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(Simon )

C’est étonnant de réaliser à quel point entendre Sophie parler semble être normal. Je l’ai surprise deux fois, sa bouche formant un joli rond comme si ce son la surprenait. Pas question que je la félicite, mais lui offrir un énorme sourire est tout à fait dans mes cordes. Et récompensé par un câlin, bien sûr. 

En fin de matinée, je dois la déposer à l’hôpital de jour. Gaëtan nous y rejoindra. La demoiselle est surexcitée à l’idée de voir Hugo. 

—On y va ? demande-t-elle pour la douzième fois de la matinée.

—Pas encore. Hugo est très occupé ce matin. 

—Je peux jouer seule, dit-elle, les deux bras croisés sur sa poitrine. 

—Je sais. Je te propose quelque chose. Que dis- tu d’aller au petit parc pas très loin de l’hôpital de jour ? Il y a plein de jeux qui vont te plaire. Et te défouler un peu j'espère, pensé- je.

Les sautillements avec petits cris doivent signifier que cela lui convient. Je n’arrive pas à l’occuper ce matin. Je signale la sortie à Gaëtan qui approuve quasi immédiatement d'un message. À peine dix minutes plus tard, nous  traversons la rue qui mène au parc en question. Est-elle déjà montée sur un toboggan ? Ai-je signifier à Gaëtan que nous allions au parc de jeux ? J'avoue avoir un léger doute sur la question. Et lui, habituellement si consciencieux, est dans la lune ce matin. Enfin, je dirais plutôt qu'il plane, dans son univers, un sourire béat en devanture. J'ai eu envie de le filmer tout à l'heure. Hugo aurait kiffé, c'est certain. À moins qu'il soit déjà informé de la raison de ce bonheur affiché. 

—Simon !  Pousser !

Oui. Elle réclame haut et fort. Avec enthousiasme. Dois-je parler des petits mots magiques alors qu’elle vient tout juste de sortir d'un long silence ?

—Dis donc mademoiselle, l’interpellé-je. As-tu remarqué que Martin utilise quelques petits mots précis ? 

Elle m’offre un incroyable sourire. 

—S’il te plait, Simon.

Comment résister ? Son rire me secoue quand je la serre dans mes bras. Au bout de quelques balancements, il est évident que sa patience est à bout. Je stoppe la balançoire. Il n’est pas nécessaire de lui expliquer la suite du programme, elle est prête à galoper. 

—Hop hop, demoiselle. Je veux ta main dans la mienne, il y a une route à traverser. 

—Gaëtan ? 

—Il va nous rejoindre. 

Quand elle franchit la porte et aperçoit Hugo qui se dirige vers nous, elle se met à courir et lui entoure les jambes. 

—Mais c’est mon petit diablotin, dit-il en la hissant dans ses bras. Fais moi vite une bise sur chacune de mes joues tant que personne ne nous voit. 

—Bonjour Hugo. 

—Donc ce ne sont pas des mensonges. Tu parles !

Elle éclate de rire et embrasse mon frère. 

—Gaëtan est en route, lui explique Hugo. On va dans la salle ? Tu restes avec nous, Simon ? 

—D’après ce que m’a brièvement expliqué Gaëtan, oui. François va nous donner des conseils afin de motiver sans forcer mademoiselle. Et comme tout conseil est bon à prendre, je reste. 

Sophie trottine devant nous, elle connaît chaque recoin de L’hôpital de jour et presque toutes les personnes que nous croisons. L’information a fait le tour et chacun y met du sien pour entendre la voix résonner. 

—Tu as exactement devant les yeux ce qui peut bloquer. Trop de sollicitations apportent, en général, plus de mal que de bien, commente François qui nous a rejoint. 

—Mais comment savoir quand c’est trop ?

—Tout simplement. Si elle ne répond pas, c’est qu’elle en a marre. Là, c'est elle qui réclame de l'attention. 

Comme si elle approuvait les dires de François, Sophie se rapproche de nous. Elle glisse sa main dans la mienne, et enfourne son pouce dans la bouche. 

—Elle n'a pas ménagé ses forces depuis ce matin, précisé-je. 

Des pas rapides résonnent derrière nous. Sophie reprend subitement vie, me lâche la main pour rejoindre à grands pas celui qui arrive. 

—Et bien, je t’ai manqué mon petit lutin ? 

—Oui. Fatiguée,  conclut-elle en tendant les bras vers Gaëtan. 

Sans aucune hésitation, il la soulève du sol et nous rejoint.

—Un parent d’élève avait des choses primordiales à m’expliquer juste à la sortie. Sans l’intervention combinée de Miriam et Fabien j’y serais encore. Bonjour François.

—Vous n’avez rien raté, nous nous dirigions vers la salle. Sophie semble fatiguée. Je pense qu’elle va apprécier de retrouver le tippee ou le hamac.

Et en effet, dès que Sophie aperçoit ceux-ci, sans même parler, elle descend des bras de Gaëtan et file se glisser dans l’ouverture du tippee. 

—Installons- nous ici. Elle entendra nos voix sans que cela l’empêche de se reposer. Même si le retour de la parole est récent avez-vous repéré l’un comme l’autre un changement d’attitude ? 

—Rien de très flagrant mais j’ai l’impression qu’elle recherche plus à être dans les bras. Avec toi aussi, Simon ? 

—Non, mais elle n’y venait pas souvent. La seule chose que j’ai repéré sans que cela soit réellement grave je crois, c’est une réelle impatience. 

—C’est logique. Pas facile d’exprimer ce sentiment quand on ne parle pas. Taper des pieds au sol ? A-t-elle fait ce genre de choses, Hugo ? 

—Pas avec moi, non. Même lors de certains apprentissages, peu de frustration montrée.

—Arnaud la reprenait régulièrement à ce sujet. Rien de méchant ou d’agressif. Il lui disait que crier, pleurer ou s’énerver donne encore plus de stress. Lorsqu'une difficulté surgisssait, elle réclamait son aide et il lui montrait à nouveau la façon de procéder. T’a-t-elle semblé en difficulté ?  

—Non. Pas du tout et encore moins en présence de Martin qui est lui aussi éveillé. Cela ressemble plus à un énervement classique d'un enfant impatient. 

—Son père était à l’écoute, vigilant, protecteur sans être étouffant. Cela lui manque peut-être…

—Je ne sais pas si j’en serais capable. 

—Bien sur que si. Vous ne serez jamais son père. Et heureusement. Vous allez l’un et l’autre vous adapter. Comme elle devra le faire avec Simon, ses camarades d’école. Ils avaient une relation père-fille adaptée à leur vie. Vous allez en créer une vous aussi. 




Percuté par le soleil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant