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( Gaëtan )

— C’est Fabien, Nils est avec un groupe dehors. Je lui dis de te rappeler.

Et il raccroche. N’a-t-il pas entendu ce que j’ai dit ? Ou, plus vraisemblablement, il n’a pas fait attention aux mots que j’ai lâché dans un souffle. Mes mains tremblent encore tant je suis sous le choc. Heureux bien entendu, comment pourrait-il en être autrement ! Inquiet un peu aussi de ce qui va obligatoirement se produire. Il est inévitable qu’elle me pose des questions. Le contraire ne serait pas normal. Toutes ces informations grouillent dans ma tête au point que lorsque mon téléphone sonne, je ne réagis pas de suite.

— Gaëtan ? Fabien vient de me dire que vous aviez cherché à me joindre. J’évite de prendre mon portable lorsque je suis dans la cour.

Il parle, parle et comme tout à l’heure, l’envie de lui crier aussi ma joie que mes angoisses devient primordiale.

—Sophie a chanté,  dis-je en lui coupant abruptement la parole.

Son manque de réaction m’angoisse ou m’énerve, je ne sais plus.

—Tu as entendu ? Sophie a parlé, Nils, hurlé-je à la limite de l’hystérie.

— Vu comment tu le cries, il faudrait que je sois sourd. Elle est où là ?

—Avec Simon et Martin. Je voulais faire la surprise à Simon pour les paroles de la comptine en lui chantant. Et…

—C’est elle qui t’en a fait une, finit-il.

—J’étais si impatient de te le dire. C’est grâce à toi…

—Je ne suis pas certain d'y être pour grand-chose, mais je suis très heureux. Va les rejoindre, elle va sûrement continuer. Je dois aller retrouver les élèves.

Lorsque j’entends le son de la tonalité, je comprends qu'il a coupé la communication.

—Gaëtan ? Vous allez bien ?

—Je ne sais pas, Simon. J’attends cet instant depuis si longtemps… Que dois- je faire ?

—Je ne pense pas être en capacité de répondre à cette question. Peut-être que Lise, l'orthophoniste, pourrait vous répondre. Vu la situation, le directeur doit sans doute avoir l’autorisation de se faire porter pâle, non ?

—Tu crois ?

—Je ne pense pas que quelqu'un pourrait vous le reprocher. L’émotion a été forte, mais je crois que vous devriez venir avec nous.

—Je voulais prévenir Nils.

—C’est lui que vous appeliez ?

—C’est lui qui a provoqué le déclic. En lui donnant les paroles de la comptine.

—C’est ce que vous lui avez dit ?

—Oui. Je crois que j’ai un peu perdu mes moyens. Il était... bizarre.

—Allez boire un verre d’eau avec un morceau de sucre, vous êtes tout pâle ! Et vous nous rejoignez. Il n’est pas encore l’heure de partir de toute façon.

( Simon )

Je sors mon portable de ma poche et compose le numéro d’Hugo. Occupé. Je recommence aussitôt. Pareil. Je compose celui de Nils. Occupé. Cela ne peut pas être une coïncidence !

— Je suppose que tu es avec Nils. Gaëtan est tout aussi perturbé et j’avoue ne pas savoir que faire, lui dis-je dans un SMS avant de rejoindre les enfants.

En me dirigeant vers la chambre de Sophie, je jette un coup d'œil dans la cuisine. Gaëtan, appuyé contre l'évier, boit lentement un verre.

—Je peux revenir ici d’ici une dizaine de minutes ? Les feutres et crayons feront moins de dégâts.

—J’ai fini. Je viens de laisser un message à Miriam, plutôt vague mais je la connais suffisamment pour savoir qu’elle va m’appeler. Est-ce que je reste avec vous ? Je ne veux pas la déstabiliser.

—Elle le sera sûrement un peu. Le déclic est venu d’elle. Seule elle peut renouveler l’expérience. Martin en a été, lui aussi, chamboulé.

Le silence dans la chambre ne me surprend pas, il est habituel. Martin comme Sophie aiment les livres même si pour l’instant la lecture ne consiste qu' à déchiffrer quelques mots. Pourtant, je repère immédiatement un changement. Appuyés l’un contre l’autre, tête contre tête, ils feuillettent le même livre. Sophie a-t-elle parlé à Martin pendant ma brève absence ? L’a-t-il questionné sur ce qui s’est passé dans la salle de bain ? Dois-je, moi, en parler ?
Dans un même mouvement, ils se tournent vers moi, curieux.

—Êtes-vous prêts pour la nouvelle activité ?

Un cri de joie de la part de Martin qui saute immédiatement du lit. Sophie fait de même mais sans plus de bruit que d’habitude.

—J’ai trouvé deux vieux tee-shirts, cela protégera les habits, annonce Gaëtan qui vient d’entrer dans la pièce.

—Bonne initiative. Je ne suis pas celui qui lave, je n’y ai pas pensé du tout. Allez,  venez choisir votre tee-shirt !

Dix minutes après, les tee-shirt montrent l'énergie de ces deux enfants. Mes consignes n'ont pas toujours été suivies mais ils se sont visiblement amusés. Lorsque mon téléphone sonne, je montre l'écran d'accueil à Gaëtan. D'un petit signe il me donne l'autorisation de rappeler mon frère.

—Je suppose que tu apprécierais des infos, dit Hugo. Je raccroche à l’instant d'une très longue conversation avec Nils. Tu n’aurais pas omis de m’informer d'un truc ?

— Même pas eu le temps, figure-toi. Tu me croiras si tu veux mais j’ai moi-même été tout retourné.

—Elle a vraiment parlé ?

—Gaëtan grâce à Nils était si heureux de chanter les paroles de la comptine. La voix fluette nous a tous cueillis ! Le petit Martin  aussi.

—L’appel de Gaëtan à Nils a, crois- moi, eu un effet bœuf. Il a déversé des torrents de larmes tant son émotion était puissante.

—Gaëtan l’a, lui, trouvé plutôt sec.

—Tu connais Nils face aux émotions. Ou il se ferme, ou il craque. Là, il panique.  Je lui ai conseillé de discuter avec Gaëtan ce matin.

—Il ne le trouvera pas. Je lui ai, en quelque sorte, proposé de se porter pâle. Il était très secoué.

—J’imagine. Et depuis ?

—Rien. Les petits se sont éclatés avec feutres et pinceaux mais pas le moindre mot ni son n’est sorti de sa bouche. Comme si nous avions rêvé.

—Le processus est parfois long.

Il n'y a pas grand chose de plus à dire et je mets donc fin à la conversation. L’activité  peinture  finie implique généralement un passage au lavabo pour un bon nettoyage. Il est préférable que j’y sois.








Percuté par le soleil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant