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(Gaëtan )

Nils est à peine sorti de mon bureau que j'ai cette sensation de manque. Comment cela peut-il être possible ? Et pourquoi cela ne le serait-il pas ? En quoi est-ce extraordinaire ? J'aimerais tant pouvoir en discuter avec Arnaud. Lui raconter le trouble que je ressens face à cet homme. Mon ami, seul confident, se moquerait gentiment de moi.

-Mais enfin, Gaëtan. Tu deviens stupide ou quoi ? Il te plait ? Dis-lui tout simplement.

Évidemment. Tout semble si simple. A presque quarante ans, je n'ai jamais été confronté à une telle situation. En boîte, c'est l'envie pure et dure qui décide. L'attrait physique qui pulse. J'ai toujours fait en sorte de verrouiller les autres possibilités. Tout l'opposé de mes ressentis face à Nils. Sa sensibilité, sa douceur me donnent envie d'en découvrir plus sur lui. Et quel meilleur moyen pour l'inciter à se déplacer chez moi que le bien- être de Sophie ? Je me sens légèrement honteux d'avoir usé de ce stratagème. Même si nos quelques échanges sont moins tendus, Nils reste, me semble-t-il, réservé.

Qu'importe ! Ma voiture garée dans la cour, j'en sors pour rejoindre Sophie, Martin et Simon. La maison est silencieuse ou presque. Seule la voix de Simon en pleine lecture. Martin, les yeux fermés, dort ou sommeille. Sophie, son doudou serré contre elle, est très attentive. Simon lève la tête quand il me voit sur le seuil de la porte. Cela suffit à la petite diablesse pour réagir au quart de tour. En quelques secondes, elle saute du lit pour s'accrocher à mes jambes. Le mouvement, brusque et bruyant, a sorti Martin de son état léthargique. Pourtant, un grand sourire s'affiche sur son visage.

-La tornade Sophie n'a pas eu pitié de toi, Martin ! Ton père ne devrait pas tarder. Mon projet était de l'attendre en sirotant un café. Cela t'inspire, Simon ?

-Carrément, oui. La journée a été riche. Ces deux diablotins adorent les jeux de société. Vu comment Sophie se débrouille, je suppose que c'est une activité qu'elle maîtrise depuis longtemps.

-Oui. La quasi majorité des jeux de l'armoire vient de chez eux. Ils y jouaient beaucoup.

Alors que nous nous dirigeons vers la cuisine, la sonnette annonce l'arrivée de Pierre.

-Peut-être que nous serons trois à prendre un café. J'arrive ! dis-je en me dirigeant vers la porte d'entrée.

Pierre a beau sourire, je reconnais les marques de quelqu'un qui ne dort pas suffisamment.

-Entrez, Pierre. Nous allions prendre un café avec Simon. Cela vous dit de nous accompagner ?

-Avec grand plaisir. J'ai pas mal de travail qui m'attend ce soir. Sandrine m'a expliqué pour ce matin. J'espère que cela n'a pas posé de problèmes...

-La pluie était vraiment trop forte pour envisager de faire le chemin à pied, complète Simon. Votre femme aurait été en retard. Le plus facile était l'option Hugo, je l'ai tentée.

-Hugo est très gentil, papa. Cela ne l'a pas dérangé. Il a même dit que tant que je venais ici, il le ferait. Ne t'inquiète pas, dit Martin en se serrant contre les jambes de son père.

-Avez-vous vu comme j'ai de la chance ? remarque Pierre en ébouriffant les cheveux de son fils. Martin est très protecteur avec moi. As-tu passé une bonne journée ?

-Oh oui, papa ! Sophie a plein de jeux que je ne connais pas. Simon explique très bien les règles. Avant que Gaëtan arrive, j'étais sur le point de m'endormir ...

-Martin, je t'ai déjà expliqué. Ce n'est pas très poli d'appeler les adultes par leur prénom.

-Pierre, cela ne me gêne pas du tout. Après concertation avec Nils, nous préférons l'emploi du prénom. Je ne pense pas que Sophie connaisse mon nom de famille. Les enfants ont pris l'habitude du prénom. Pour Martin, je suis le papa de Sophie, pas le directeur de l'IME.

-Parfait. Tu peux donc le faire Martin.

-Voulez-vous faire un tour des lieux ? Vous pourrez ainsi rassurer Sandrine. Martin, tu ouvres la marche ?

D'un pas vif, suivi ou précédé par Sophie, Martin tel un agent immobilier entame la visite. La maison n'est pas gigantesque et plutôt bien rangée. En fait, l'endroit le plus en désordre doit être ma chambre mais Martin ne s'y arrête pas. Dans celle de Sophie qu'ils ont occupé une bonne partie de la journée, seules quelques piles de jeux ou de livres traînent un peu.

-Simon, il fait comme toi mais sans froncer les sourcils. On finit un jeu, on le range.

Si le jeune garçon semblait intimidé ce matin, il est évident que ce n'est plus le cas. Ses formulations sont drôles et dignes d'un enfant éveillé. Sophie, lorsqu'elle parlait, n'avait pas plus de filtres. Cela nous avait bien des fois déclenché de mémorables fous rires.

-Merci de me faire passer pour un maniaque, Martin ! A sa sortie de l'hôpital, il a fallu réapprendre certaines bases dont le rangement justement.

-Je peux vous assurer que, de mon expérience, ils sont tous les deux plutôt cools, commente Simon moqueur.

(Nils)

Mes espoirs d'avancer dans la préparation d'outils pour aider Simon sont hélas tombés à l'eau. Le pire étant que je me suis moi-même mis les pieds dans le tapis. Un de mes défauts, le perfectionnisme à outrance. Le résultat d'années où le moindre de mes gestes était dénigré, rabaissé par mes chers parents. Toutes mes forces visaient une appréciation positive qui ne venait jamais. Dans le cas présent, je suis essentiellement énervé contre moi. Pas question d'aller gémir une fois de plus dans les bras d'Hugo. Gaëtan ne m'a obligé en rien. J'ai accepté de rechercher de quoi aider Simon. A moi d'assumer le fait que c'est un échec.

Devant la porte, j'hésite sérieusement à faire demi-tour mais je sonne malgré tout.

-Nils ? Ai-je mal compris ? Pierre et Simon sont déjà rentrés chez eux.

L'air inquiet de Gaëtan provoque une réaction inattendue que je n'arrive pas à maîtriser. Deux bras m'encerclent et tentent d'endiguer le flot de larmes. Une part de moi est honteuse de cette hypersensibilité, l'autre profite du geste. La main posée au creux de mes reins m'apaise en peu de temps.

-Entre Nils, chuchote-t-il en me tirant à l'intérieur.

Percuté par le soleil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant