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(Gaëtan )

Je me glisse derrière le volant, et démarre afin de partir au plus vite. C’est stupide, je le sais bien. Comme si elle pouvait me regarder par la fenêtre ! 

Mes larmes coulent sur mes joues, incontrôlables. Deux heures plus tard, je prends possession de mon nouvel appartement de fonction. Mes meubles y sont arrivés il y a deux jours. Il m’a fallu faire appel à toutes mes relations pour l’obtenir dans des délais corrects. L’administration est très loin d'être humaine, ce n’est un secret pour personne. Impossible de leur faire admettre la réalité. Sophie n’a aucun trouble psychique majeur, elle a été examinée par tant de spécialistes ! Elle ne parle pas parce qu'elle ne veut pas le faire. Ou plus précisément, son corps réagit à un état de choc.  Et oui, malgré ses six ans, personne n'arrive à changer cet état de fait. 

J'ai dû me résoudre à lui trouver un centre où elle puisse être en sécurité. 

Dans trois jours, l'école reprend, j'y serai aussi.

( Miriam Léveque, la secrétaire de l'institut Medico Éducatif  ) 

 Comme à chaque pré-rentrée, je suis enchantée d’ouvrir le portail aux anciens et aux nouveaux venus. Monsieur Vernet, le directeur adjoint est arrivé presque en même temps que moi. D’un signe de tête, il m’a salué et s’est enfermé dans son bureau. J’imagine qu'après presqu'une année entière en arrêt maladie, la reprise doit être compliquée. Se rappelle-t-il qu'il lui incombe d’accueillir toute l’équipe ? J’hésite et décide d’aller m’en assurer. 

La porte de son bureau est entrouverte, je frappe deux petits coups.

— Monsieur Vernet ? 

— Entrez, Miriam. J’essaye de me remettre dans le bain en lisant les mémos de mon remplaçant. Aucun doute, cet homme aime écrire, ironise-t-il un tas de papiers étalés sur son bureau. Ai-je oublié de faire quelque chose ? 

— Rien n’est encore dramatique, Monsieur.  Il vous revient le privilège d’accueillir l’équipe au grand complet, précisé-je.

Alors qu'il était plutôt souriant l’instant précédent, je sens un moment de panique arriver. 

— Et vous ne pensez pas qu'il aurait été hautement appréciable de me le dire avant ? Je n’ai quasiment aucun souvenir des noms de mes collègues de l’année précédente et n’ai aucune information concernant les nouveaux. Ce Monsieur Train, au lieu de remplir des feuilles et des feuilles de bla-bla inutiles, aurait été avisé de me faire un topo sur les nouveaux venus, s'énerve- t-il, balayant d'un revers de bras une pile de papiers.

Surprise par sa réaction excessive, je perds mes moyens. L’homme que j’ai en face de moi est à mille lieues de celui avec qui je travaillais il y a un an. Jamais celui-ci n'aurait osé me parler sur ce ton hautain. 

—  C’est exactement ce que je venais vous apporter, répliqué -je. Quant à vous le confier avant, cela m’aurait été difficile puisque personne ne m’a fourni adresse mail ou téléphone. 

Son visage change  immédiatement. Le côté colérique qui m’a choqué disparaît pour laisser apparaître le trouble.

— Voulez-vous me pardonner, Miriam. Le mail contenant toutes les nouvelles informations primordiales pour faire un travail efficace est prêt à partir. Les deux dernières semaines ont été difficiles et certaines actions n’ont pas été faites avec ma rigueur habituelle. 

— Ce sont des choses qui arrivent. Et si nous faisions cet accueil ensemble ? 

— Cela me semble être une très bonne option.

(Gaëtan )

J’ai encore le rouge aux joues. Que m’a-t-il pris de m'en prendre ainsi à Miriam ? Il est indispensable que je m’arrête à la pharmacie à la fin de journée. J’ai eu la très mauvaise surprise de découvrir ma boîte de somnifères vide hier soir.

Au fur et à mesure de notre avancée, le bruit de discussions se fait entendre. Dans le grand hall qui dessert les différents secteurs de l’établissement, une vingtaine de personnes debout discutent avec plus ou moins d’entrain. Certaines têtes me disent quelque chose sans pour autant réussir à accoler un nom aux visages. Un peu à l’écart deux ou trois personnes semblent plus fébriles. Je ne peux m’empêcher d’en repérer un en particulier. Sait-il qu'il se trouve dans un établissement scolaire ?

Discrètement, je me penche vers Miriam et lui glisse à l’oreille :

— Quel est cet énergumène ? Croit-il être invité à un carnaval ? 

Je réalise que, du fait de la taille de la pièce,  ma voix a porté largement plus fort que désiré. Évidemment, tous les regards se portent vers l’homme en question. La chemise fushia qui est la cause de ma remarque, accompagne un pantalon fluide noir. 

— L'énergumène se nomme Nils Favre. Lors de mon entretien d'embauche, Monsieur Train ne m'a fait part d'aucun dress code particulier. Toutefois si ma chemise vous éblouit, puis-je suggérer l’achat de lunettes de soleil ?

Et d'un mouvement insolent, il conclut par une révérence. Mon intention est de le réprimander immédiatement mais le regard sévère de Miriam m'arrête. 

— Mesdames et Messieurs, enchaîné-je, au plus vite. Une partie de vous me connaît déjà puisque j’occupais ce poste l’année dernière. Je suis Monsieur Vernet. J’ai peur qu'il me faille  quelques jours pour enregistrer vos noms et vos fonctions. N’hésitez pas à m’interpeller si besoin, ainsi que Miriam Leveque, ma secrétaire. Les enfants que nous accueillons ont cruellement besoin de notre aide. En attendant leur arrivée en début de semaine prochaine, je compte sur les anciens pour aiguiller les nouveaux. 

Je ne m’attendais pas à une salve d'applaudissements ni à si peu. Est-ce que ma stupide intervention en est la cause ? 








Percuté par le soleil Où les histoires vivent. Découvrez maintenant