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(Gaëtan )

Je suis très stressé lorsque j’arrive au centre ce matin. Le directeur malgré ses promesses n’a rien verbalisé avec Sophie sur le programme des jours à venir. A ma dernière visite, j’avais entamé le sujet. Très brièvement. Pourtant son sourire est la première chose que je remarque. Large et immédiat dès que je franchis la porte. Dans les options auxquelles je m’étais préparé, j’avais omis celle-ci. Stupide de ma part car Sophie l’affiche régulièrement à mes côtés. Les options pleurs et cris étaient celles que je redoutais le plus, j’allais tout mettre en œuvre pour les éviter. 

Elle écoute chacun de mes mots, concentrée. J’ai réglé tout le côté administratif avant de la rejoindre. Ses affaires sont prêtes et rangées dans le coffre. Il ne nous reste plus qu'à prendre le chemin de notre chez nous. 

— C'est un voyage un peu long. As-tu envie d'aller aux toilettes ? 

Je réalise que je l'ai peu souvent interpellée auparavant. Le fait qu'elle ne parle pas ne signifie pas qu'elle ne comprend pas. Bien au contraire. Elle me regarde et hoche affirmativement la tête. 

—Viens, je t’y amène, dis-je en lui tendant la main.

Va-t-elle la prendre ou juste me suivre. Hier, François m’a envoyé des vidéos sur des propositions d’aides pour enfants muets quand on ne sait pas signer. Je tente, peut-être maladroitement, de mettre en pratique. Quand sa main se glisse dans la mienne, je dois me retenir pour ne pas exploser de joie. Arrivés devant la porte, je réalise à quel point mon manque de contact avec de jeunes enfants peut devenir gênant. 
Un comble quand même pour le directeur d'un IME, non ?  J'imagine la tête de Miriam m’entendant lui poser les questions qui me trottent dans la tête. Est-ce qu'une petite fille de son âge sait gérer les toilettes seule ? Dois-je l’aider à se déshabiller ? À s’essuyer ? 

Sophie se charge de répondre à sa façon puisqu’en l’espace de quelques secondes, elle est assise sur les wc. Que je sois là ne semble pas la déranger puisque la porte est grande ouverte. Sa façon maladroite et très généreuse pour attraper le papier toilette démontre une certaine habitude. Il est évident que son père a dû veiller à lui apprendre. Lorsque nous arrivons au pied de la voiture, aucune hésitation de sa part, là encore. Lorsqu’elle découvre le siège auto, elle ne met pas longtemps pour l’escalader. Grâce à un entraînement intensif à l'achat de l’engin, je l’attache dans les règles de l’art du premier coup. Dans le sac sur la banquette, je sors le lapin qui ne la quitte jamais. Elle le prend sur ses genoux d'un air satisfait.

—En route !  

La première demi-heure, je n’arrête pas de jeter un œil sur ma passagère dans le rétroviseur. Sanglée dans son siège auto, elle profite du paysage. Habituellement, je conduis avec un fond musical histoire de rompre la monotonie rapidement abrutissante. Je fouille dans ma mémoire de nos dernières vacances tous les trois. Une surgit très vite car elle est pleine de joie : Une virée vers la mer dans la jeep d’Arnaud, la petite chantant sur la musique des sons sans queue ni tête,  imitant les beuglements de son père. Il va falloir que je me mette à la page pour concocter des playlists.

La longueur du trajet, le ronronnement du moteur, la musique en sourdine ont eu raison de la petite. Le lapin coincé contre elle, elle dort profondément. J’hésite même à sortir le peu de bagages pour éviter d'y revenir et la laisser seule. Imaginer son angoisse en se réveillant déboussolée et seule me suffit pour changer d’avis. 

—Sophie, chuchoté-je en lui chatouillant l’avant-bras. Nous sommes arrivés. 

L’espace de quelques secondes, je repère dans son regard l'étonnement. Rien d’anormal, elle se réveille. D’ailleurs, son sourire revient immédiatement et elle cherche à se détacher.

—Allez, je te libère, petit diablotin. 

Elle ne met pas longtemps pour descendre de la voiture, je n’ai à peine eu à l’aider. Dans la cour où j’ai stationné la voiture, elle joue la curieuse, le regard aux aguets. Sans avoir réellement organisé quoique ce soit, mon idée était de vider le coffre pendant qu’elle découvrait l’espace extérieur. Certes, par rapport à leur maison, la cour est petite mais il existe un parc de l’autre côté de la rue. Elle me fixe, et impatiente se dirige vers la porte où elle m’attend. 

J’ai à peine ouvert qu’elle se précipite, me bousculant presque pour passer. Elle s’élance dans le couloir, pénétrant dans chaque pièce pour en ressortir immédiatement. Le sourire devient grimace quand elle revient vers moi une fois toutes les pièces visitées. Elle s’accroche à ma jambe qu’elle roue de coups de poings d'une rage qu’elle ne semble plus contrôler. 

Il me faut du temps pour comprendre sa déception. A aucun moment, je n’y ai pensé. Elle ne s’oppose pas quand je la soulève du sol pour la serrer contre moi. Dans la salle, je m'installe sur le canapé la tenant blottie contre mon buste. 

—Je suis désolé ma puce. C’est de ma faute, dis-je à mon tour en larmes. C’était si évident pour moi que je n’ai même pas pensé à en parler. Ton papa ne se trouve dans aucune des pièces de cette maison. Il est pourtant avec nous, j’en suis certain. 

La crise de larmes l’a épuisée. Après avoir posé un plaid sur son corps menu, j’ai vidé la voiture et rangé les affaires. J’aurai bien moi aussi hurlé ma peine.

Percuté par le soleil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant