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 (Gaëtan )

Il m’a fallu un peu de temps pour m’endormir. J’avais sciemment mis mon esprit en mode surveillance, guettant le moindre bruit dans la chambre voisine. Ce n’était pas la première fois que je dormais près d’elle mais Arnaud n'était pas loin. Et si je ne l’entendais pas ? Était-il raisonnable d’acheter le truc que les parents achetaient pour les nourrissons ? Comment signalait-elle que quelque chose n’allait pas puisqu’aucun son ne sortait de sa bouche ? Inquiet d’avoir peut-être raté un cauchemar, une peur nocturne, sans  bruit, je me dirigeais vers sa chambre. La porte entrouverte, Arnaud l’avait toujours laissée ainsi, je me glissais dans la chambre. Son lapin collé contre sa poitrine, elle dormait profondément.

Il est à peine 9 heures quand elle entre dans la salle où je lis tranquillement.

—Bonjour Sophie. Tu as faim ? 

Un grand sourire et un vigoureux hochement de tête ne laisse aucun doute sur le sens de sa réponse.

—Parfait. Tu me suis, tout est installé dans la cuisine.

J’avais hésité lors des courses. Pendant les dernières vacances  passées ensemble, ces instants se passaient toujours dans la bonne humeur. La table était encombrée de fruits, fromages, produits laitiers dans lesquels nous piochions au gré de nos envies. En était-il ainsi en dehors des vacances ? Je supposais en toute logique que le temps, chez eux aussi, devait manquer.  

Malgré tout, j’avais acheté un éventail assez large de produits afin qu’elle puisse choisir. 

—Viens t’installer. J'ai déjà déjeuné mais je vais prendre un café pour t’accompagner. Il te suffit de me montrer ce qui te fait plaisir. 

Sourire épanoui, doigt tendu et yeux pétillants d’anticipation, elle fait son choix. Yaourt, fruits, mini viennoiseries atterrissent devant elle. 

A-t-elle cet appétit tous les matins ou est-ce le choix qui lui a ouvert l’appétit ? Qu'importe ! Elle mange sans se goinfrer. En me montrant mon verre resté sur la table, je comprends.

—Milles excuses, j’ai oublié les boissons. Du lait ? Du jus de fruit ? Regarde et montre moi ce qui te tente ! 

Le jus d’orange avalé, je m’amuse à lui essuyer la frimousse. Reste la dernière étape. 

—Tu étais fatiguée hier soir, nous avons juste fait le minimum. Pour aller visiter ta nouvelle école, une petite douche me semble être une bonne idée. Qu’en penses-tu ? 

Encore une fois, le hochement de tête est suffisamment explicite et me rassure. En quelques minutes, sans hésitation, elle se déshabille et grimpe dans la baignoire. Je ne m’éternise pas, la laisse réagir quant à la température de l’eau. Même sans parler son visage et ses gestes sont assez clairs pour que je la comprenne. Lorsque j’attrape  le gel douche, elle positionne sa main pour que je la remplisse et se savonne seule. Elle frotte avec efficacité et me regarde comme si elle attendait mon avis.

—Tu te debrouilles comme une cheffe. On lavera les cheveux demain. Allez je te rince. 

L’essuyage qu’elle veut gérer seule laisse un peu à désirer et j’aide dans le dos. Elle galope toute nue jusque dans sa chambre, et se positionne devant l’armoire. Va-t-elle mal réagir en découvrant les habits d’avant ? J’aurais dû anticiper et lui préparer une tenue… 

Doigt tendu, elle désigne et je sors les vêtements. 

— Il va falloir choisir à présent, mini princesse. La robe jaune ou le pantalon bleu ? 

(Hugo )

Après un début de matinée plutôt compliqué, Angelina est installée à la table et malaxe avec ardeur la pâte à modeler. Amalgamer des petits morceaux de couleurs différentes semble l’apaiser. Ma collègue gère Antoine et Tristan dans un atelier de découpage et de collage où ils peuvent discuter en même temps. L’heure de la récréation arrive. Sonia restera dehors un peu plus longtemps afin que nous ayons le temps de faire découvrir les lieux à Sophie. François vient de m’avertir qu’elle et son tuteur seront là d'ici un quart d’heure. Hier après-midi, j’ai discuté longuement avec Lise, l'orthophoniste qui travaille à l’IME avec Nils. Elle m’a recommandé de ne surtout pas mettre Sophie face à son silence. Elle doit toujours pouvoir répondre à une question avec un mime, un écrit. Ne pas la contraindre. Elle seule décidera du moment où parler sera nécessaire. Son tuteur a eu les mêmes recommandations afin de rester sur la même ligne. Ce week-end, j’ai tenté différentes expériences avec Nils, Yael et Simon. À part d’énormes fous rires, l’échec a été cuisant. Aucun des trois ne sait rester muet. 

Dès que les trois enfants sont sortis se dépenser dehors, François entre avec monsieur Vernet et Sophie. Elle tient fermement la main de celui-ci mais ne semble pas effrayée pour autant. Son regard est vif, détaillant tout ce qui l’entoure. 

— Bonjour Sophie, dis-je en m’accroupissant pour être à sa hauteur. Mon prénom est Hugo. Nous allons souvent être ensemble ici. Tu veux que je vous fasse la visite des lieux ?

L’entrée en matière est peut-être trop rapide mais le sourire qu’elle m’offre en retour semble me prouver que l’idée lui plait. 

—C’est à cet endroit que les enfants arrivent. Après, un peu comme à l’école, il y a des groupes. Tu as déjà été à l’école, n’est-ce pas ?

Hochement énergique de tête.

— Nickel. Tu aimais bien ? 

Hochement aussi énergique associé à un très grand sourire.

—Nous irons voir dehors tout à l'heure mais je voulais te montrer ce coin. 

J'examine son expression face au coin détente. Il surprend régulièrement avec ses atypiques coins-repos. Certains de nos jeunes patients n'arrivent pas à rester concentrés sur de longues durées. Leur offrir la possibilité de s'allonger ou de se mettre un peu à l'écart est d'une efficacité redoutable pour limiter les crises. Le tipi, genre indien est très souvent choisi mais le hamac plait tout autant. Peu d’espaces sont fermés, permettant une liberté de mouvement sans grands risques. Toutes les structures n’ont hélas pas cette chance, François s'est battu et se bat encore pour garder cet avantage. En compensation, nous expérimentons sur des périodes relativement longues. Lors de l’entretien d’embauche, cette particularité a augmenté mon envie d'y participer.

—Monsieur Vernet, voulez-vous aller dans le tipi avec Sophie ?

— Gaëtan, c’est ainsi que Sophie m’a toujours appelé. Je ne suis même pas certain qu’elle connaisse mon nom de famille. Elle n’a pas encore tenté de rentrer dans celui que je lui ai acheté, complète-t-il en montrant le tipi. Peut-être que cela va l’aider.  Tu as envie, ma puce ? On y entre tous les deux ? 

Je veux pouvoir raconter à Nils comment son directeur a franchi la porte en toile à quatre pattes. Et qu’en plus, le spectacle était très loin d’être grotesque !










Percuté par le soleil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant