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(Simon )

Que dire de cet étonnant rendez-vous ? Même s'il ne débouche pas encore sur un emploi formel, j'espère que ce sera bientôt le cas. Yael n’aurait pas pu se résoudre à accepter l’idée même de travailler pour cet homme. Ma curiosité m’y a poussé et je ne regrette rien. Soit, cet homme a traité Nils d’énergumène. Mais, Nils est aussi celui qui nous a fourni à Yael et moi les références pour ce boulot. Cela veut  sûrement dire qu'il ne lui en veut  plus, non ? 

Mon problème maintenant est de ne pas lâcher trop d’infos sur ce drôle d’entretien. Et cela ne va pas être évident parce que je suis persuadé que Nils va être curieux. Peut-être que je pourrais dire que nous nous sommes rencontrés ailleurs que dans son appartement ? Sauf que ce n’est pas crédible. Pour garder un enfant au domicile, il est necessaire d'obtenir un minimum d’infos surtout que cette petite est fragile. J’aurais à son sujet pas mal de précisions à demander à Hugo mais en ai-je le droit ? 

J'opte pour la solution de facilité qui me fera gagner, je l'espère, du temps.

— Salut frangin, envoyé-je en message. J’ai zappé de prévenir maman. Je ne suis pas là ni ce soir ni demain. Je file chez Tintin pour les deux jours. Bises.

Je sais qu'il va me rappeler pour avoir des infos mais par téléphone ce sera plus facile à gérer. Je ne sais pas mentir à mes frères. 

( Hugo ) 

A peine suis-je entré dans la salle que François me fait signe.

— Bonjour Hugo. Jamais de retard chez toi, j'apprécie. Michelle va prendre en charge ton groupe dans la matinée. Monsieur Vernet vient s’entretenir avec moi concernant la petite Sophie. J’aimerais bien que tu sois présent.  

—Te rappelles-tu de ma remarque à ce propos ? Les mots peu d’expérience, novice, les as-tu entendus ?

— Mon ouïe fonctionne bien, rassure-toi ! J’ai pris le temps de t’examiner et les réactions des enfants ne trompent pas. Ce n’est pas ma première rencontre avec monsieur Vernet. Il a besoin d’être rassuré.

—C’est mon allure de gros nounours qui fait cet effet-là. Je ne sors pas souvent les griffes.

— Continue à les laisser ainsi. Sans même te rencontrer, il suffirait qu'il te regarde interagir avec les enfants pour le comprendre. Tu dois apprendre à te mettre un peu en avant, Hugo. 

Lorsque nous revenons de la récréation, Michelle prend ma place. Les mots de François en tête, je me dirige vers son bureau. Dire que je suis à l’aise serait un sacré mensonge, mais je vais faire mon possible pour rassurer ce père de famille.

—Entre, Hugo. Installe-toi avec nous, dit François en me montrant une chaise.

—Merci François, dis-je en prenant place face à l’homme. 

—Je fais les présentations. Hugo est notre nouvelle recrue au poste d’AESH. Monsieur Vernet est le tuteur de la petite Sophie dont je t’ai parlée.

Tuteur ? Je fouille dans ma mémoire sans me rappeler si François avait donné cette précision. 

—Le terme de tuteur est froid, j’ai quelques précisions à donner à ce sujet. Arnaud, le père de Sophie, lui a toujours parlé de sa mère. Celle-ci est décédée d'un cancer, Sophie avait quelques mois. Arnaud souhaitait se séparer le moins possible de sa fille aussi avait-il organisé son travail en conséquence. Pour conjurer le sort comme il le disait avec humour, il m’avait nommé tuteur de Sophie. Copains depuis le lycée,  au fil des années, et après la mort de sa femme, nous nous sommes encore plus rapprochés. Tout naturellement, nous passions le maximum de vacances ensemble. C’est peut-être pour cela que malgré son jeune âge, elle accepte ma présence à ses côtés. Je fais partie de son environnement. 

— Je pense en effet que cela doit la réconforter. Quelqu'un lui a-t-il dit la vérité ? 

—L’accident a eu lieu en Suisse. Le pays en lui-même a peu d’importance mais le fait que Sophie était seule à l’hôtel a soulevé des questions. 

—Seule ? 

—Avec une baby sitter. Pendant les périodes non scolaires, Arnaud parvenait en général à limiter les rendez-vous, mais parfois, la présence d'une ou d'un baby-sitter était indispensable. Découvrir cette situation a déplu fortement et le silence de Sophie n’a fait qu’aggraver certains doutes.

—Puis-je poser une question ? Avait-elle des troubles du langage précédemment ? 

—Aucun. J’ai joint son dossier scolaire. Sophie est plusieurs fois nommée comme plutôt bavarde et extravertie. 

—A-t-elle des interactions avec vous ? 

—La disparition d’Arnaud m’a secoué mais il n'était pas question de lâcher Sophie. Son mutisme dérangeait visiblement, comme si, à son âge, l’absence de son père ne devait provoquer aucune angoisse. A part les premiers jours où elle se débattait, cherchait à s’échapper, depuis elle se contente de s'isoler. 

—Mais pas avec vous d’après ce que m’a expliqué François. 

—Dès que possible, je lui ai laissé les livres et jeux qu’Arnaud lui lisait, les jeux auxquels ils jouaient ensemble. Mon poste de directeur dans un IME m’a permis de découvrir des techniques d’approche, je tente de les mettre en pratique. 

—Tente-t-elle de communiquer autrement ? Écriture ? Dessin ?

—Elle joue avec des jeux d’alphabet mais sans chercher à communiquer. 

—Avec personne ?

—Dans le centre où elle actuellement, le directeur considère qu’elle est irrécupérable et se contente de la laisser seule pour éviter les problèmes. 

—Irrécupérable ? Vous la sortez quand de ce lieu si accueillant ? 

— Je vais la chercher à la fin de la semaine. Elle vivra chez moi. 

—Connaît-elle les lieux ? Si mes questions posent un souci n’hésitez pas à me le dire ?

—Elles sont très pertinentes. Mon ancien appartement était celui d'un célibataire. L’actuel est plus adapté à une famille.

—Il me semble qu'il n’est question que d'une prise en charge de quelques jours par semaine. Vous travaillez à temps partiel ?

Je réalise que je monopolise la conversation et je cesse immédiatement. 

—Je me dois d’être honnête. Le fait que vous soyez une nouvelle recrue ne me rassurait pas vraiment. Vous entendre me prouve l’inverse. Une nourrice l’accueillera à son domicile, elle a un seul enfant plus petit. Et j’ai pris contact avec une baby sitter. Enfin pour être plus précis, un baby sitter.

Dommage, pensé-je l’espace d’un instant. Cette place aurait été dans les cordes de mes deux frangins. 



Percuté par le soleil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant