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( Nils )

Mes ongles s’ enfonçent  dans la paume de ma main droite. La douleur, supportable, me donne la force de garder le sourire. Dans un coin de ma tête, j’entends déjà les félicitations que me donnera Hugo. J’ai en mémoire sa phrase fétiche, je ne compte plus le nombre de fois où il me l’a débitée. 

Face aux cons de cette espèce, Nils, garde la tête haute et le sourire ! Ils cherchent à t’humilier, ne leur offre pas cette joie !

Je ne suis cependant  pas certain que cette remarque était valable pour le directeur adjoint. Qu'importe ! De toute façon, c’est trop tard. Son discours très bref nous libère assez vite. Alors que mes nouveaux collègues se dirigent vers la salle des profs, j’en profite pour m’isoler quelques minutes dans les toilettes. J’ai besoin de reprendre pied. Si cela se trouve, je vais battre le record du poste d’éducateur spécialisé le plus court de la création ! Vingt minutes chrono. Un fou rire nerveux me secoue immédiatement, suivi par une crise de larmes.

—Je vous défends de pleurer, Nils, intervient une voix que j’ai  appris à connaître. Directeur ou pas directeur, il n’a pas le droit de se comporter ainsi. 

—Mon impertinence n’est guère plus acceptable, Miriam ! Je rêve d’un poste comme celui-ci  depuis que j’ai obtenu mon diplôme et, comme un idiot, je gâche tout dès le premier jour.

Miriam ne perd pas de temps, m’attrape la main. Depuis l’entretien avec l’ancien directeur adjoint, nous avons beaucoup communiqué,  elle et moi. Pour des raisons essentiellement  administratives au début puis sur une multitude de sujets.

— Croyez-vous que j’aurais laissé faire si votre tenue n’était pas adéquate ? 

— Si mon insolence ne m’envoie pas directement à la porte, je vous confie ce travail quotidien, dis-je d'un ton que j'espère enjoué.  Mon ami Hugo y veille de son côté mais il a aussi sa  vie à gérer.

—Je ne pense pas que ce soit nécessaire mais j’accepte la mission, dit-elle en me tapant la paume.

— Croyez-moi, Miriam, c'est on ne peut plus nécessaire. Sans l'intervention d'Hugo, je débarquais ce matin avec une chemise évasée d'un bel orange et d'un jean noir extrêmement cintré. 

L'éclat de rire immédiat de Miriam me fait du bien. Hugo ne rigolait pas, lui. Terriblement inquiet à l'idée que je décime une partie de mes collègues dans la matinée à cause de mon extravagance . Comme si la seule vue de mon postérieur pouvait déclencher une telle chose ! Lâchement, je garde cette info pour moi.  Il faut avouer que mes associations de couleurs ne sont pas toujours d'un très bon goût ! 

— Filez rejoindre vos collègues, Nils. 

( Gaëtan )

Cela fait presque une demi heure que je guette plus ou moins le retour de Miriam. Son regard réprobateur était très loin d'être aimable. 

Nos deux bureaux se trouvent de chaque côté du couloir. Miriam n’est pas que ma secrétaire, elle gère aussi,  avec l’aide de deux autres collègues, une grande partie de l’administratif de l’établissement.

L’ IME permet de proposer à des enfants et des adolescents des moyens d’apprendre tout en tenant compte de leur handicap.  Certains élèves sont  prêts à rejoindre un cursus semi professionnel. Leurs troubles existent toujours mais ils les maîtrisent suffisamment pour accéder à des études ou à l’acquisition d’un savoir- faire  professionnel.

D’après la masse de papiers laissée par mon remplaçant, ils sont six cette année. Notre rôle va être de les accompagner dans ce cheminement. Même si c’est pratiquement la dernière étape, le besoin de rassurer, de les piloter sans brusquer est primordial.  

La structure se compose d'un ensemble de professionnels qui exercent dans différents secteurs ( éducatif, médical, paramédical, etc ). Seules certaines très grandes structures peuvent se vanter de disposer d’un tel panel. Ce n’est pas notre cas. L’année précédente, nous avions constaté que notre seul éducateur spécialisé ne pouvait gérer à lui seul les besoins de la structure. D’où l’embauche cette année d'un second éducateur. En fin de journée ou demain plus probablement, je rencontrerais personnellement  les nouveaux. J’ai eu beau chercher, impossible de trouver leur dossier. Il me semble nécessaire d’y jeter un oeil avant cette rencontre. Enfin c’est de cette manière que j’ai l’habitude de fonctionner. Et pourquoi ne pas utiliser ce prétexte pour interpeller Miriam ? 

— Miriam, dis-je en me glissant dans son bureau. Désolé de vous déranger mais je ne trouve pas les dossiers des trois nouveaux. J’aimerai y jeter un œil avant de les rencontrer demain. 

— Ils étaient sur votre bureau ce matin. Peut-être ont-ils atterri au sol après votre mouvement d’humeur !

— C’est possible. Pouvez-vous m’aider à les retrouver ? 

Oui, je sais, ma façon d’agir est pitoyable. Il n’est pas question que je me fâche avec Miriam. Je n’ai jamais eu à  lui reprocher quoi que ce soit. Elle travaille avec rigueur, n’hésite pas à me râler dessus lorsque c’est nécessaire. Et en un instant, elle me démontre son efficacité en débusquant un dossier vert au milieu de mon fatras. 

— Le voilà, dit-elle en me le tendant. 

— Merci Miriam. Je prends le temps nécessaire pour l’étudier et après je range. Je me suis contenté de ramasser en revenant. Je vais faire du rab ce soir, c’est certain. 

Tout en parlant, je feuillette le dossier, découvre la photo de celui que j’ai traité d’énergumène, il y a moins d'une heure et je grimace.

— Ah mince ! Une idée pour rattraper ma bêtise ? 

— Honnêtement, l’idée de vous laisser vous débrouiller est très,  très tentante mais j'apprécie beaucoup Monsieur Favre. Le juger sur une couleur un peu plus criarde que la norme n’est pas digne du directeur adjoint que j’ai connu. Il nous a fallu du temps pour pouvoir  recruter un éducateur spécialisé, ils deviennent rares. Évitons de lui donner l’envie de déguerpir.






Percuté par le soleil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant