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( Gaëtan )

Je pose le papier sur mon bureau. Si je continue à le triturer, les noms dessus deviendront illisibles. Les deux portent le même patronyme. Deux frères ? Qui font tous les deux du babysitting ? Je n'ai pas énormément de connaissances sur ce sujet. A part Arnaud, je ne fréquente aucun couple marié ou avec des enfants jeunes. Ma méconnaissance d'un profil type ne m'aide pas. Est-ce habituel des hommes qui gardent des enfants ? La personne qui me gardait lorsque mes parents étaient au travail était, dans mes souvenirs, une dame plutôt âgée qui n'aimait pas trop les jeux de société. Elle préférait les sorties au parc en bas de la maison où les quelques jeux classiques me donnaient l'occasion de me dépenser sans grands risques pendant qu'elle discutait avec d'autres femmes. La présence d'autres enfants me plaisait bien puisque le reste du temps j'étais seul. Je tentais de me souvenir du visage ou des prénoms des quelques personnes gravitant autour de Sophie. À part Arnaud et sa femme Estelle, aucun nom ou visage ne me viennent à l'esprit. En plus d'être amis depuis l'adolescence, nous nous sommes régulièrement croisés dans notre secteur professionnel. Arnaud ne travaillait pas avec les enfants ni dans le secteur médico-éducatif. Son job à lui, était de dessiner les plans des structures. Toutes mes réflexions ne me donnent aucunes informations sur ce que j'aimerai savoir. Qui sont ces deux personnes ? Puis- je leur faire confiance ? La seule personne à même de me renseigner est Nils. Un coup d'oeil sur l'horloge me conforte dans mon idée. Sans le déranger longtemps, j'aimerai discuter quelques minutes après le départ des enfants.

Arrivé devant la salle, j'aperçois l'éducateur. Encadré par deux jeunes enfants, il leur montre des photos et pointe du doigt des parties. Sur la table devant eux, des petites cartes de différentes couleurs et des objets de différentes formes. Je suppose que l'exercice consiste à retrouver ce que Nils montre. Sophie est très douée à ce genre d'exercices. Même si elle ne parle plus, son cerveau fonctionne très bien. Le jeune garçon met du temps à trouver sans que Nils perde son calme. A l'aide d'indices donnés ou par lui ou par la petite fille assise, elle aussi, à la table, dans un cri joyeux, il le montre du doigt. L'attraper ne semble pas plus facile, ses doigts déformés ne se referment pas facilement sur l'objet désiré mais au bout de quelques tentatives, ce qui de ma place ressemble à un dinosaure est brandi avec enthousiasme. Les petits cris de joie des deux enfants ainsi que les encouragements de l'éducateur me font sourire.

Il redresse la tête et m'aperçoit .

- Ania, tu es nommée responsable, explique-t-il à la petite fille. Choisis une carte et fait travailler Éric. Je dois parler avec ce monsieur quelques instants.

- Bonjour. Ils sont très à l'écoute, remarqué-je lorsqu'il se rapproche de moi.

-Bonjour. Ils ont surtout une envie insatiable d'apprendre. C'est au sujet des baby sitter que vous souhaitez me voir ? demande -t-il en désignant l'enveloppe que j'ai dans la main.

- Oui. Vous est-il possible de passer à mon bureau à la fin de la journée ?

- Bien entendu. Pas avant 17 heures, je vais avoir toute la classe à ranger pour demain. Lise sera présente en milieu de matinée mais seulement en soutien. Ce matin, ils ne sont que trois.

- Trois ? Je n'en vois que deux.

-Martin, un des nouveaux arrivants, était fatigué ce matin. Je lui ai proposé le coin lecture. Il a sombré, il y a un petit quart d'heure, précise-t-il en regardant sa montre. Éric et Ania ont besoin d'une présence plus importante que lui, il pourra nous aider dès qu'il sera réveillé.

-Vous aviez déjà travaillé en autonomie ?

- Ici ? Non. Fabien et Lise sont rarement loin. Au cours de mes stages et ma formation, par contre c'était régulier. Et, je dois l'admettre, assez angoissant. Mes interventions ne nécessitent aucun objet contondant mais parfois de simples mots ou gestes blessent tout autant. Ils commencent à se chamailler, il est préférable que je les rejoigne.

D'un mouvement souple, il tourne les talons. Je n'ai que le temps d' apercevoir son dos. Sa chemise, d'un ton jaune très joli laisse apercevoir sa charpente musculaire. Certes, il est très loin de posséder la carrure de Fabien, mais elle ne jure aucunement avec le reste de sa silhouette.

(Nils )

La matinée a défilé très vite. Martin nous a rejoint, la mine un peu moins chiffonnée. Le jeu des pièces à retrouver et surtout à saisir était simple pour lui, je redoutais qu'il s'ennuie. Au contraire, son attention était entière et très vite, il a relayé Ania.

A l'arrivée de Lise, la fatigue se faisant sentir, Éric et Ania se sont installés à leur tour au coin repos/ lecture. Occuper Martin n'est pas difficile, nous avions constaté dès le premier jour qu'il n'était pas à sa place. La seule raison de sa présence était dû à un concours de circonstances. Rester en service hospitalier n'avait plus aucun sens, ses blessures physiques ne nécessitant que des soins kiné. Une prise en charge dans un établissement scolaire "classique "serait difficile dans un premier temps. L' IME, peu éloigné du domicile des parents et disposant d'un psychomotricien avait évidemment fait consensus. Dès la première journée, il était apparu évident que Martin aurait besoin de livres adaptés. Très éveillé naturellement ou un peu trop sollicité , qu'importe ! Le jeune garçon aimait apprendre et risquait de s' ennuyer très vite.

- Bonjour Martin. J'ai une surprise pour toi, annonça Lise, les bras chargés par un carton. J'ai fouillé les placards des copains et copines pour trouver des livres d'activités à ton niveau. Nils et moi pourrons te préparer des exercices à pratiquer chez toi, les jours où tu ne seras pas ici. As-tu quelqu'un pour t'aider à la maison ?

-Papa ou maman selon les jours. Et madame Marie, la voisine, précise-t-il en faisant la grimace.

-Que veut dire cette moue ?

-Elle préfère que je dessine.


Percuté par le soleil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant