on dirait ! Penses- tu réellement qu'un directeur choisit d'embaucher un éducateur spécialisé par rapport à sa tenue vestimentaire ?
—Ils ne donnent certainement pas la raison du refus.
—Nils...Nous nous connaissons depuis combien de temps, toi et moi ? Réfléchis bien à ta réponse, je te prie. Je suis moins sportif que toi mais garde en mémoire que je peux cacher mon jeu, dit-il avec son petit ventre rondouillard.
Je me contente de sourire. Hugo a cette capacité de me faire réagir.
— Et si celui-ci est homophobe ?
—Attends, il faut que je m’assure de bien comprendre ton cheminement de pensée ! Il est toujours question de ton apparence ? De ta personnalité que tu restreint ?
Mon pied qui bat la mesure au sol ainsi que le sourire que je tente de contenir ne le freine pas. L’air enjoué, il fouille ses poches, en extirpe son portable et fait défiler les vidéos. J’ouvre la bouche prêt à contester.
—Stop, lâche-t-il. Sa main accroche mon bras et me tire devant un panneau en liège recouvert de petits papiers de différentes tailles et couleurs. Dois-je te montrer duquel je parle ?
—Hugo…
—Nan, gronde-t-il entre deux grimaces. Pas question que tu y échappes, mon bonhomme. J’ai sacrifié deux rencards absolument merveilleux pour remplir ces papiers. Te rappelles -tu ce que nous avions convenu ?
— En cas d'une rechute, lire le papier correspondant, annoné-je en levant les yeux au ciel.
— Parfait. Bon garçon. Dois-je te souffler le numéro ?
— Deux, chuchoté-je.
— Je n’entends rien.
—Deux, dis-je à haute voix cette fois. Vas-tu arrêter de m’infantiliser ?
—Je ne fais que ce que tu m’as supplié de faire afin, je te cite, que plus jamais tu ne caches ta personnalité dans un carcan. Si tu vas à cet entretien avec une tenue que tu détestes, tu camoufles le Nils que j’adore, que tous ceux qui te connaissent adorent. Ce pense-bête existe pour te le rappeler.
—Et s'il ne m’embauche pas ?
— Ce n’est pas ainsi qu'il faut réfléchir. Imagine qu'il embauche cette fausse image de toi. Comment vas-tu pouvoir être toi avec cette carapace qui t’empêche de l'être ? Où places-tu dans cette équation celui que nous connaissons ? Celui qui est sur chacune des photos au mur ? Souriant, les yeux brillants de plaisir, vêtu d’habits plein de couleurs, notre incroyable rayon de soleil ?
[Deux jours plus tard ]
Après un dernier sourire, un poil tendu, je sors de la voiture d’Hugo. Il m’a proposé de rester dormir pour éviter l’angoisse du matin mais j’ai refusé. Le portail est fermé m’a dit la secrétaire qui m’a contacté. Je dois me signaler via la sonnette lorsque j’arrive. Allez Nils, me dis-je à moi-même ! Montre -lui qui tu es.
—Bonjour. Je suis monsieur Favre. J'ai rendez-vous…
—Avec Monsieur Train, je viens vous ouvrir.
A peine quelques instants plus tard, une jeune femme traverse la cour, des clefs à la main. Son visage affiche un grand sourire qui me plait bien.
—Il me tarde que cette cour résonne des rires des enfants ! Cela semble vide et triste pendant les congés.
—Je me ferais une joie de vous donner mon avis si je corresponds au profil, dis-je en essayant de camoufler mon stress par un sourire.
—J’y compte bien, réplique-t-elle tout sourire. Installez-vous ici, dit-elle en me désignant une pièce où quelques chaises sont collées au mur. Cela ressemble à une salle d’attente de médecin mais ce n’est pas le cas ! D'ici peu de temps, il y aura tant de dessins accrochés là qu'il sera impossible de voir le mur !
L’attente est de courte durée et heureusement car mon stress a tendance à monter en puissance. Deux hommes franchissent la porte et échangent une poignée de mains.
—Monsieur Favre ? me questionne l’un des deux. Veuillez me suivre, s'il vous plait.
Je le suis dans un bureau très lumineux grâce aux deux fenêtres donnant, si je ne me trompe pas, sur la cour par laquelle je suis arrivé.
—J’ai souhaité vous rencontrer car votre parcours est différent de tout ceux que j’ai reçu depuis presque deux mois. Votre expérience dans des centres de vacances et foyers d'enfants est rare. Pouvons- nous en discuter ?
—Bien entendu. Mon parcours peut vous sembler atypique, il est en fait d'une grande banalité, dis-je en faisant une grimace qui fait sourire mon interlocuteur. Mes parents n'ont eu qu'un enfant. Très vite, ils ont compris mon besoin d'être en contact avec d'autres enfants. Peut-être que le fait d'un débit de paroles excessif combiné à une énergie incontestable les a motivés à chercher des solutions originales. Entre vous et moi, je n'ai jamais réussi à leur faire admettre que je les épuisais !
Son éclat de rire me donne envie de le serrer dans mes bras. La suite de l'entretien où j'évoque avec moults détails mes diverses expériences dure presque deux heures.
—Vous vous doutez que je ne suis pas seul à décider mais votre dossier a fait l'unanimité. Je suis désolé à l'idée de ne pas pouvoir profiter de votre présence.
—À cause de votre poste de directeur ?
—En quelque sorte. J'occupe ce poste depuis plus d'un an, suite à l'arrêt maladie du véritable titulaire. Monsieur Vernet devait gérer le recrutement de deux éducateurs spécialisés mais hélas un souci personnel l'en a empêché. Cependant, à la rentrée c'est lui qui sera là.
—Est-ce Monsieur Vernet qui me contactera ?
—Vous devriez recevoir un courrier ou un mail d'ici le milieu de la semaine prochaine. Miriam, notre secrétaire a vos références, c’est elle qui s’ en chargera, précise -t-il en se levant.
Lorsque je m’installe sur le siège passager, Hugo m’examine.
— Comptes-tu faire durer le suspens longtemps ?
—Je crois que l’entretien s’ est plutôt bien déroulé, mon profil a fait l’unanimité, paraît-il. Je le saurais la semaine prochaine.
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Percuté par le soleil
RomanceAprès un long arrêt maladie, Gaetan revient au travail. Son poste de directeur adjoint à l'IME l'attend. Costume sombre, chemise blanche, cravate, rien dans son apparence n'inspire la joie de vivre. Suite à un entretien avec la direction, Nils a dé...