Chapitre 21

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Je passais deux jours entiers à m'ennuyer ferme à la maison. La travail me manquait terriblement mais je ne pouvais pas encore reprendre.
Ma blessure n'était pas totalement guérie, sans compter que, pour ne rien arranger, je me retrouvais avec un bleu énorme, virant au vert, au niveau de l'épaule gauche. Les séquelles de mon entaille, sans doute. Je pouvais difficilement bouger le bras et mes activités étaient donc assez restreintes.
J'avais renoncé à faire le ménage à fond, (d'une seule main, c'était beaucoup plus long que d'habitude) et à faire la cuisine (après avoir failli me brûler et la maison avec, j'avais décrété qu'il valait mieux que j'attende encore un peu pour m'y remettre). Je m'étais rabattue sur la lecture, mon passe-temps favori, mais là, ce n'était pas mon incapacité physique qui me bloquait, mais mon cerveau. J'avais un mal fou à me concentrer sur ce que je lisais. Mon esprit ne pensait qu'à une seule personne.
Eden.
Depuis que j'avais pris conscience que j'avais des sentiments pour lui, c'était comme si je n'étais plus en mesure de penser à autre chose. Je me réveillais avec le visage d'Eden et je me couchais avec lui. Quelque soit l'activité à laquelle je m'adonnais, rien ne réussissait à me faire enlever son visage parfait de ma tête. J'avais même toutes les peines du monde à me concentrer sur ce qui m'entourait, et en particulier à être attentive aux personnes qui me parlaient.
Quand Neil était rentré, le jour où Eden m'avait ramené de l'hôpital, il avait ouvert de grands yeux en me voyant affalée dans le canapé du salon. Je lui avais raconté mes péripéties et j'avais bien vu qu'à travers son voile d'inquiétude et d'incompréhension (comment on réussissait à se planter un cutter dans le bras en tombant dans les pommes ?), il avait retenu un petit sourire devant l'absurdité de la situation. Je ne lui en avais pas tenu rigueur. C'était le genre de chose qui n'arrivait qu'à moi.
Il n'avait rien ajouté, mais son regard avait parlé pour lui quand je lui avais avoué que c'était Eden qui m'avait ramené à la maison. J'avais presque pu sentir sa petite satisfaction transparaitre aux coins de ses yeux.
Ce fut plus difficile, pour ma mère, de se retenir de faire le moindre commentaire. D'ailleurs, c'était simple, elle n'avait pas réussi à se taire. Je savais que c'était une mauvaise idée de lui rapporter cet épisode, mais Neil avait insisté pour que je la mette au courant de mon état. J'avais bien tenté de protester mais avais fini par céder devant son insistance. J'avais compris, plus tard, qu'il voulait simplement que je lui dise ce qu'Eden avait fait pour moi.
J'avais donc appelé ma mère, m'attendant à la mettre dans tous ses états en lui annonçant mes déboires. Cela n'avait pas loupé. Elle s'était affolée et avait envisagé de venir sur le champ pour s'occuper de moi, étant donné que mon oncle devait travailler et que je me retrouvais seule la journée. Usant de persuasion, j'avais fini par la dissuader de laisser James et sa boutique pour moi. Je lui avais assuré que je pouvais très bien me débrouiller seule et que Neil, quand il était là, était aux petits soins, ce qui était la pure vérité et m'avait d'ailleurs profondément touché.
Il me préparait, le soir, mes repas pour le lendemain, afin que je n'ai plus qu'à faire chauffer. J'appréciais d'autant plus son attention qu'il n'avait pas vraiment l'habitude de cuisiner pour lui, en temps normal. Mais il avait véritablement tenu à m'aider.
Je lui dictais la recette et faisais ce que je pouvais, tandis qu'il s'occupait de ce qui était trop ardu pour moi, dans mon état. Cela avait rassuré ma mère et elle avait fini par laisser tomber son idée de venir.
J'avais essayé de couper court à la conversation, voyant mon oncle s'agiter à côté de moi tandis que je parlais à ma mère. Je savais qu'il avait une idée derrière la tête et que c'était en rapport avec Eden, que j'avais pris le soin de ne pas évoquer durant ma discussion avec ma mère.
Quand il s'était penché vers le combiné, au moment où je comptais raccrocher, et qu'il avait crié : « Rebby, tu ne devineras jamais qui a ramené Wendy, le jour de son accident ! », je lui avais lancé un regard noir. Ma mère avait poussé une exclamation stridente, à l'autre bout du fil, et j'avais dû éloigner le téléphone de mon oreille pour ne pas perdre l'ouïe.
La suite fut une longue série de question pour savoir comment cela s'était passé, en détail. J'avais tâché de prendre un ton désinvolte en lui relatant qu'il était venu à l'hôpital suite au mot que Liam avait laissé à la librairie, mais ma mère avait refusé de prendre cette histoire à la légère. Elle n'avait pas cessé de me répéter des « Je le savais ! », trahissant sa satisfaction débordante. J'avais beau lui répéter que ce qu'il avait fait ne voulait rien dire, elle n'avait pas voulu être de mon avis.
— Wendy, ne sois pas aussi naïve, je te prie ! M'avait-elle sermonné, comme si c'était moi le problème. Tu ne me feras pas croire que ce garçon n'est pas intéressé par toi ! Pas après ce qu'il a fait.
J'avais levé les yeux au ciel et cessais de chercher à la convaincre. Je l'avais écouté d'une oreille distraite, me déballer tout ce qu'elle pensait, tandis que mon esprit s'était attardé sur la manière dont Eden m'avait fait son numéro de charme à l'hôpital et dans sa voiture.
Le soir où il m'avait ramené, et où j'avais pris conscience de mes véritablement sentiments à son égard, il m'avait écrit un message pour savoir comment j'allais. Mon coeur avait fait un bond dans ma poitrine, alors que je l'avais vu quelques heures avant.
Nous avions discuté un moment et je n'avais pas réussi à défaire le sourire de mes lèvres. Je m'étais moquée de moi-même pour ma réaction puérile avant de me rendre compte que j'avais complètement oublié de rassurer Liam. Réparant mon oubli, je m'étais ensuite endormie comme une masse, sous l'effet des cachets que j'avais pris, en prévention de la douleur.
C'était le quatrième jour de ma convalescence et, comme tous les matins, je regardais par ma fenêtre pour voir si ma voiture était garée devant la maison, redoutant d'avoir loupé la venue d'Eden.
Je me figeais en constatant qu'elle se trouvait à sa place.
Je regardais l'heure sur mon téléphone. Il était à peine huit heure et demie. Je ne savais pas quand est-ce qu'il était venu la déposer, mais une bouffée de déception m'envahit en constatant que je l'avais manqué.
Je me demandais pourquoi il n'avait pas cherché à me voir. Il aurait pu m'appeler ou choisir une heure plus tardive pour être sûr que je ne dormirais pas.
En soupirant, je m'assis sur le lit et regardais l'historique des appels sur mon téléphone, de peur de ne pas avoir entendu son coup de fil, mais il n'y avait rien.
Je me laissais aller sur lit et contemplais le plafond, le moral au plus bas.
Je devais me rendre à l'évidence. J'avais espéré la venue d'Eden, alors qu'il ne m'avait jamais promis de venir me voir. Il m'avait simplement proposé de ramener ma voiture et il l'avait fait. Il avait rempli sa part du marché et je ne pouvais pas lui en vouloir.
Pourtant, me dire qu'il était venu sans prendre la peine de chercher à me voir, me fit mal.
Me redressant soudainement, je réfléchis aux possibilités qui s'offraient à moi aujourd'hui pour ne pas sombrer dans la déprime. Le programme n'était guère plus attractif que les jours précédents. Mais j'avais désormais ma voiture à disposition, je pouvais donc aller où je voulais.
Je baissais les yeux sur mon bras, toujours bandé. Certes, la douleur était toujours présente, par moment, mais elle était beaucoup plus supportable. Même si j'avais un peu mal à l'épaule quand je bougeais, je n'aurais pas de mal à conduire.
Je m'habillais rapidement et sortis. Quand j'entrais dans ma voiture, je fus accueillie par le parfum enivrant d'Eden et je réprimais un sourire.
Je trouvais les clés dans la boîte à gant et démarrais pour me rendre à la librairie, ignorant la petite voix qui me susurrait qu'il aurait pu, au moins, me laisser un petit mot.
Je savais que j'avais promis à Eden de ne pas travailler, mais je ne comptais pas me rendre là-bas dans ce but. J'en avais marre de rester enfermée à ne rien faire. Il fallait que je me change les idées. Mais par-dessus tout, j'avais terriblement besoin de le voir lui. La frustration qui m'avait saisi plus tôt était toujours présente et j'avais besoin d'en venir à bout.
Je me garais sur le parking de la librairie, en regardant autour de moi, comme si j'étais une fugitive. Cette pensée me fit sourire et je sortis de la voiture. Bien la peine qu'Eden me la ramène pour la remettre exactement au même endroit.
Je pris une profonde inspiration et me dirigeais vers la porte d'entrée, avant de m'arrêtais devant en fronçant les sourcils. Le panneau indiquait que c'était fermé. Pourtant, il était neuf heure passé, elle aurait dû être ouverte.
Je regardais à travers la porte vitrée et vis les lumières allumées. Il y avait donc quelqu'un, c'était évident.
Perplexe, je réfléchis quelques instants à ce que je pouvais bien faire. Je tentais de tourner la poignée mais la porte était verrouillée. Judy avait peut-être était absorbée par une tâche et avait oublié d'ouvrir.
Non, cela ne lui ressemblait pas. A moi, oui. Mais pas à elle.
Je me tournais en direction de la place et observais les alentours. Elle était peut- être allée chercher un café chez Ben ?
Je me tâtais à aller vérifier avant de me raviser. Si elle n'y était pas, j'allais me retrouver prise au piège par Ben qui ne manquerait pas de me poser des questions sur mon état et me forcerait à rester, pour m'offrir une boisson ou n'importe quoi. J'aimais beaucoup Ben, mais je n'avais pas du tout envie de rentrer dans les détails de ce qui m'était arrivée.
Je voulais voir Judy ou Eden.
Je décidais de faire le tour du bâtiment. Avec un peu de chance, la porte arrière serait ouverte.
Je longeais le mur en brique et me dirigeais vers l'arrière de la librairie. Une grosse moto noire était garée dans la petite allée, à côté de la voiture de Judy. Le casque était posé sur la selle en cuir. Je fixais mon attention dessus pendant un bref instant. Il me disait vaguement quelque chose. J'avais l'impression de l'avoir déjà vu mais je ne me rappelais pas où.
Je passais devant la moto, sans quitter le casque des yeux, espérant qu'il allait me donner la réponse à la question qui me taraudait. Quand je détournais enfin mon regard, je m'arrêtais net avant de percuter de plein fouet Judy.
Je fis un bond en arrière.
— Judy ! Tu m'as fait peur ! M'exclamais-je, moitié surprise, moitié rassurée de la voir.
Mon sourire s'effaça légèrement quand je vis son expression. Je m'étais attendue à ce qu'elle saute de joie en me voyant, mais elle semblait davantage perplexe et presque agacée de me voir ici.
— Wendy, tu peux me dire ce que tu fais là ? Me demanda-t-elle, rudement.
Son ton me prit au dépourvu et je dus prendre sur moi pour ne pas montrer que j'étais vexée par son accueil.
— Je ne viens pas pour travailler, rassure toi. Je voulais juste passer, c'est tout.
Elle sembla se radoucir un peu, mais conserva sa gravité.
— Tu n'aurais pas dû, me dit-elle précipitamment.
— Je pensais que ça te ferait plaisir. Visiblement, je me suis trompée, répliquais-je, piquée d'être rejetée de la sorte par mon amie.
Je tournais les talons, m'apprêtant à partir, mais elle me retint par le bras, appuyant sur le bleu que j'avais à l'épaule. J'étouffais un petit cri de douleur en me reculant. Judy afficha une mine perplexe.
— Qu'est-ce que tu as ?
— Ce n'est rien. J'ai juste un gros bleu à l'épaule, à cause de ma blessure, je pense.
L'expression de Judy se figea et elle devint soudain toute pâle.
— Ce n'est rien, vrai...
— Montre-moi.
Je fus un instant déstabilisée par sa demande. Je n'allais quand même pas me déshabiller en pleine rue !
— Judy, c'est ridicule, protestais-je.
— Montre-moi, Wendy, insista-t-elle. S'il te plaît.
Je la toisais, ébahie. Elle finit par soupirer d'impatience.
— Dois-je m'en charger moi-même ? Fit-elle agacée.
— Ca va, ça va.
Je ne savais pas quelle mouche l'avait piqué aujourd'hui, mais je la trouvais particulièrement étrange. J'obéis, toutefois, et accédais à sa demande, malgré ma réticence. Que ce soit avec Eden ou Judy, il était impossible de lutter. Ils finissaient toujours par obtenir ce qu'ils voulaient de moi.
Je baissais la couche de vêtement qui couvrait mon épaule et dévoilait le gros hématome qui colorait ma peau. Les yeux de Judy s'écarquillèrent de stupeur.
— Oh non, souffla-t-elle, mortifiée, en se prenant le visage.
— Judy, ce n'est rien, je t'assure. C'est impressionnant, c'est vrai, et ça me faisait mal au début, mais plus maintenant. Enfin, beaucoup moins.
Ma tentative de la rassurer échoua pitoyablement et elle continua de regarder mon épaule avec horreur.
Je décidais de me rhabiller correctement. Déjà parce que j'avais un peu froid, ensuite, parce que je n'avais pas envie que quiconque nous voit comme ça, et enfin parce que c'était la seule solution que j'avais trouvé pour la calmer. Elle détacha ses yeux de moi et essaya de se ressaisir.
— Judy, tu es sûre que tu vas bien ? Demandais-je en faisant un pas vers elle. J'ai l'impression que tu es bizarre, aujourd'hui.
Elle recula de quelques pas et me sourit.
— Oui, tout va bien. Ça m'a juste...fait mal de te voir comme ça.
Je la regardais en plissant les yeux, guère convaincue par son explication.
— Tu devrais rentrer te reposer, maintenant.
— Je me disais que je pouvais peut-être t'aider un...
Elle me coupa énergiquement la parole.
— Non ! Tu ne dois pas travailler, je te rappelle. Je me débrouille très bien sans toi, ne t'en fais pas. Rentre chez toi, Wendy.
La manière qu'elle avait de me presser de partir était louche. Mais je ne voulais pas me disputer avec elle, aussi, je finis par abdiquer.
— Très bien. A plus tard, alors, lançais-je en m'éloignant.
— Prends soin de toi, Wendy.
Je retournais lentement à ma voiture, complètement hébétée à ruminer ce qui venait de se passer.
Je m'installais derrière le volant et soupirais. Je ne pouvais pas me défaire de l'expression affolée de Judy en voyant ma plaie. J'avais eu la sensation qu'elle s'en voulait. Pourtant, ce n'était pas de sa...
Je me redressais soudainement sur mon siège, alerte.
Je me rappelais alors sa réaction quand elle avait appris qu'elle était invitée au mariage de ma mère. Elle m'avait prise dans ses bras avec une telle force que j'avais eu mal à l'épaule quand Liam était venu.
En y repensant, je sentis une douleur en provenance de l'hématome que je lui avais montré et je portais ma main dessus, instinctivement.
J'avais cru que le bleu était dû à ma blessure, mais soudain, je n'en fus plus tout à fait sûre. Etait-il possible que je me sois trompée et que ce soit l'oeuvre de Judy, en réalité ?
Je me souvenais parfaitement avoir plaisanté sur sa force incroyable et le regard plein de culpabilité qu'elle m'avait lancé. Etait-ce parce qu'elle savait ce qu'elle avait fait qu'elle avait semblé aussi coupable ?
Je secouais rapidement la tête. Ce n'était pas possible. Personne n'était capable de faire un bleu pareil en enlaçant quelqu'un, même un peu trop vivement. Cela n'avait pas de sens !
Il fallait que j'aille trouver Judy pour la rassurer sur ce point. Je ne pouvais pas la laisser croire qu'elle était responsable.
Je sortis précipitamment de la voiture et traversais la place au pas de course. Mais en arrivant devant la porte de la librairie, je restais clouée sur place.
Les lumières étaient éteintes, les stores baissés et le panneau indiquait toujours que la boutique était fermée. Sans attendre, je me dirigeais derrière et constatais que la voiture de Judy avait disparue, ainsi que la moto.
Comment était-ce possible ? A quel moment Judy avait quitté les lieux sans que je ne m'en aperçoive ? J'avais été tellement absorbé par mes pensées que j'avais complètement fait abstraction des bruits autour de moi. Je n'avais même pas remarqué qu'elle était partie. Comment allais-je la retrouver, à présent ? Elle pouvait être n'importe où.
Je soupirais en tentant de trouver une solution. Soudain, l'image de la brocante de Rose me vint à l'esprit. Judy n'était sûrement pas là-bas, mais peut-être qu'Eden y était, lui.
Cette idée emballa mon coeur et je me précipitais vers ma voiture pour me mettre en route. Par chance, je trouvais la boutique aussi facilement que la première fois. En arrivant devant la porte, je pris conscience que je n'avais jamais rencontré la mère adoptive d'Eden et Judy. Une petite angoisse monta au fond de moi quand j'entrais.
L'odeur de bois et de peinture emplissait les lieux. Il n'y avait personne à l'accueil. Décidément, ils s'étaient donné le mot pour ne pas être là au moment où je les cherchais.
Je m'enfonçais dans la boutique, observant les magnifiques meubles qui y étaient exposés. Je vis la bibliothèque qui m'avait tapé dans l'oeil la dernière fois et m'approchais. Une petite étiquette était posée sur l'une des étagères et indiquait « Réservée ».
Je souris en imaginant que cette belle écriture calligraphique était celle d'Eden.
Je sentis un petit courant d'air frais me caresser les jambes et je remarquais que la porte du fond était ouverte. Je m'approchais, en veillant à ne renverser aucun objet.
Plus j'approchais, plus j'entendais des voix en provenance de l'extérieur. Mon coeur cognait fort dans ma poitrine, au moment où je me retrouvais juste derrière la porte. Je glissais ma main sur la poignée et me figeais en entendant les paroles s'élever de l'autre côté.
— Je te donne une dernière chance d'expliquer ce que tu faisais là-bas.
Je tressaillis en reconnaissant la voix d'Eden. Elle était glaciale et j'imaginais sans mal son visage marqué par la colère.
— Il faut toujours que tu fasses une affaire de tout, c'est impressionnant.
Je ne parvenais pas à discerner à qui appartenait cette voix d'homme. J'avais bien l'impression de l'avoir déjà entendu, mais je n'en étais pas certaine.
— Je cesserais de faire une affaire de tout quand tu m'auras dit ce que tu cherches, exactement.
Le grognement sourd de la voix d'Eden me fit tressaillir.
— Allons, détends-toi, un peu. Je suis juste curieux, à propos de cette fille.
Je me figeais instantanément et tendis l'oreille, me demandant qui était cette fille dont ils parlaient.
— Quelle fille ? Demanda Eden, moins agressif.
— Ah non, Eden, ne joues pas à ça avec moi, s'il te plaît ! Se mit à rire son interlocuteur. Tu sais pertinemment que j'ai horreur de te voir faire ça.
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
Eden avait repris son ton sec et j'entendis un soupir.
— Tu es bien sûr de ça ? Pourtant, ce n'est pas ce que ton attitude laisse à penser.
Il semblait désireux de mettre à bout Eden et je percevais un sourire narquois à travers ses paroles.
— Mon attitude n'a rien à voir avec elle, poursuivit Eden. C'est juste ta présence insupportable qui me rend comme ça.
Un éclat de rire résonna fortement.
— Merci du compliment ! Tu sais que j'aime avoir cet effet là sur les gens.
Son ton était horripilant. Je comprenais pourquoi Eden était autant à cran. Même si
cela semblait davantage amuser son interlocuteur.
— Tu sais que tu n'as rien à faire ici, lâcha Eden, menaçant, accentuant le dernier mot malgré ses dents serrées.
— Alors, tu ne me diras rien sur elle ? Demanda l'homme, ignorant sa remarque.
— Je n'ai rien à en dire.
Je n'osais pas faire le moindre geste, de peur que la porte ne grince, trahissant ma présence. Même si je savais que j'aurais dû partir depuis un moment, je me sentais étrangement concernée par leur discussion et avais la désagréable sensation que cette fille, dont il était question, n'était autre que moi.
— Dommage, lâcha l'homme. Je devrais aller à la pêche aux informations tout seul, alors. Tu ne m'en donnes pas le choix.
— Je te conseille de rester loin de toute personne dans cette ville, si tu ne veux pas que je m'en mêle.
— Bouh, je tremble de peur, ironisa l'autre homme.
Son timbre de voix m'était de plus en plus familier.
— Tu devrais, pourtant, dit Eden.
Un soupir accueillit ces paroles.
— Si je ne te connaissais pas, je dirais que tu en fais une affaire personnelle. Je me trompe ?
Un autre grognement sourd se fit entendre.
— Je veux seulement que tu arrêtes ton petit jeu. Pas ici. Pas dans cette ville.
— Pas avec cette fille, termina l'autre, en chantonnant presque.
— Je ne sais pas ce que tu as avec elle, mais tu te fais des idées, répliqua Eden d'un air désinvolte.
— Je ne sais pas ce que tu as avec elle mais je trouve ça fascinant la manière dont tu essaies de m'écarter.
Je perçus le soupir d'exaspération d'Eden.
— Pourquoi ne me dis-tu pas la vérité ? Après tout, je...
— Ne finis surtout pas cette phrase, cracha Eden, me faisait sursauter légèrement.
L'autre homme ne sembla pas vexé, il lâcha un petit rire.
— Comme tu voudras. Mais j'insiste. Si tu veux que je parte, je veux savoir ce qu'il y a entre toi et cette rouquine.
Mon sang se figea dans mes veines. J'avais la sensation que mon coeur s'était mis à battre dans mes oreilles et à résonner dans mon crâne.
Je me penchais légèrement et aperçus le profil d'Eden, un peu plus loin. Tout son corps était tendu et, malgré la distance qui me séparait de lui, je pouvais nettement discerner l'éclat sombre de ses prunelles ainsi que sa mâchoire qui se contractait furieusement.
— Il n'y a absolument rien, fulmina-t-il en détachant soigneusement chaque syllabe.
— Je ne te crois pas.
— Pourtant tu devrais, trancha Eden. C'est une amie de Judy, rien de plus.
Mon coeur tambourinait sauvagement dans ma poitrine. Plus de doute, ils parlaient bien de moi.
— Ce n'est donc pas la tienne ? Demanda, de manière provocatrice, l'autre homme que je n'arrivais toujours pas à voir.
— Pas du tout. Elle est complètement insignifiante pour moi.
A ces mots, j'eus la sensation qu'on me versait un seau d'eau glacé sur la tête. Mon sang quitta mon corps en un instant.
— Insignifiante ? Répéta l'homme. C'est fort.
— C'est vrai, asséna Eden. Elle n'est rien pour moi et ne sera jamais rien de plus qu'une fille quelconque qui est amie avec Judy et qui travaille pour Christian.
Ces paroles me coupèrent le souffle avec une telle force que je crus un instant que ce n'était pas réel. Mes mains se mirent à trembler dangereusement, tandis que mon coeur se décomposait. Un poids énorme s'abattit avec violence sur ma cage thoracique, m'empêchant de respirer.
— Je ne sais pas si je dois te croire, entendis-je difficilement la voix de l'autre homme.
Eden venait de se déplacer, laissant apparaître la moitié du visage de son interlocuteur. Mais mes yeux étaient rivés sur la personne qui venait de m'écraser le coeur.
— Pourtant, je n'ai jamais été aussi sérieux et honnête avec toi, de toute ma vie. Elle ne représente rien. A la limite, elle me fait un peu pitié, mais c'est tout ce qu'elle réussi à me faire ressentir. De la pitié.
Ces derniers mots suffirent à m'achever. Mes jambes se coupèrent sous l'effet du choc et je me demandais comment il était possible que je tienne encore debout. Une boule venait de se former au fond de ma gorge et j'eus toutes les peines du monde à retenir le sanglot qui menaçait de trahir ma présence.
Je regardais toujours le visage d'Eden, incapable de me détourner de lui. Pourtant, j'aurais voulu. Je désirais plus que tout sortir d'ici, prendre mes jambes à mon cou et m'enfuir le plus loin possible de cet homme qui venait de me rabaisser comme jamais personne ne l'avait fait.
Mais je restais là, incapable de bouger.
J'aurais voulu voir les yeux d'Eden, discerner dans son regard que ce qu'il disait n'était pas vrai, qu'il ne le pensait pas. Mais son ton laissait clairement sous-entendre qu'il était déterminé et sincère, ce qui suffit à m'écraser encore un peu plus.
Je sentis alors les yeux de l'autre homme se tourner vers moi et m'observer. J'aurais pu me sentir mal à l'aise d'avoir été démasqué, mais je ne ressentais que du vide et une affliction immense.
L'homme pencha la tête sur le côté avec un petit sourire. Je sentais qu'il me regardait, mais je ne pouvais pas détourner mon regard d'Eden.
Son interlocuteur ne semblait pas perturbé que j'ai pu entendre les atrocités qu'Eden avait dites à mon égard. Au contraire, on aurait dit qu'il prenait un malin plaisir à cette situation pourtant tragique.
Eden suivit le regard de l'homme et se tourna alors vers moi. Quand ses prunelles croisèrent les miennes, je fus frappée par la dureté qu'elles laissaient paraître. Il ne sembla pas surpris de me voir et cela me fit encore plus mal.
Dans mes oreilles, me parvint l'échos assourdissant de mon coeur se brisant en mille morceaux au fond de ma poitrine. Je ne pouvais pas supporter une seconde de plus son regard qui me poignardait lentement.
Je devais partir. Vite. Avant que mes sanglots ne s'échappent et me fassent perdre complètement le peu de dignité qu'il me restait.
Je rassemblais mes dernières forces et obligeais mes jambes à s'élancer le plus rapidement possible hors de la boutique, les yeux remplis de larmes et la gorge brûlante de sanglots retenus.
Avant que je ne puisse m'en rendre compte, je me retrouvais dans ma voiture, à rouler sans but.
Alors que les larmes roulaient à torrent sur mes joues, mon cerveau me renvoya l'image impassible et froid du visage d'Eden, suffisant à broyer un peu plus ce qui restait de mon coeur.

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