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( Gaëtan )

Je le sens se raidir mais je sais que je ne me suis pas trompé. Le cumul d’événements ne peut que l’effrayer.

—Ne fuis pas, répèté-je. Que Sophie parle ne change rien à ce que je ressens pour toi.

—Je ne pense pas cela, chuchote-t-il. Tu attends ce moment depuis si longtemps. Vous allez enfin pouvoir vivre pleinement. Elle va te régaler de ses éclats de rire.

—Es-tu en train de penser que nous ne sommes pas capables de partager tout ce bonheur avec toi ?

—Ce ne serait pas juste pour Sophie.

—Comptes-tu m’accaparer au point qu’elle se retrouve seule des journées entières ?

—Bien sûr que non ! Elle doit être ta priorité .

Je ne veux pas qu'il se sacrifie. J’attrape sa main et le tire vers moi.

—Nils, chuchoté-je lorsqu'il est dans mes bras. Je ne veux sacrifier aucun de vous deux. Il n’est pas question que je te laisse de côté. Laisse-nous continuer d’apprendre à nous connaître. Offre-moi le plaisir de te serrer contre moi, d’entendre tes éclats de rire.

Il ne répond pas mais ne cherche pas non plus à se détacher de mon étreinte. J'aimerais à nouveau dévorer sa bouche, l’entendre soupirer de bonheur mais je reste immobile par peur de fragiliser l'instant présent. Lorsque ses lèvres effleurent ma joue, je ne bronche pas. Quand il relève la tête et plonge sur ma bouche, je ne peux réprimer un gémissement de plaisir. Tels deux adolescents, nous nous dévorons. Lorsque ma main glisse sous son pull, je le sens hésitant.

—Sophie a un sommeil profond,  précisé-je en souriant. Toutefois, je préférerais qu’elle ne nous surprenne pas ainsi.

—Je ne saurai plus où me mettre, glisse-t-il rougissant. Tu vas la laisser à l’IME ?

—Je n’y ai pas encore réfléchi à vrai dire. Je redoutais que son silence persiste.Demain matin, je vais angoisser.

—Vu l’énergie développée tout à l’heure, je ne pense pas qu’elle reste silencieuse.

— Les questions qui vont irrémédiablement arriver...

—Le contraire serait anormal. Tu as le droit de ne pas savoir répondre. Et tu as encore plus le droit de lui dire. Il y a des psy à l'IME mais tu peux aussi demander conseil auprès de Hugo et François.

La conversation s’est prolongée sur le canapé. Sophie en était le centre, bien évidemment. Au détour d'un mot ou d'un regard, comme si s’en empêcher était impossible, nos mains, nos bouches prenaient le relais.

—Veux-tu rester ce soir ? osé-je demander.

—Non. Ce n’est pas une question de timidité, chuchote-t-il. J’en ai très envie mais l’éducateur spécialisé pense que ce serait un peu trop rapide pour Sophie.

(Nils )

Le trajet en taxi est court. Le chauffeur tente de faire la conversation mais renonce, mon esprit est ailleurs. A l’arrivée, il refuse mon argent.

—Rien que pour ce lumineux sourire, ce sera cadeau, dit-il en me désignant le rétroviseur pour que je comprenne.

La porte de mon appartement fermée, j'éclate de rire. Celui avec un grand R, qui fait tant de bien. Et puis par habitude,  par envie aussi, j’appuie sur la touche appel.

—Sophie parle vraiment, lâché-je dans un souffle.

— Tu es chez toi ? Que je passe fêter cette nouvelle avec toi ? À moins que tu ne sois pas seul ?

Comme toujours, la force de l'instinct d’Hugo m'impressionne. Suis-je si prévisible ?

—Je viens de rentrer.

—J’arrive.

Il a à peine franchi le seuil qu'il me serre dans ses bras, puis m’éloigne afin de m’examiner. 

—Que fais- tu ?

— Je regarde cette lueur particulière. Tu sais, celle qui fait briller les pupilles.

Ses grimaces, alors qu'il détaille tout mon visage consciencieusement déclenche un éclat de rire.

—Tu ne la trouves pas ?

—Il est impossible de la manquer. Je savoure le moment. Cela fait un sacré bout de temps que j'espère la découvrir dans ton regard.

—Je n’y croyais plus trop...

—Quoi ? Es-tu enfin en train d’accepter que malgré tous les pronostics défavorables cités par tes parents, tu vas enfin être heureux ?

Mon silence provoque une réaction immédiate. D’un doigt, il relève mon menton.

—Tu as tenté de fuir ?

—Il s’y est opposé.

—Encore heureux sinon j’aurais dû botter deux culs plutôt qu'un !  Le sourire te va bien, Nils. Le bonheur te fera le même effet, tu verras.  Sophie va petit à petit quitter l’hôpital de jour pour l’IME. La reprise en milieu scolaire classique attendra un peu encore. Elle a décidé de parler. Notre travail va être de l’aider dans ce choix.

—Tu crois que ce sera difficile ?

—Je n’en sais rien. Le décès brutal de son père en a été le déclencheur. Je n’ai pas les qualifications nécessaires pour appréhender la situation seul. Gaëtan ne le sera pas non plus.

—Tu crois qu'il acceptera que je l’aide ?

— C’est quoi cette question ridicule ? Nous allons tous les aider. Ne me regarde pas avec cet air inquiet, c’est déjà ce qui se passe depuis le début. Chaque personne, adulte ou enfant, a contribué à cette évolution. On va continuer tout simplement. Que Sophie parle est génial mais cela n’est que le début. Hé ne fait pas cette tête angoissée, Nils. Nous formons une bonne équipe.

—Et si on fait des bêtises ?

—J’entends ta réelle inquiétude et il n’est pas question que je te laisse continuer dans cette direction. Soigner une personne, encore plus lorsqu'il s’agit d'un enfant, n’est pas comparable à réparer une voiture. Ne te marre pas, dit-il. Je sais qu’elle est foireuse ma métaphore mais c’est la réalité. C’est Sophie qui mène la danse. Si nous avançons trop vite, elle freinera à sa façon. Nous allons devoir être encore plus communicatifs. Elle a du bol, nous sommes très doués pour cela. Et toi, mon petit pote, ton job perso va être de seconder Gaëtan. Quand l’école est finie, et que les pensées, bonnes ou mauvaises, montent. Il va avoir besoin de toi.

—Je ne sais pas si...

—Moi, si. Tu es naturellement prêt à aider les autres et tu t’en sors très bien. L’empathie est naturelle chez toi. Quand il s’agit de Gaëtan et de Sophie, elle saute aux yeux. Il n’est pas question de déplacer des montagnes. Juste d’être à ses côtés et d’après ce que j’ai compris, c’est exactement la place où tu veux être.

Percuté par le soleil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant