(Nils)
C’est exactement le problème. Nous parlons de celui qui, dès le premier contact, sans même me connaître, a failli me faire renoncer à mon rêve. Au fil des discussions, de ses interventions avec Fabien, Lise, je découvre des facettes de lui différentes. Il me semble impossible que ce ton dédaigneux concorde avec ce besoin de protéger cette petite fille. Pourtant les paroles d’Hugo et de Simon tendent à croire le même sentiment. Au point qu'ils ont tous les deux tenté de me le cacher. Pour ne pas me blesser ? Ont-ils eu peur d'une mauvaise réaction de ma part ? Ai-je, par habitude, rangé cet homme dans la catégorie homophobe alors qu'il était plus vraisemblablement maladroit ? Ne suis-je pas, pour le coup, moi-même à ranger dans le secteur intransigeant ?
— Je ne sais pas quelles sont les pensées qui tournent et retournent dans ta tête mais il serait préférable que tu les poses sur la table.
— Tout semble si facile avec toi, Hugo.
—Ne crois pas cela. Je ne me suis pas souvent confronté personnellement à la méchanceté gratuite. Je la croise, la combat mais je ne l’ai jamais subi. Parles-moi.
— Est-ce normal de ma part de découvrir que certains aspects de cet homme me plaisent ?
—En quoi cela devrait être anormal d’après toi ? Et quels aspects ? Sans ces précisions, je vais avoir du mal à te répondre.
—Tu dois t’en douter. Ses propos envers moi devraient me le faire détester.
—A mon tour de poser des questions, tu veux bien ? Simon me l’a posée lui aussi. Est-ce qu’être traité d'énergumène peut être considéré comme une remarque homophobe ?
— Ne me prends pas pour un idiot, Hugo. Devant n’importe quel juge ou flic, ce serait impossible à défendre. C’est juste une remarque par rapport à une “différence” vestimentaire. Une couleur trop criarde, un timbre de voix plus aigu, une allure androgyne. C’est tout cela qui m’insupporte parce que j'ai l’impression que je dois faire attention à chacun de mes gestes pour rester accepté par les autres.
— Simon se demandait si tu avais encore peur de lui.
—Je suis fatigué de mesurer chacun de mes gestes.
—Ne le fait plus. Tu aimes les couleurs vives, les pantalons larges. Personne ne me reproche mes jeans.
—Tu n’as pas mon gabarit, cela doit aider.
—Tu sais bien que cela n’a rien à voir. L’été dernier dans ton centre aéré, personne ne te cherchait des poux dans la tête. Tu es un bon professionnel, Nils. C’est cela qui compte. Et je suis persuadé que Vernet en a conscience.
—Tu ne dis plus Gaëtan ?
—Il n’est pas mon patron. Et c’était pour ne pas troubler Sophie qui ne le connaît que par ce diminutif. Rien d’extraordinaire. Difficile dans le cadre professionnel, tu en conviendra. Mais nous n’avons évoqué qu'une partie du problème. Je suis impatient de découvrir les aspects qui te plaisent.
Voilà le souci avec Hugo. Il est attentif. Et son sourire un peu moqueur arrive, comme d’habitude, à me débloquer.
— Je ne suis pas du genre à détailler, tu sais bien.
—Je crois surtout que tu ne te l’autorises pas. Il n’y a aucun mal à apprécier un fessier musclé, une poitrine ronde ou un ventre plat.
—Tu regardes ça, toi ?
— Nils. Crois-tu que je n’ai aucune envie ? Me prends-tu pour un moine ?
—Disons que je ne t’ai jamais vu avec quelqu'un.
—Ce qui ne signifie pas qu'il n’y ait jamais personne. Juste que je les garde pour moi. Mais là, nous parlons de toi. Appuis-toi sur tes compétences, Nils. Tu as le droit d’être fier de toi. Affirme-toi plutôt que de courber l’échine. Et donc c’est son fessier qui te plait ?
—Pourquoi ? Tu l’as remarqué, toi ?
— Et bien oui, justement. François adore tester de nouveaux concepts, du mobilier nouvelle génération et tester leur effet sur nos jeunes patients. Afin de repérer le degré d’empathie entre Gaetan et la petite, j’ai proposé à celle-ci de visiter le tipi indien tout nouvellement installé dans la salle. Même si Gaëtan n’est pas un géant, il a dû opter pour le quatre pattes pour y entrer. J’ai apprécié…
— C’est autorisé de fantasmer sur les parents des patients ?
—Qui a parlé de fantasme ? J’ai juste remarqué un fessier ferme et de toute façon il est le tuteur pas le parent, précise Hugo, hilare.
( Gaëtan )
Sophie a sombré si profondément dans la voiture que la détacher du siège et la déposer dans son lit ne l’a même pas réveillé. Je profite de ce moment seul pour faire le point. J’ai proposé à Simon de faire un essai demain matin. Sa façon de faire avec Sophie m’a plu mais j’ai malgré tout contacté la boîte qui l’embauche régulièrement. Madame Ristan, la chef du personnel m’a permis de me rassurer à ce propos.
—Simon ? Une perle, ce jeune homme. Il travaille avec nous depuis presque une année maintenant. Aucun reproche d’aucune famille. Jamais un retard, toujours poli et d'une très grande efficacité. Le seul reproche que je peux lui faire est le fait qu'il ne possède ni permis voiture ni voiture.
Comment ne pas être rassuré ?
Je finis de ranger du courrier quand Sophie entre dans la pièce. Sous son bras, un jeu que je reconnais.
—Tu veux me dire quelque chose ?
Aucun hochement de tête avec moi mais elle agit en posant sa boîte sur la table. Des cartes se retrouvent très vite, en vrac, sur la table. Elle les tourne cherchant visiblement quelque chose qu’elle ne trouve pas.
—Sophie. Calme-toi. Je vais te poser des questions pour essayer de comprendre ce que tu veux dire ?
Son sourire s’élargit, c’est aussi agréable qu'un hochement de tête. Les cartes représentent des animaux, des objets c’est une sorte d’imagier qui nous sert parfois à communiquer.
—Est-ce un objet ?
Signe négatif de la tête.
—Alors on les enlève tous, dis-je en débutant le tri très vite aidé par des petites mains efficaces.
Après plusieurs questions qui à leur tour éliminent des cartes, j’avoue ne plus savoir que demander. Il ne reste que des silhouettes de personnages représentants des métiers entre autres.
—Tu cherches un métier ?
Sa tête tourne de droite à gauche, énervée. Elle cherche à me dire quelque chose mais pour la première fois, je n’arrive pas à décoder.
—Je ne comprends pas mais je vais continuer. Nous allons y arriver. C’est un homme ?
Son sourire réapparaît.
—Qu'est-ce que tu attends pour enlever les dames, alors ? dis-je en ôtant les cartes concernées.
Il reste peu de cartes au final mais je suis une fois encore coincé.
—Je ne vois pas ma puce. Veux-tu que j'appelle Simon ? Peut-être aura-t-il une idée, lui ?
Son rire résonne dans la pièce, elle semble même en être étonnée. Elle part en courant vers sa chambre, revenant quasi immédiatement avec son alphabet qu'elle pose devant moi.
—Je ne sais pas si c'est ce que tu veux mais essayons. S. I. M. O. N.
Avec un grand sourire, elle reconstitue le mot lettre par lettre.
— Tu lui montrera demain, il sera content.
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Percuté par le soleil
Roman d'amourAprès un long arrêt maladie, Gaetan revient au travail. Son poste de directeur adjoint à l'IME l'attend. Costume sombre, chemise blanche, cravate, rien dans son apparence n'inspire la joie de vivre. Suite à un entretien avec la direction, Nils a dé...