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(Simon )

Habituellement, je suis plutôt zen comme garçon. Il ne se passait pas grand-chose dans ma vie. Je vivotais, passant d'un travail à un autre. Grâce à l’aide d’Hugo, entrer dans cette boîte de babysitting m’a permis de réaliser assez vite que ce secteur professionnel me convenait. Me retrouver à gérer Sophie en parfaite autonomie ne fait que le confirmer. Largement plus passionnant que la garde d'un petit endormi pendant que ses parents font la bamboula. 

Ma proposition spontanée concernant Martin l’autre soir n’est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. De deux sourds plutôt puisque Nils et Gaëtan estiment que cela semble être une option voire la seule solution. Et voilà la raison de ma bouffée de stress de ce matin. J’ai rendez- vous à l’IME ce matin afin de discuter  sur les moyens de mettre en place la garde de Martin. Les parents de celui-ci seront présents ainsi que Nils et Gaëtan. 

—Ton silence est presque inquiétant. 

—Dis tout de suite qu’habituellement je te saoule, répliqué-je un peu sèchement aux paroles de Yaël. 

—Là c’est plutôt de l'inquiétude que je ressens. Tu veux m’en parler ?

—Je crois que j’ai ouvert un peu trop vite ma bouche cette fois ! 

Mon frère s’installe en face de moi.

—Raconte.

Une petite demi-heure plus tard, après m’avoir écouté sans m’interrompre une seule fois, il sourit.

—Que veut dire ce sourire idiot ? 

—Il est bienveillant. Je suis peu présent, petit frère mais j’entends, je pose des questions à maman et Hugo. À Nils aussi à l’occasion. Tous m’ont parlé de ton implication auprès de cette petite fille. Être inquiet est plutôt une bonne chose, Simon.  Cela prouve que justement tu es sérieux. J’ai posé des questions à Hugo. Râle pas, laisse-moi finir ! Les enfants, c’est sa branche. Et quand il me dit que tu es doué, je le crois. Quand Nils le confirme à son tour, je valide une fois encore. Tu as des questions, pose-les pendant ce rendez-vous ! Et n’hésite pas à évoquer ce que tu penses être tes faiblesses. 

—Je ne pensais pas que…

— Que je m'intéressais à toi ? Tu es mon frère, il est normal que je le fasse. Mais tu ne réponds aux questions de personne. Alors il nous reste à croiser nos infos.

—Tu exagères, je parle avec Hugo. 

—Depuis peu. J’aimerai trouver, moi aussi, ma voie. 

—Tu y arriveras. Il faut que j’y aille, le bus ne va pas m’attendre.

—Ton scooter n’est toujours pas réparé ?

—Non. Il ne me sert à rien. Sophie ne peut pas y monter et elle adore le bus. 

Comme convenu, je rejoins Gaëtan et Nils dans la salle d’accueil. Un boulet de canon violet s’accroche à mes jambes.

— Bonjour Sophie, dis-je en la soulevant pour l’embrasser. Tu sembles être en pleine forme, ce matin. 

—Je confirme, réagit Gaëtan. Très en forme. Elle ne parle pas mais  n’a aucun souci d’audition. Elle a expédié le petit déjeuner et l’habillage en deux temps trois mouvements. Elle aime visiblement l'idée d’être ici. 

—Après la réunion, je la dépose à l’hôpital de jour ?

—Oui. Elle boudait un peu, j’avoue mais la carte Hugo déclenche immédiatement des sourires. Ton autre frère possède le même atout ? 

— Cela a dû être le cas lorsqu'il faisait lui aussi du babysitting. Depuis presque trois ans maintenant, seuls les cursus universitaires l’intéressent sans que cela débouche sur quelque chose. Cela lui passera sûrement un jour. 

— Ah !  Voici la petite famille ! Je vais à leur rencontre et vous nous rejoignez. Sophie va jouer avec Martin. Fabien reste là le temps de la réunion afin de veiller sur les autres élèves.

—Réunion ? Je n’ai rien préparé....

—Le terme n’est pas forcément adapté, je l’admets. Discussion te va mieux ? 

—Le tutoiement me détendrait un peu plus même si je comprends que cela soit complexe…

—Aucune complication. Plutôt un manque d’habitude, en fait.

(Martin )

Le sourire de papa est revenu et cela me fait plaisir.  Lorsqu'ils discutent avec maman, ils chuchotent pour que je ne m’inquiète pas. Mais comme dit Nils, je suis un petit gars malin. Il a un peu raison mais c’est plus une question d’habitude qu’autre chose. Après six ans d’hospitalisations plus ou moins régulières, j’ai, comme dit papa, de l’expérience. Les adultes sont bizarres. J’ai appris très vite à décrypter leurs  émotions. À l’hôpital, je m’ennuyais. Enfin quand j’ai commencé à aller mieux ! Lire et colorier tout seul c’est pas drôle. Ici, j’aime bien. Papa et maman m’ont expliqué un peu le truc. C’est compliqué la vie des grands, ils doivent aller au travail et sans voiture c’est pas possible. Maman part tôt, je ne la vois que le soir. Papa me dépose ici et file au boulot. J’ai pleuré hier, à la maison. Je voulais pas retourner à l'hôpital. Papa ne dit pas de mensonges, jamais. Il m’a donc expliqué que peut-être ils avaient trouvé une solution. Que nous allions en discuter avec Nils.

—Bonjour, nous dit celui-ci justement. Tout le monde est arrivé cette fois. Martin, tu vas pouvoir jouer avec Sophie.

—Ma femme n’a pas réussi à se faire remplacer même pour si peu de temps...

—Elle devait être très déçue mais la réunion a surtout pour but de tenter de trouver une solution qui convienne à tout le monde. Venir ici est important pour Martin. Au téléphone, cela aurait été possible mais pénible à gérer. Nous n’allons pas vous retenir longtemps et vous en discuterez avec Severine après. 

Des bruits de petits pas se font entendre et la porte s’ouvre.

— Pardonnez-nous du léger retard, Sophie a fait connaissance avec Fabien, dit le papa de Sophie ou presque comme me l’a expliqué papa. Martin si tu le souhaites, nous avons posé des jeux avec Sophie. Tu peux lui montrer ceux que tu connais ? 

Je regarde papa pour voir s'il est d’accord. 

—Va t’amuser mon grand, dit-il en ébouriffant mes cheveux. 

(Gaëtan)

Nous nous retrouvons autour de la table tous les quatre. Simon semble un peu moins tendu. Nils m’impressionne réellement. Il a naturellement pris en charge Pierre, le père de Martin. C’est toujours lui qui dépose le petit, cela facilite les discussions. 

—Nous avons mis à plat nos plannings respectifs pour trouver la meilleure solution. J’avais envisagé que vous déposiez Martin à la maison avant de prendre votre train.

—Mais comme je vous l’ai précisé, le seul train disponible part à 6 h. 

—Bien trop tôt. 

—Martin risque d’être très vite fatigué, dit-il moins fort afin que son fils n’entende pas sa remarque. Ma femme peut le préparer pour 8h.

—Et moi le récupérer, intervient Simon. Votre maison est presque sur mon chemin. Marcher un petit quart d’heure tranquillement jusqu'à chez Gaëtan me semble raisonnable.

—Mais après ?

—Je m’occupe de Sophie les mercredi, jeudi et vendredi. Gaëtan est d’accord.  Si vous l’êtes vous aussi, je peux les garder tous les deux en même temps. Le peu que j’ai vu de Martin indique qu'il  est plutôt calme. Je suppose que la réparation de votre voiture ne va pas durer six mois. 


Percuté par le soleil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant