Mon regard était planté dans celui d'Eden, qui me fixait intensément.
Je mis un moment à me rendre compte de la situation.
Eden avait attendu la fermeture pour me voir et il me trouvait en compagnie de ma mère.
— ...ger, terminais-je ma phrase dans un souffle.
Je réussis à me détacher du regard hypnotique du bellâtre qui se tenait en face de nous, et me tournais lentement vers ma mère, qui l'observait également attentivement, un petit sourire aux lèvres.
Oh non !
Je me sentis rougir jusqu'à la racine des cheveux et fus bien contente que la pénombre ne permette pas à ma mère ou à Eden de voir mon trouble.
Ce dernier fit un pas vers nous.
— Bonsoir, dit-il de sa voix chaude et envoûtante. Vous devez être la mère de Wendy.
Ce n'était pas une question et ma mère lui adressa un magnifique sourire en s'approchant de lui.
— Rebecca, se présenta-t-elle en lui serrant la main qu'il venait de lui tendre. Tu dois être Eden, c'est bien ça ?
J'étais quelque peu rassurée qu'elle se soit souvenue de son prénom et ne l'appelle pas Eddy. Il eut un sourire amical tandis que je rentrais la tête dans mes épaules, horriblement gênée.
— Je vois qu'elle vous a déjà parlé de moi, fit-il remarquer, en me jetant un bref regard, ajoutant encore plus à mon malaise.
Ma mère, elle, ne sembla pas gênée le moins du monde, et se mit à rire.
— En effet ! Mais je suis sa mère, après tout. C'est tout naturel qu'elle me parle de ses amis.
Je perçus une lueur d'amusement dans les yeux d'Eden. J'espérais sincèrement qu'il n'allait pas contredire ma mère et faire une remarque désobligeante sur la nature de notre relation.
— C'est vrai.
Sa réponse me soulagea et je me détendis légèrement. Avant que la situation ne devienne davantage pesante, je décidais d'intervenir.
— Que fais-tu ici ?
Il tourna ses prunelles vers moi et son regard redevint sérieux.
— Je voulais te parler.
Je clignais plusieurs fois des yeux, incrédule. Eden se passa une main dans ses cheveux soyeux, libérant sa mèche ondulée sur son front. Je fus éblouie par sa beauté pendant un instant.
— Mais j'ignorais que ta mère était ici, poursuivit-il sans attendre ma réponse.
— Ce n'était pas prévu, en fait, dis-je avec un petit sourire gêné.
— Je lui ai fait la surprise, intervint ma mère d'un air satisfait.
Eden sourit poliment mais ne répondit pas. Il ne détourna pourtant pas son regard de moi.
Je me demandais ce qu'il avait à me dire de si important pour venir directement me voir à la sortie du travail. Etait-ce en rapport avec la femme ? Lui était-il arrivé quelque chose ?
Je sentis une bouffée de panique me serrer le ventre mais parvins à ne rien montrer. Le regard insistant d'Eden me fit comprendre que c'était suffisamment important pour ne pas être reporté.
Je devais en avoir le coeur net et entendre ce qu'il avait à me dire, même si cela signifiait éloigner ma mère pendant quelques secondes.
— Maman ?
Elle tourna ses grands yeux vers moi et me comprit sans que je n'ai besoin de dire quoi que ce soit, pour mon plus grand soulagement.
— Je vais t'attendre à la voiture, Wendy, me dit-elle alors en me serrant le bras. Eden, ravie de t'avoir rencontré.
— De même.
Elle me jeta un bref coup d'oeil et je la remerciais d'un regard. Elle s'éloigna et je me retrouvais seule avec Eden qui me toisait toujours intensément.
— Bon, alors ? Que voulais-tu me dire ? Demandais-je en dansant d'un pied sur l'autre tout en jouant avec une de mes boucles, par automatisme pour cacher ma gêne.
Un petit sourire se dessina sur ses lèvres parfaites et il baissa la voix pour me répondre.
— A vrai dire, j'ai beaucoup de choses à te dire.
Mon coeur s'accéléra automatiquement.
— J'aurais aimé avoir un moment pour te parler.
Sa demande me pris de court et je me retrouvais bête face à lui.
— Je comprendrais que tu ne veuilles pas, dit-il alors en se repassant une main dans les cheveux, ébouriffant ses ondulations impeccables. Après tout, je t'ai laissé sans nouvelles depuis plusieurs jours. Tu dois sûrement m'en vouloir.
— Je... Non...
Je me mordis la lèvre. Si, je lui en voulais. Je m'étais fait un sang d'encre pour cette femme et m'étais sentie misérable après la façon dont il m'avait parlé. Mais il semblait prêt à me révéler certaines choses. Je ne voulais pas gâcher cette opportunité d'en savoir davantage. Et pourtant, c'était bien ce que je comptais faire.
Je jetais un coup d'oeil à ma mère, derrière Eden. Je n'allais pas la planter pour partir avec lui alors qu'elle était venue pour me voir. Je me sentirais horriblement mal si je faisais cela.
Eden vit mon hésitation.
— Ce n'est pas grave. Je comprends.
— Non, ce n'est pas ça ! M'empressais-je de répondre pour le retenir. C'est que,... je suis avec ma mère, là. Je ne peux pas la laisser seule, tu comprends ? Elle est venue pour moi.
Il afficha un air vaincu.
— Je comprends, oui.
— Je suis désolée.
Je le regardais avec regret mais il me sourit.
— Ne le sois pas. Je patienterais.
Je lui adressais un petit sourire triste en sentant mon coeur se réchauffer. Ses paroles signifiaient qu'il avait l'intention de me revoir pour m'expliquer certaines choses et cela me rassurait énormément. Au moins, il ne se dérobait pas et ne se braquait pas. Peut-être que ma mère avait raison, il était disposé à s'ouvrir un petit peu.
Eden se détourna et commença à s'éloigner quand ma mère lui barra la route en fronçant les sourcils.
— Tu t'en vas déjà ? Lui demanda-t-elle.
Je m'empressais d'accourir auprès d'eux.
— Je crains que oui, répondit-il en affichant une mine déconfite, trahissant sa déception.
Je vis ma mère le regarder avec peine avant de se tourner vers moi. L'incompréhension se lisait sur son visage.
— Mais..., commença-t-elle.
— Maman, on doit rentrer, je te rappelle, la coupais-je avec douceur mais fermeté. Tu avais faim et Neil va s'inquiéter.
Je tâchais de lui faire comprendre d'un regard de ne pas insister, mais elle m'ignora superbement.
— Moi je vais rentrer. Mais toi, tu peux rester.
Je me raidis alors qu'elle affichait un grand sourire à l'intention d'Eden. Ce dernier semblait satisfait de la tournure que prenait les choses.
— J'ai ma voiture, reprit ma mère. Et je sais où habite mon frère. Je me chargerais de le prévenir de ton absence.
— Mais, maman...
Elle me coupa en balayant l'air de la main.
— Ça ne me dérange pas du tout, ma chérie, je t'assure. Qu'est-ce que tu en penses, Eden ?
Celui-ci affichait son petit sourire triomphant et je le fusillais du regard, convaincue qu'il avait fait exprès de jouer les martyrs pour que ma mère ait pitié de lui et accède à sa requête. Je savais qu'il était capable de se montrer persuasif, quand il le voulait.
— Je pense que si ça ne vous embête pas, je serais ravi de raccompagner votre fille chez elle.
— Parfait ! L'affaire est réglée.
Je les regardais tour à tour, me sentant piégée par leur machination. Le pire était que l'idée venait de ma propre mère ! Moi qui avait dit à Eden que je ne pouvais pas la laisser alors qu'elle était venue pour moi, je me retrouvais bien bête.
Elle s'approcha de moi, guère impressionnée par les yeux ronds que je lui lançais.
— Tu me remercieras plus tard, me chuchota-t-elle à l'oreille avant de m'embrasser sur la joue.
— On verra ça, grommelais-je.
Elle étouffa un petit rire et se détourna de moi.
— A plus tard, chérie. Amusez-vous bien.
Je restais plantée là, encore sous le choc du tour que ma mère avait joué sous mes yeux, tandis qu'elle s'éloignait pour rejoindre sa voiture.
Eden se racla la gorge et je me tournais vers lui en plissant les yeux.
— J'aime beaucoup ta mère.
Je lui jetais un regard noir et il rigola.
— Ça devrait te faire plaisir, tenta-t-il de se justifier.
— De quoi ? D'avoir été manipulé par ma mère ou de me retrouver avec toi qui ne peux contenir ta jubilation d'avoir gagné ? raillais-je en croisant les bras.
— C'était pour une bonne cause.
Il haussa les épaules d'un air désinvolte et j'ouvris de grands yeux.
— Une bonne cause ? Tu es sérieux ?
— J'aurais pensé que la présence de ta mère t'aurais rendu plus docile, mais tu es toujours aussi agaçante, rit-il en secouant la tête, comme si j'étais un cas désespéré.
J'affichais une expression outrée et ses rires redoublèrent de plus belle.
— Allez, arrête de bouder Wendy et suis-moi.
Il commençait à s'éloigner et malgré le fait que j'aurais aimé le planter là pour lui donner une bonne leçon, je n'avais pas oublié qu'il désirait me parler de quelque chose d'important. Ma curiosité prit le pas sur mon orgueil et je le suivais en direction de sa voiture.
Il ouvrit la portière et attendit que je m'installe, mais je m'arrêtais et lui jetais un regard suspect.
— Où m'emmènes-tu ?
Il leva les yeux au ciel.
— Monte, Wendy.
— J'ai le droit de savoir, quand même. Après tout, c'est presque un kidnapping.
— Un kidnapping ? Rien que ça !
— Que ma mère a orchestré, certes, mais un kidnapping quand même. Et tu étais beaucoup trop satisfait pour être innocent. Je suis persuadée que ton petit numéro de chien battu devant ma mère était fait exprès pour la faire céder.
Je levais un sourcil tandis que Eden soupirait, en enfouissant son visage dans son bras qui tenait toujours la portière ouverte.
— Pourquoi ça ne peut jamais être simple, l'entendis-je murmurer.
J'eus un petit ricanement.
— C'est toi qui dit ça ? C'est l'hôpital qui se fout de la charité, tu crois pas ? répliquais-je.
Il se redressa et appuya son menton contre son avant-bras tout en me regardant, d'un air las. Qu'est-ce qu'il était beau !
— Wendy, s'il te plaît, monte dans cette voiture.
Je soutins son regard un bref instant, luttant contre l'envie de dégager sa mèche rebelle de son front, juste pour le toucher. Je repoussais rapidement cette idée absurde.
Son ton doux mêlé à son regard de braise me firent taire et j'obtempérais sans broncher. Faire un tour dans sa voiture de sport qui sentait bon le cuir neuf m'avait manqué, même si je n'avais eu l'occasion de monter dedans qu'une seule fois. Mais le souvenir était l'un des plus agréables que j'avais avec Eden.
Je fus de nouveau frappée par la propreté de ce véhicule. A croire qu'il la nettoyait tous les jours.
Quand Eden s'installa derrière le volant, il fronça les sourcils en me voyant inspecter l'intérieur.
— Mais qu'est-ce que tu fais ? Soupira-t-il, un brin exaspéré.
— Je cherche des traces.
— Des traces ? Tu veux dire des autres filles que j'ai enlevé et assassiné ?
Je relevais les yeux vers lui et vis qu'il me regardait avec un petit sourire carnassier qui me fit un peu froid dans le dos.
— Non, mais maintenant que tu le dis, je vais ouvrir l'oeil sur ça aussi.
Il démarra la voiture en ricanant.
— Sérieusement, de quelles traces tu parles ?
— En fait, je me demandais comment tu faisais pour que cette voiture soit aussi impeccable, répondis-je. Je trouve ça plutôt bizarre qu'il n'y ait aucune trace de poussière ou de boue. Toutes les voitures en ont !
— Pas la mienne, répondit-il fièrement.
— C'est bien pour ça que c'est étrange...
— Je prends juste soin des mes affaires, je ne vois pas en quoi c'est bizarre.
— Soit c'est ça, soit tu as un problème avec la propreté.
Il roula des yeux.
— Bon, quand tu auras fini de te demander si je suis un dangereux psychopathe ou pas, je pourrais peut-être en placer une.
— Je t'écoute.
La voiture fila dans la nuit noire, les phares éclairant la forêt qui bordait la route. A travers les nuages éparses, la lune pleine et brillante, déversait son éclat dans le ciel étoilé. La voix d'Eden me parvint dans un souffle presque irréel.
— Je suis désolé.
Je me tournais vers son profil. Je me demandais, l'espace d'une seconde, si je n'avais pas rêvé ces mots. Mais en voyant le regard tourmenté de mon conducteur, le doute s'envola.
— Je suis désolé, pour l'autre soir, répéta-t-il alors. J'ai été, encore une fois, injuste avec toi. Comme d'habitude, tu ne le méritais pas.
Je contemplais toujours son visage, avec un mélange d'admiration et de compassion. Je pouvais sentir ses regrets à sa voix et je savais qu'il était sincère.
— En vérité, je n'ai jamais fait grand cas de mon attitude envers les autres personnes, poursuivit-il sans me regarder. J'ai toujours été froid et distant, dissuadant ainsi les gens de m'approcher et de me connaître. Loin d'en souffrir, c'était pour moi une mesure de protection essentielle. Pour eux, comme pour moi.
J'assimilais ce qu'il venait de me dire en silence, ne souhaitant pas le couper dans ses aveux.
— Sauf que je me suis rendu compte que les choses ont changées, reprit-il en faisant apparaître une petite ride entre ses sourcils. Je sens les défenses, que j'ai mis énormément de temps à mettre en place, s'effriter. Si avant, je ne me formalisais pas des sentiments des autres, je sens bien que ce n'est plus vrai depuis que je te connais. Ce n'est plus vrai avec toi.
J'eus du mal à reprendre mon souffle en entendant ces paroles qui me touchèrent en plein coeur. Je me demandais toujours si ce qui était en train de se passer dans cette voiture était réel.
— Quand je suis avec toi, je vois dans tes yeux quelque chose qui me pousse à savoir qui tu es, à en apprendre plus sur toi, alors que je ne me suis jamais intéressé à personne avant. J'ai toujours fait en sorte de garder le contrôle sur mes sentiments, de rester maître de mes émotions. Mais je me rends compte, non sans une certaine appréhension, qu'avec toi, je perds totalement ce contrôle.
Ma respiration s'accéléra davantage et les papillons dans mon ventre dansèrent vivement.
— Sans le savoir, tu me pousses à me demander quel genre de personne je suis réellement. Tu m'incites à me remettre en question et à faire attention à ce que je veux être. Je ne sais pas comment tu réussis à faire ça, mais je me sens plus... humain, si je puis dire, que je ne l'ai jamais été.
J'ouvris légèrement la bouche afin de maîtriser ma respiration, tout en essayant de contenir les battements frénétiques de mon coeur. Je l'observais sans broncher, incapable de dire quoique ce soit.
— Sauf que, si je veux être complètement honnête avec toi, et je te dois bien ça, ce changement me fait peur, continua-t-il, ignorant l'effet que ses paroles avaient sur mon rythme cardiaque. Il me fait peur parce que je me sens plus vulnérable que je ne l'ai jamais été. Et cette peur me pousse à te rejeter et à être dur avec toi quand tu t'approches un peu trop près de mes défenses.
Il marqua une pause et serra le volant fermement entre ses grandes mains puissantes. Je restais pendue à ses lèvres, totalement abasourdie par ce qu'il me disait.
— Alors je tiens à te présenter mes excuses. Tu ne mérites pas que quelqu'un comme moi te parle comme je le fais trop souvent, sous prétexte que tu chamboules un peu trop ma vie. Sache que je me déteste à un point que tu n'imagines même pas, quand je prends conscience de ce que je t'ai fait.
Il tourna ses prunelles vers moi et je retins ma respiration, perdue dans le fond de ses yeux. Je me laissais capturer par son regard si tendre en cet instant.
— Toi qui es si innocente, si bonne envers les autres, si humaine et pleine de bonté. Je n'ai pas le droit de te faire du mal comme je le fais. Je n'ai pas le droit de brusquer ta sensibilité. Et je n'ai pas le droit de t'effrayer comme je l'ai fait la dernière fois.
La vision de son regard d'acier s'imposa à moi et je frissonnais dans la pénombre. Je ne pouvais pas dire que je ne m'étais pas sentie apeurée face à son excès de colère.
— Tu as dit des choses, cette nuit-là, qui étaient justes et sensées et qui démontraient encore le souci que tu as, naturellement pour les autres, même pour des personnes que tu ne connais pas. Sauf que, encore une fois, j'ai été bien trop lâche pour admettre que tu avais raison, dans le fond.
Il poussa un profond soupir et je vis ses épaules s'affaisser, comme s'il ressentait une profonde fatigue après avoir dévoilé tout ce qu'il avait sur le coeur. Ce qui était probablement le cas.
— Tu as raison, elle devrait être dans un institut psychiatrique et être suivie par un médecin. Mais sa famille ne peut se résoudre à l'envoyer là-bas. Ils savent que ce serait sûrement mieux, mais c'est bien trop douloureux à accepter. Ils préfèrent la garder près d'eux et continuer de lui montrer qu'ils sont là pour elle, quoiqu'il arrive. Ce n'est sûrement pas la meilleure solution pour elle, mais c'est une preuve de leur amour, non ?
Le sentiment d'impuissance que je percevais dans le fond de sa voix me toucha en plein coeur. C'était la première fois que je découvrais un Eden vulnérable et désireux d'être rassuré. Poussée par un élan d'empathie profonde, je tendis ma main et la posais sur son bras, ferme et musclé. Je le sentis tressaillir légèrement à mon contact avant de se tourner vers moi.
— Oui, tu as raison, dis-je en lui adressant un petit sourire rassurant. C'est véritablement une belle preuve d'amour de la part de sa famille que de la garder auprès d'eux.
Il me rendit mon sourire et reporta son attention sur la route. Bien que j'aurais aimé la garder un peu plus longtemps, je retirais ma main de son bras.
— Elle ne se débarrassera jamais des ombres qui ont envahies son esprit, dit-il d'une voix sourde. Même si elle est internée, elle ne sera jamais guérie. C'est trop tard pour elle. Jamais elle ne redeviendra la femme qu'elle était avant.
Je savais qu'il avait raison, mais cette pensée me fit mal, malgré tout. Je comprenais un peu mieux le choix de sa famille. Si elle n'avait aucune chance d'être soignée, à quoi bon l'envoyer à l'asile ? C'était beaucoup plus rassurant, pour elle, de rester avec des gens qu'elle connaissait et qu'elle aimait, plutôt que de se retrouver entourée de parfaits inconnus à suivre un traitement qui ne changerait rien à sa vie. Sans compter qu'elle l'aurait peut-être vécu comme un abandon.
— Comment va-t-elle ? Demandais-je dans un souffle.
— Comme d'habitude. Elle s'est calmée quand je l'ai ramené chez elle, auprès des siens. Elle fait souvent ce genre de crise, où elle répète sans cesse les mêmes phrases. Mais jusqu'à ce jour, elle ne s'était encore jamais enfuie. Elle nous a fait très peur... à tous. Beaucoup la croit folle mais ce n'est pas vrai. Les personnes comme elle sont simplement prisonnières de leurs plus sombres souvenirs.
Je méditais quelques instants sur ces paroles, touchée par leur triste véracité. Je posais alors la question qui tournait dans ma tête depuis quelques jours.
— Tu sembles réellement attaché à cette femme et elle-même semble bien te connaître. Comment vous êtes-vous rencontré ?
Je crus voir les mains d'Eden se crisper autour du volant. Il me jeta un bref coup d'oeil tout en me répondant.
— C'est une vieille amie de la famille.
— Tu l'as donc connu avant qu'elle ne devienne comme ça ?
Il sembla hésiter à répondre.
— Oui... J'ai... assisté à son changement d'état.
Je ne m'étais pas attendue à cette réponse et je comprenais, à présent, pourquoi il avait autant d'affection pour elle.
— J'imagine que ça à du être très dur à vivre.
Eden hocha gravement la tête, les yeux perdus dans l'horizon de la route, comme s'il se remémorait cette sombre période.
Je n'avais pas envie de l'assaillir de questions. Il s'était déjà ouvert comme je n'aurais jamais cru qu'il le fasse et je ne voulais pas tout gâcher. Néanmoins, j'avais une dernière question qui me tenait à coeur.
— J'aimerais te poser une dernière question, si tu veux bien. Après, promis, je ne t'embêterais plus avec ça.
— Tu ne m'embêtes pas, me dit-il calmement. Mais je t'écoute.
— Comment s'appelle-t-elle ?
Un petit sourire tendre se dessina sur ses lèvres.
— Elena.
Je me concentrais sur les traits de cette femme, sur sa beauté qui m'avait frappé malgré son état et je ne pus retenir un sourire, moi aussi.
— Elena, répétais-je doucement en tâchant de ressusciter le souvenir de cette femme avant que le malheur ne la frappe de plein fouet.
Je regardais le paysage qui défilait à vive allure, perdue dans mes pensées.
Le silence qui s'était installé dans la voiture n'était pas pesant mais plutôt agréable. Au bout de quelques secondes, je me tournais vers Eden qui était, lui aussi, perdu dans la contemplation de la route.
— Tu ne m'as toujours pas dit où on allait, fis-je alors remarquer d'un ton plus léger.
— C'est parce que je n'en ai aucune idée.
Il plissa le front et je le regardais bouche bée avant d'émettre un petit rire nerveux.
— Tu veux dire qu'on roule à l'aveugle ?
— C'est tout à fait ça.
Je me mis à rire, bientôt suivi par Eden.
— Et tu comptes rouler jusqu'à quand comme ça ? Demandais-je amusée.
— Jusqu'à ce que tu aies envie de rentrer, répondit-il chaudement.
Je souris dans l'obscurité.
— Tu veux que je te ramènes ? me demanda-t-il devant mon mutisme.
— Non, pas encore.
Je m'étais empressée de lui donner ma réponse et je vis les traits de son visage se détendre. Il semblait soulagé.
— Tant mieux. Je n'avais pas l'intention de le faire.
Je souris franchement avant de reporter mon attention sur la route.
Ma mère avait eu raison de me forcer à suivre Eden. Si je ne l'avais pas fait, jamais il ne m'aurait parlé comme il l'avait fait. Quand je repensais aux paroles qu'il avait prononcé, mon coeur s'emballa sensiblement dans ma cage thoracique à m'en faire mal.
— A quoi tu penses ? Me demanda la voix grave d'Eden.
Je rosis légèrement et coinçais une mèche de cheveux derrière mon oreille avant d'enrouler une boucle autour de mon index.
— Euh... à ce que tu m'as dit, avouais-je, hésitante.
— C'est-à-dire ?
Je me tortillais sur mon siège en réfléchissant à la bonne réponse à lui donner.
— J'ai dit beaucoup de choses ce soir, je trouve, dit-il amusé.
Il n'avait pas tort. Je l'avais connu beaucoup moins loquace. Mais ce n'était pas sans me déplaire, loin de là. Je préférais cet Eden, celui qui parlait ouvertement, avec son coeur.
— Alors ?
— Je pensais...
Je m'arrêtais, laissant ma phrase en suspend. Je l'entendis soupirer doucement.
— Qu'ils sont pauvres ceux qui n'ont pas la patience, l'entendis-je murmurer, reconnaissant une citation de notre auteur fétiche, à tous les deux.
— Ce n'est pas en citant Shakespeare que ça va m'aider à te le dire, répliquais-je, non sans une pointe d'amusement.
— C'est si difficile à dire que ça ? S'étonna-t-il.
— Un peu...
Il plissa le front.
— Aurais-je encore manqué de tact ? s'inquiéta-t-il.
— Non, non. Rassure-toi. C'est plutôt le contraire.
— Le contraire ?
Je ne savais pas comment me sortir de cet imbroglio gênant et je me mis à triturer encore plus la mèche autour de mon doigt.
— Wendy, dis-moi à quoi tu penses.
Sa voix de ténor m'incita à lui révéler le fond de ma pensée.
— Je repensais simplement à ce que tu avais dit sur toi, depuis que tu me connais, répondis-je dans un souffle.
Comme il ne répondait pas, je coulais un regard dans sa direction.
— Je vois, dit-il enfin. Et ?
Je haussais légèrement les épaules.
— Et rien. Enfin, je veux dire, ça m'a fait plaisir et en même temps, je ne pensais pas que je te faisais ressentir tout ça. C'est plutôt inattendu comme révélation, je dois dire.
— Tu ne pensais pas pouvoir faire cet effet à quelqu'un ?
Sa question me fit relever la tête et nos regards se croisèrent pendant un bref instant avant que je ne me détourne.
— A vrai dire, non. Pas du tout, même. Et encore moins envers quelqu'un comme toi.
J'avais lâché un petit rire nerveux, pour accentuer l'absurdité de la situation.
— Comment ça ?
Je me mordis la lèvre.
— Tu l'as dit toi-même, tu as un abord plutôt distant envers les autres et tu as toujours tenu à ne pas t'attacher aux autres. Que tu te remettes en question et que tu changes tes valeurs à cause de moi...
— Grâce à toi, me coupa-t-il. Pourquoi tu déformes mes propos ? Ajouta-t-il avec un petit sourire.
— Je ne sais pas. Je trouve ça juste...dingue et...incompréhensible.
— Tu te sous-estimes beaucoup trop, Wendy.
Je contemplais la lune brillante par la fenêtre.
— Peut-être.
— C'est même sûr. Tu ne te rends pas compte, Wendy, de l'effet que tu peux avoir sur les gens.
Sa voix n'était qu'un murmure, mais elle arriva à mes oreilles avec douceur et réchauffa mon coeur.
Je sentis alors les doigts d'Eden se glisser sous mon menton et tourner mon visage pour m'obliger à le regarder. Cette sensation me procura d'agréables frissons tout en me coupant le souffle.
— Mais je peux t'assurer que tu réussis à me rendre un peu meilleur.
J'avais retenu ma respiration alors que son souffle chaud me caressait la peau et que je m'imprégnais de ses paroles.
Il me relâcha et sa main retrouva sa place sur le volant. Je baissais les yeux sur les miennes, qui reposaient sur mes genoux, et me concentrais pour reprendre une respiration normale.
J'avais encore du mal à croire à ce que Eden venait de me dire. Je n'imaginais pas qu'une fille aussi banale et insignifiante que moi puisse être capable de faire un tel effet à un garçon. Surtout pas envers un garçon comme Eden ! L'inverse était beaucoup moins difficile à accepter.
Pour moi, c'était Eden qui avait réussi à me changer, d'une certaine façon. Toutes les discussions que j'avais eu avec lui m'avaient permises de me remettre en question sur mes sentiments et sur qui j'étais. C'était grâce à lui que j'avais pu parler ouvertement à ma mère de ce que je ressentais, que ce soit envers mon père ou même envers lui. Sans son aide, j'aurais probablement continué de faire semblant en étouffant mes véritables sentiments.
Oui, il avait réellement eu un pouvoir bénéfique dans ma vie. Et cela était encore plus dingue quand je prenais conscience que nous ne nous connaissions que depuis quelques temps, seulement.
Mais comment accepter le fait que lui aussi, avait appris des choses le concernant, grâce à moi ? Cette idée semblait impossible à assimiler mais pourtant, s'il me le disait, c'était probablement vrai. Je ne pouvais pas douter de sa parole, d'autant qu'il avait paru tellement sincère en me les dévoilant. Je ne pouvais que me sentir flattée d'avoir eu un tel pouvoir sur un homme comme lui.
— Viens, épaisse nuit, enveloppe toi des plus sombres fumées de l'Enfer, récita alors la voix grave d'Eden.
J'ignorais ce qui avait poussé Eden a sortir cette citation mais elle s'accordait parfaitement avec l'ambiance qui régnait dehors.
— C'est pendant tes moments d'insomnies que tu lis Shakespeare ? Demandais-je en souriant.
Il haussa les épaules.
— On peut dire ça.
— Tu le fais souvent ?
— Assez, oui. C'est un peu mon moment de méditation. Et quoi de mieux que du Shakespeare pour méditer ?
Il me fit un petit sourire en coin séduisant.
— Au fait, ta journée avec ta mère s'est bien passée ? Me demanda-t-il soudainement.
— Oui. Je suis contente de la voir. Elle ne reste que jusqu'à demain mais ça m'a quand même fait du bien. Elle est venue parce qu'elle s'inquiétait pour moi, suite à son appel.
— Elle voulait savoir si tu avais géré la nouvelle de son prochain mariage ?
Je hochais la tête.
— Et tu lui as dit quoi ? Voulut-il savoir.
— La vérité.
Je lui relatais notre conversation à coeur ouvert et sa réaction quand je lui avais confié mes sentiments profonds. Il m'écouta attentivement, sans m'interrompre. Je me sentis bien après lui avoir tout dit. Je savais ce qu'il pensait avant qu'il ne l'exprime.
— Je suis content que tu aies réussi à être honnête avec ta mère. Je suppose que tu te sens libérée d'un poids, toi aussi, non ?
— Oui. Ça m'a fait bien, admis-je en souriant tendrement. J'ai eu la sensation que ça faisait longtemps que je n'avais pas parlé comme ça avec ma mère. Je ne m'étais pas rendue compte à quel point ça m'avait manqué.
— Je comprends.
— Elle aussi a eu une période difficile, poursuivis-je. Elle attendait de m'avoir parlé pour prendre sa décision concernant le mariage.
— Elle aurait dit non à James si tu n'avais pas supporté ?
— En toute honnêteté ? Elle en aurait été capable, oui. Et c'est ça qui me fait beaucoup de peine. Je n'ai pas envie qu'elle renonce à son bonheur pour moi.
— Mais toi, tu ferais pareil si les rôles étaient inversés ?
Il posait toujours des questions pertinentes. Je réfléchis quelques secondes et finis par me tourner vers lui.
— Oui, je pense, admis-je à regrets.
— Vous avez le même problème, alors.
Il se tourna vers moi avec un petit sourire.
— Vous avez du mal à prendre des décisions pour vous sans penser aux autres.
— C'est différent, il s'agit de ma mère, répliquais-je.
— Wendy, tu fais ça avec tout le monde. Ce n'est pas uniquement avec ta mère.
— Non, le contredis-je en fronçant les sourcils. J'arrive à décider pour moi, quand il le faut.
— La vérité a un coeur tranquille, Wendy.
Encore une fois, il citait Shakespeare pour me pousser à me remettre en question. Et encore une fois, cela marchait.
— Bon, peut-être, oui, que je pense trop aux autres avant de penser à moi.
— C'est un euphémisme, pouffa-t-il.
— Ca va.
Il eut un petit rire.
— Tu ne vas quand même pas me sortir cette citation à chaque occasion, rassure-moi ?
— Tant que tu ne seras pas honnête envers toi-même, si, répondit-il, redevenu sérieux.
— Je suis honnête avec moi, répliquais-je.
— Tu es sûre de ça ?
Je lui jetais un regard en coin.
— Et toi, alors ? Tu es honnête avec toi-même, Eden ? Demandais-je, retournant la situation.
Il secoua la tête tandis que j'arborais un air de défi.
— Je suppose que je l'ai mérité.
— Exactement.
— J'essaie autant que possible de l'être. Même si, comme je te l'ai dit, je découvre de nouvelles choses sur moi depuis que je te connais.
Un sentiment de fierté m'envahit que je tâchais de ne pas lui montrer.
— Comme quoi ?
— Comme mon incroyable patience face à tes innombrables questions.
Je levais les yeux au ciel.
— Je n'en pose pas tant que ça, tu exagères.
— Quelle mauvaise foi. Je devrais t'enregistrer.
Je pouffais doucement avant de me reprendre.
— Si tu me disais les choses de toi-même, je ne serais pas obligée d'en poser, déclarais-je avec une lueur malicieuse dans les yeux.
— Même quand tu n'en poses pas, tes yeux le font pour toi. C'est d'ailleurs une autre chose que je ne faisais pas avant de te connaître. Etre plus attentif aux autres et à leurs réactions.
— Ah oui ? Demandais-je surprise.
— Tu es très expressif, alors l'exercice est assez facile avec toi, répondit-il pour me taquiner. Mais je ne pensais pas que les expressions pouvaient exprimer autant ce que l'on ressentait.
Je grimaçais malgré moi en entendant ses propos. Je n'étais pas à l'aise avec le fait que l'on puisse me cerner aussi facilement et que l'on devine mes émotions en un coup d'oeil.
— Cette idée n'a pas l'air de te plaire, constata-t-il.
— Pas vraiment, non.
— Tu ne veux pas qu'on devine tes sombres secrets ? plaisanta-t-il.
— Ce n'est pas ça, riais-je. Enfin, si quelque part. Je n'aime pas beaucoup l'idée d'être un livre ouvert pour tout le monde. J'ai l'impression que je viens de me trahir moi-même.
Eden sembla à la fois étonné et amusé.
— A ce point ?
— Oui ! Dois-je te rappeler que je cherche avant tout à me protéger ? Tout comme toi, d'ailleurs.
— C'est juste.
Il avait froncé légèrement les sourcils avant de reprendre son expression normale.
— C'est tout ce que j'ai réussi à t'apprendre ? Je suis déçue, dis-je en faisant la moue.
— Je viens de te donner deux exemples. Je trouve ça correct, sourit-il.
— Le premier ne compte pas vraiment.
— Pourquoi ça ?
— Parce que tu as dit ça uniquement pour m'embêter.
Il éclata de rire.
— Je le dis en tout honnêteté et très sérieusement, pourtant.
— Je pense que ça reste à confirmer, bougonnais-je.
— Je peux t'assurer que ma patience n'a jamais été autant mise à l'épreuve que depuis que je te connais.
— Bon, ça va.
Ses rires redoublèrent devant mon air renfrogné. Soudain, je sentis mon téléphone vibrer dans la poche de mon manteau. Je le sortis et vis un message de Neil s'afficher sur mon écran. Je pinçais les lèvres.
— Il y a un problème ? Demanda Eden.
— C'est Neil, répondis-je en rédigeant une réponse à l'intention de mon oncle. Il veut savoir si je vais rentrer bientôt.
Je ne m'étais pas rendue compte, mais cela faisait déjà une heure que j'étais en compagnie d'Eden, roulant sur une route inconnue et ne sachant pas où je me trouvais.
— Je n'ai pas fait attention qu'il était déjà tard, murmura Eden en fronçant les sourcils.
— Moi non plus, je te rassure.
Je reposais mon téléphone après avoir rassuré mon oncle. Néanmoins, je me rendais compte que je n'avais pas du tout envie de rentrer chez moi et que je préférais rester avec Eden. Ce qui, bien sur, était impossible.
— Tu as mangé ? Me demanda-t-il alors en plissant le front.
Mon ventre estima que c'était le bon moment de se manifester et il se mit à grogner bruyamment.
— Tu as ta réponse, répondis-je en souriant.
— J'aurais dû me douter que tu aurais probablement faim.
Il semblait s'en vouloir de ne pas avoir pensé à ce détail et je m'empressais de le rassurer.
— Ce n'est pas grave, je t'assure. A vrai dire, tu ne m'en aurais pas parlé, je ne m'en serais pas rendu compte moi-même. Et puis, on ne peut pas vraiment dire que cette escapade ait été prévue, relevais-je en riant.
Eden me sourit.
— C'est vrai. Après tout, je t'ai... comment tu as dit ça, déjà ? Kidnappée ?
Je pouffais.
— C'est bien ça, approuvais-je, rentrant dans son jeu. Et on sait tous les deux que les kidnappeurs ne sont pas du genre à nourrir leur victime.
— Certes. Je suppose que tu as déjà dit à ton oncle que tu n'allais pas tarder à rentrer ?
Je le regardais avec des yeux ronds et il sourit.
— Je n'y suis pour rien si tu es trop prévisible, Wendy. Ne me regarde pas comme ça.
Je soupirais.
— Oui, j'ai préféré le rassurer. Je vais déjà avoir droit à un interrogatoire en règle quand je vais passer le pas de la porte, ce n'est pas utile que j'aggrave mon cas, plaisantais-je.
— Si tu le dis.
La voiture ralentit soudain et Eden se rangea sur le bas côté avant de s'arrêter. Je regardais autour de nous. A part les grands arbres serrés qui composaient la forêt obscure, il n'y avait pas âme qui vive aux alentours.
— Pourquoi on s'arrête ? Demandais-je alors.
— A ton avis.
La voix d'Eden était encore plus grave que d'habitude et je frissonnais.
Quand je me tournais vers lui, je le découvris à seulement quelques centimètres de moi et je sursautais devant son regard menaçant. Mon coeur se mit à battre à tout rompre dans ma poitrine sous le coup de la peur et j'étouffais un petit cri.
Je vis alors se dessiner sur ses lèvres l'esquisse d'un sourire et je compris que je venais de tomber dans le panneau. Je lui jetais un regard assassin tandis qu'il se reculait et retournait derrière le volant.
— Très marrant, raillais-je, acerbe.
— Tu aurais vu ta tête, rit-il en faisant demi-tour avec sa voiture.
Il repartit en sens inverse, toujours hilare.
Mes pensées convergèrent alors vers ma mère et Neil qui devaient être en train de parler de moi et d'Eden. Je les imaginais sans mal, assis sur le canapé du salon tandis qu'ils se racontaient mutuellement ce qu'ils savaient de ma relation avec lui.
J'étais persuadée que mon oncle ne s'était pas retenu de parler à ma mère de notre dîner. Il m'avait suffisamment charrié à ce propos. Ma mère avait dû jubiler en l'apprenant, rajoutant ainsi de l'eau à son moulin qui tournait déjà à plein régime. Rien qu'à la façon dont elle m'avait poussé à suivre Eden, il était évident qu'elle rêvait que je lui annonce que je sortais avec lui.
Je ne pus retenir les papillons de mon ventre à cette perspective. Bien que je savais pertinemment que cela n'arriverait jamais.
— Tu paraissais inquiète quand tu as vu le message de ton oncle, tout à l'heure, dit alors Eden, rompant ainsi le silence. Tu n'as pas envie qu'il sache que tu étais avec moi ?
Je me tournais vers lui, surprise par sa remarque.
— Comment ça ?
— Je me demandais juste si ton oncle voyait d'un mauvais oeil que l'on se voit, répondit-il.
Je ressentis une pointe de tristesse dans le son de sa voix et mon coeur se serra instinctivement.
— Ce n'est pas ça, lui dis-je d'une voix douce. C'est juste que... Neil peut se montrer parfois un peu lourd. Surtout quand il s'agit de me cuisiner quand je parle de toi, avouais-je en rougissant.
Eden pivota ses prunelles émeraudes vers moi.
— C'est-à-dire ?
— Disons qu'il est parti dans des élucubrations grotesques quand je lui ai raconté notre dîner, marmottais-je en sentant mes joues chauffer.
Eden ne sembla pas s'en soucier, fort heureusement, mais il fronça les sourcils.
— Qu'a-t-il pensé ?
Je me mordis la lèvre et plissais le nez.
— Qu'il s'agissait d'un rancard.
Je n'osais pas le regarder en face. Je savais qu'il n'en était rien, mais je redoutais la réaction d'Eden en entendant les bêtises de mon oncle.
— C'est ce que tu penses, toi aussi ?
— Non ! Bien sûr que non ! Je sais que Neil a dit ça uniquement pour m'embêter. Vous êtes pareils, lui et toi, pour ça. Vous passez votre temps à m'embêter.
Il m'adressa un sourire taquin.
— Vu comment tu as tendance à réagir, je comprends tout à fait ton oncle.
— Et comment je réagis ?
— Wendy, tu ne marches pas, tu cours quand on te cherche un peu, s'esclaffa-t-il. Tu ne le remarques peut-être pas mais c'est très amusant.
— Haha, très drôle, lâchais-je. Bref, tout ça pour dire que Neil n'a rien contre le fait qu'on se voit.
— Ravi de l'apprendre.
Il tourna dans une allée et je reconnus mon quartier.
— Comment... ? Le regardais-je, surprise.
— Tu as donné ton adresse pour la participation au jeu, répondit-il simplement. D'ailleurs, à ce propos...
Il se pencha vers moi et ouvrit la boite à gant. Je sentis son parfum enivrant me chatouiller les narines et j'eus une envie folle de passer ma main dans ses cheveux soyeux. Je me sentis rougir en constatant que mes pensées étaient de plus en plus ridicules quand il était question de ce garçon.
Eden en ressortit un livre qu'il me tendit. J'ouvrais de grands yeux émerveillés en voyant la couverture relié de l'exemplaire du Petit Prince.
— Comme promis, me dit-il alors que je prenais avec précaution l'ouvrage, comme si je pouvais l'abimer rien qu'en le tenant entre mes doigts.
— Il est magnifique, soufflais-je. Je ne pensais pas que c'était un si bel exemplaire qu'il y avait à gagner.
Je relevais les yeux vers lui, remplie de reconnaissance pour ce beau cadeau.
— Merci beaucoup.
Il m'adressa un beau sourire éclatant et l'éclat de ses yeux était d'une douceur telle qu'elle me donna le vertige.
— Avec plaisir.
Je passais ma main avec soin sur la couverture rigide, mes doigts effleurants avec légèreté les inscriptions en relief. Je regardais attentivement chaque détail de l'ouvrage. La tranche des pages étaient dorées et l'intérieur du livre était recouvert d'un beau papier bleuté semblant incrusté de milliers de petits points scintillants, rappelant des étoiles. Je n'aurais pas pu rêver d'un si bel exemplaire.
Eden se gara un peu plus loin de la maison et coupa le moteur.
J'avais aperçu la lumière du salon qui filtrait à travers les rideaux de la fenêtre. Mes suppositions étaient pratiquement vraies. Ma mère et mon oncle m'attendaient, désireux de connaître tous les détails de ma soirée.
Je pris alors conscience que ma voiture était restée sur le parking de la librairie.
— Ma voiture ! M'exclamais-je.
Eden parut surpris de me voir paniquer pour ce détail.
— Qu'est-ce qu'elle a ta voiture ?
— Elle est restée là-bas. Comment je vais faire pour aller au travail ?
— Ce n'est pas si grave, si ? Tu pourras toujours demander à ta mère de te déposer avant qu'elle ne reparte, proposa-t-il.
Je me détendis devant sa proposition qui me semblait plausible.
— Et si elle ne peut pas, moi je viendrais.
Je le regardais avec des yeux ronds.
— Quoi ?
— Si ta mère ne peut pas t'amener, ça ne me dérange pas de venir te chercher pour t'amener à la librairie. Si tu veux bien, évidemment.
Il semblait sérieux et je fus un instant déstabilisée. Eden me proposait réellement de venir demain matin pour m'amener au travail ? Je ne rêvais pas ? La chose semblait presque inconcevable.
— Je... Merci.
Il hocha la tête en souriant, satisfait de me voir abdiquer si facilement, pour une fois.
— Je me disais aussi, que ce week-end, par exemple, si tu n'as rien de prévu, je pourrais t'apporter la bibliothèque que tu voulais.
Je le regardais bouche bée. Il s'était souvenu de la bibliothèque sur laquelle j'avais craqué à la boutique de sa mère.
— Mais, elle n'est pas partie ?
— Je t'ai dit que je te la réservais.
Je n'arrivais pas à le croire. Une bouffée de chaleur envahit mon coeur, touché par le geste d'Eden.
— Tu es d'accord ?
— Mais, je n'ai toujours pas assez d'argent pour l'acheter, avouais-je à contre-coeur.
Eden haussa les épaules avec désinvolture.
— Tu la paieras quand tu pourras.
— Mais...
— Ou alors, tu me laisses te l'offrir.
J'étouffais un petit cri de surprise.
— Quoi ? Non !
Eden me regarda, ne comprenant pas ma réaction qu'il jugeait probablement excessive.
— Pourquoi non ?
— Parce que tu ne peux pas m'offrir une bibliothèque pareille ! Objectais-je, comme si cela tombait sous le sens.
— Pourquoi ça ?
Il me dévisagea et je pouvais sentir qu'il se demandait ce qui ne tournait pas rond chez moi.
— Mais parce que je ne peux pas accepter ! M'écriais-je, ne sachant plus où me mettre.
— Wendy, tu ne réponds pas à ma question. Pourquoi ne peux-tu pas accepter que je t'offre une bibliothèque ?
Je tortillais mes doigts et baissais les yeux.
— Parce que ça me gêne. C'est beaucoup trop. Tu m'as déjà offert ce livre magnifique et...
Je sentis alors les doigts froids d'Eden se glisser une nouvelle fois sous mon menton. Il s'était rapproché et se trouvait à présent très près de moi, à tel point que je pouvais voir les fins cristaux de couleur sarcelle qui coloraient le contour de ses iris.
— Laisse-moi te l'offrir, Wendy. S'il te plaît.
Son souffle caressa ma peau agréablement et je me sentis perdre pied. Je ne pouvais cependant pas céder aussi facilement.
Je déglutis afin de maîtriser quelque peu ma voix, que je sentais déjà tremblante.
— Mais...
Je m'arrêtais quand le pouce d'Eden effleura brièvement et avec légèreté ma lèvre inférieure. A ce moment là, je fus incapable de réfléchir ou même de penser. Mon coeur était au bord de l'explosion et je dus entrouvrir la bouche pour aspirer l'air qui me manquait. Eden baissa un bref instant son merveilleux regard vers mes lèvres entrouvertes que je peinais à empêcher de trembler.
— S'il te plaît, répéta-t-il dans un murmure, en s'avançant davantage.
Une série de frissons se déversa sur ma peau que je fus incapable de contrôler. L'odeur de chocolat et de bois de cédrat qui se dégageait de lui, accentuèrent les battements erratiques de mon coeur. Encore une fois, sa simple odeur suffisait à me faire perdre la tête.
Son nez touchait presque le mien et je devais faire appel à toute ma volonté pour contrôler cette envie folle de l'embrasser. Ses lèvres devaient être d'une douceur extraordinaire et j'avais ce désir intense de les sentir sur les miennes. Je pouvais presque sentir des picotements aux coins de ma bouche. C'était de la pure folie, je le savais très bien, mais tout ce que je ressentais depuis quelques minutes n'était que pure folie, il fallait le reconnaître.
Je me forçais à détourner le regard de sa bouche tentatrice pour plonger dans ses yeux qui me happèrent avidement. Ils m'attiraient irrésistiblement dans leurs tréfonds, avec pour seul but de m'y perdre complètement. Et c'était bien ce qui était en train de se produire.
Je savais que je devais dire quelque chose, ne serait-ce que pour me défaire de son emprise que je sentais devenir de plus en plus forte. Pourtant, une part de moi ne voulais pas du tout rompre ce moment et était prête à se laisser entièrement capturer par cet homme à la beauté saisissante.
Ma bouche était horriblement sèche et mon cerveau s'était déconnecté de mon corps pour une durée indéterminée. Je ne pouvais donc pas compter sur eux pour me faire prononcer le moindre mot. Eden attendait toujours patiemment ma réponse et il allait bien falloir que je me résigne à rentrer chez moi. Si j'y parvenais, bien sûr. Ce qui était moins certain, après ce qu'il venait de me faire.
Au prix d'un gros effort, je réussis à hocher lentement la tête pour signifier mon accord, même si je ne me rappelais absolument plus sur quoi portait notre conversation. A vrai dire, je me rappelais même difficilement de mon propre nom.
Eden eut un petit sourire en coin qui bouleversa encore plus mon état, déjà bien fragile.
Il lâcha alors mon menton et se recula pour retourner à sa place, me laissant une sensation de vide et de vulnérabilité qui me coupèrent le souffle.
— Merci.
Je me concentrais un instant sur ma respiration et les battements de mon coeur, qui se décidèrent enfin à se stabiliser.
— Je t'en prie, soufflais-je, l'esprit encore embrumé.
Eden sourit et je me rendis compte que c'était à moi de le remercier. Mais je n'en eus pas le temps.
Des coups frappés à la vitre, de mon côté, me ramenèrent brutalement à la réalité. Je sursautais violemment, me cognant le sommet du crâne au plafond de la voiture et poussais un cri de surprise qui résonna dans l'habitacle.
Tout en me frottant la tête, je me retournais et vis le visage de Neil nous observer à travers la vitre. Il plissait les yeux et semblait se demandait ce qui venait de m'arriver. Je crus entendre Eden pouffer tout en appuyant sur le bouton pour ouvrir la vitre côté passager.
— Neil, qu'est-ce que tu fais là ? Demandais-je, la voix vibrante de peur.
— J'ai entendu le moteur de cette superbe voiture se garer à quelques pas de la maison et comme avec ta mère on attendait que tu rentres, j'ai décidé d'aller voir si c'était bien ma nièce, expliqua-t-il avec un petit sourire. Je t'ai fais peur ?
Il avait posé sa question de manière innocente mais je voyais qu'il cherchait à savoir ce qu'il avait interrompu. Il se pencha un peu plus, afin de regarder le conducteur, qui ne s'était pas encore manifesté.
— Tu dois être Eden, c'est ça ?
Mon oncle dû plisser les yeux pour distinguer son visage dans la pénombre. Eden se pencha vers moi et je m'efforçais d'ignorer sa proximité tout en tâchant de contrôler mon pouls, redevenu rapide.
Fichu parfum entêtant !
— Décidément, je ne savais pas que j'étais si connu que ça, répondit Eden en me lançant un petit clin d'oeil.
Je le fusillais du regard. Il savait très bien que j'avais parlé de lui à mon oncle, pourquoi s'amusait-il à me mettre dans l'embarras ? Je me rappelais alors ce qu'il avait dit, quelques instants plus tôt, sur ma façon de prendre au pied de la lettre les taquineries qui m'étaient destinées. Il prenait visiblement un malin plaisir à me montrer qu'il avait raison.
— Wendy m'a un peu parlé de toi, répondit alors mon oncle, avec un sourire énigmatique.
Inconsciemment, et même si je savais que Eden était déjà au courant, je me sentis rougir. C'était une chose de se l'avouer soi-même, c'en était une autre de l'entendre dire par une tierce personne. Surtout quand cette personne n'était autre que votre oncle et qu'il faisait exprès de prendre un ton lourd de sous-entendu.
— En bien, j'espère.
Evidemment, cela aurait été trop beau d'espérer que Eden cesse ce petit jeu.
— Oh oui ! S'exclama spontanément Neil en riant.
Je dirigeais mon regard noir vers lui, cette fois.
— Bon, c'est bon. Les présentations sont faites on peut peut-être s'arrêter là, intervins-je avant que l'un des deux ne se décident à poursuivre cette discussion embarrassante.
Je ne tenais pas à ce que Neil aille raconter n'importe quoi à Eden. J'ouvris la portière, incitant ainsi mon oncle à se reculer, et sortis de la voiture.
— Merci de m'avoir ramené, Eden.
Il me gratifia de son sourire en coin si craquant.
— Avec plaisir.
Sa voix mielleuse, toujours exprès pour m'embêter, et son sourire satisfait m'agacèrent profondément. Je tâchais de le dissuader de poursuivre son manège par un regard ferme et autoritaire mais je ne réussi qu'à élargir son sourire. Je me demandais à quoi il pouvait bien penser, mais j'avais un souci plus urgent à régler. Je devais absolument éloigner ces deux hommes.
— A la prochaine alors ! Lançais-je par dessus mon épaule, tout en poussant Neil vers la maison.
J'entendis alors la voix d'Eden s'élever dans mon dos.
— A demain, Wendy.
Je me figeais sur place. Le moteur se mit en marche et la voiture quitta rapidement l'allée. J'eus à peine le temps de foudroyer Eden du regard quand il passa près de nous. Lui, évidemment, affichait toujours son sourire triomphant si agaçant.
Neil, qui s'était aussi arrêté pour regarder la voiture d'Eden filer, se tourna vers moi dès qu'elle eut disparue au tournant.
— Vous vous voyez demain ?
Je me mordis la lèvre en m'avançant vers la maison.
— Il doit juste venir me récupérer pour aller au travail, c'est tout, répondis-je feignant l'indifférence.
— Depuis quand tu as besoin de lui pour t'amener ? Poursuivit l'inspecteur dans mon dos, tout en me suivant.
— Depuis que j'ai laissé ma voiture sur le parking et que je ne peux pas aller à la librairie à pied.
Je m'engouffrais dans la maison, Neil sur mes talons.
— Mouais, c'est lui qui a proposé ça ? Si c'est le cas, ça m'a tout l'air d'être un prétexte pour te voir.
Je l'ignorais et me dirigeais vers la cuisine, où ma mère venait de déposer une assiette pleine sur la table.
— Merci, je meurs de faim, la remerciais-je en devinant qu'elle m'était destinée.
— Alors ? Chantonna-t-elle en s'approchant de moi.
— Alors rien, répondis-je en la contournant, sentant mes joues rosirent.
Elle parut déçue.
— Comment ça rien ? Et ça, c'est quoi ?
Elle venait de voir le livre du Petit Prince dans mes mains.
— Je l'ai gagné.
Elle leva un sourcil.
— J'ai participé à un jeu sur le site de la librairie où il fallait retrouver une citation et il s'est avérée que j'ai gagné, expliquais-je en le posant sur la table pour aller me laver les mains.
Ma mère récupéra l'ouvrage et commença à le feuilleter, mon oncle faisant de même par dessus son épaule.
— Et pourquoi c'est lui qui te la remis ? Demanda-t-elle, guère convaincue par mes explications, qui étaient pourtant vraies.
— Parce que c'est lui qui s'occupe du jeu.
Je ne pouvais pas avouer qu'il avait décidé de m'offrir le livre en exclusivité. Ils n'auraient pas manqué d'en rajouter et je refusais qu'ils s'imaginent quoique ce soit.
— Comme c'est étonnant, lâcha la voix amusée de Neil.
Ma mère étouffa un petit rire mais lui tapa le bras en voyant mon expression.
— Eh ! Protesta-t-il en se frottant le biceps.
— Quand vous aurez fini, tous les deux, d'imaginer des choses qui n'existent pas, les sermonnais-je en m'installant à table.
— Ma chérie, laisse moi te dire une chose, me dit ma mère en s'asseyant en face de moi tandis que je savourais mon repas. Je ne suis pas encore naïve au point de ne pas voir que vous vous tournez autour, toi et ce magnifique garçon.
Je faillis m'étouffer en entendant les paroles de ma mère. Je bus une grande gorgée d'eau afin de dissimuler mon malaise.
— Ça crève les yeux que vous vous attirez mutuellement ! S'exclama-t-elle, ignorant mon trouble.
— Même moi je l'ai vu.
La remarque de mon oncle fut de nouveau suivi par une tape de la part de ma mère.
— Quoi ? Je suis de ton côté ! S'indigna-t-il en se massant de nouveau.
— Au risque de vous décevoir, les coupais-je, je vous assure qu'il n'y a rien entre Eden et moi. On est juste amis, rien de plus.
Deux paires d'yeux me regardèrent, comme si je venais de dire la pire bêtise de ma vie.
— Arrêtez de me regarder comme ça, je ne plaisante pas. J'aimerais vraiment que vous cessiez d'essayer de me caser avec lui. Je sais que ça part d'un bon sentiment, quoique votre manière de faire est plutôt maladroite et dérangeante, je ne vais pas vous le cacher. Mais c'est affreusement gênant pour moi. Alors s'il vous plaît, je vous le demande, on arrête les sous-entendus.
Ils échangèrent un regard face à mon expression désespérée. J'espérais sincèrement que le message était passé. Je n'avais pas envie de me faire cuisiner à chaque fois que je parlais d'Eden ou que je le voyais. C'était fatiguant.
Ma mère finit par pousser un profond soupir.
— Très bien. Excuse-nous, ma chérie. On ne voulait pas te mettre mal à l'aise. C'est juste que vous iriez tellement bien ensemble, ajouta-t-elle d'un air rêveur.
Devant mon air réprobateur elle leva les mains devant elle.
— D'accord, d'accord, je ne dis plus rien. Mais tu ne m'empêcheras pas de penser qu'il y a quelque chose entre vous. Même si tu n'en as pas encore pris conscience.
La discussion bifurqua sur le travail de Neil et les préparatifs de mariage de ma mère et je pus finir mon assiette tranquillement, sans autres questions. Je n'intervenais que de temps en temps dans leur échange, perdue dans mes pensées et troublée par ce que j'avais ressenti dans la voiture avec Eden.
Avant d'aller me coucher, ma mère me retins sur le palier du couloir, devant la porte de ma chambre.
— Dis-moi au moins comment s'est passée ta soirée, me dit-elle en chuchotant, pour ne pas réveiller Neil, qui dormait en bas dans le salon.
Il avait laissé sa chambre à ma mère et était allé s'installer sur le canapé.
— Maman..., soupirais-je.
— Je veux juste savoir si j'ai bien fait d'insister pour que tu ailles avec lui. Je sais que j'ai eu raison, il semblait vraiment désireux de te parler. Mais je veux être sûre que tu penses comme moi.
Elle avait une façon de tourner les choses qui me fit sourire malgré moi. Comment lui en vouloir ? Après tout, elle ne voulait que m'aider après ce que je lui avais dit sur Eden dans la librairie.
— Alors ?
— Tu avais raison, dis-je enfin en chuchotant, moi aussi.
Elle émit un petit rire aigu, qui ressemblait fortement à un petit couinement de fouine, avant de se couvrir la bouche de sa main. Les ronflements de Neil nous parvinrent du rez-de-chaussée et nous nous détendîmes.
— Je le savais. De quoi voulait-il te parler ?
— Il m'a...demandé pardon, répondis-je prudemment. Pour son attitude souvent changeante avec moi.
J'hésitais à lui parler de ce qu'il m'avait avoué concernant le fait que je l'aidais à se remettre en question. Si je parlais de ce passage à ma mère, nul doute qu'elle allait avoir du mal à contenir sa joie et qu'elle ne pourrait pas s'empêcher de me répéter qu'il y avait quelque chose entre nous. Je préférais en rester à cette version.
— Tu vois, je savais qu'il allait finir par être sincère avec toi, me dit-elle.
Je lui adressais un petit sourire. Elle ignorait à quel point c'était vrai. Plus qu'elle ne l'espérait, même.
Elle plissa les yeux et je me sentis d'un coup sondée par son regard.
— Quoi ? Fis-je, sur le défensive.
— Je sais que tu ne me dis pas tout, à propos de cette soirée. Et je sais aussi que tu te retiens de m'en dire plus parce que tu as peur que je me fasse des idées.
Je pris une profonde inspiration mais elle ne me laissa pas le temps de répondre.
— Je ne t'en veux pas. Je sais comment tu fonctionnes, ma chérie.
Elle m'adressa un petit sourire compatissant.
— Mais j'ai vu ton regard quand tu es rentrée. Et je n'ai pas besoin d'en savoir plus pour savoir que tu es bien plus attachée à ce garçon que tu ne veux bien te l'avouer.
Je détournais les yeux, sentant mon visage s'empourprer.
— Ce n'est qu'une question de temps, crois-moi, rajouta-t-elle en me touchant le bout du nez de son index.
Je refusais de me dire qu'elle avait peut-être raison. Les sentiments que je ressentais quand je me trouvais à proximité d'Eden étaient intenses mais ce n'était que de l'amitié. Non ?
Je ne savais pas ce que l'on pouvait ressentir quand on tombait amoureux. Je ne l'avais jamais expérimenté. Certes, j'avais lu de nombreux romans où il était question d'amour, sans compter toutes les comédies romantiques que j'avais regardé avec ma mère. Mais entre le lire et le vivre, il y avait une grande différence.
Ma mère me serra contre elle et m'embrassa sur la joue avant de me sourire.
— Dors bien, ma puce. Fais de beaux rêves.
Elle me fit un clin d'oeil.
— Toi aussi.
Elle se dirigea vers la porte de la chambre de Neil avant que je ne l'interpelle.
— Maman ?
— Oui, ma puce ?
— Merci, lui dis-je. Pour tout.
Elle me sourit et je crus un instant qu'elle allait se mettre à pleurer, mais elle n'en fit rien. Au lieu de cela, elle m'envoya un baiser avec la main.
— Merci à toi d'être une fille si extraordinaire.
Je lui souris tendrement et nous nous glissâmes dans notre chambre respective.
En fermant les yeux, cette nuit-là, je sentis des sentiments mitigés m'assaillirent. J'étais à la fois apaisée par tout ce que Eden m'avait dit, et en même temps tourmentée par ce qui me restait à découvrir. Sur lui, mais aussi sur mes propres sentiments.
Je ne savais pas du tout où toute cette histoire allait me mener. La seule chose que je savais, c'était qu'il était trop tard, à présent, pour revenir en arrière. Ma mère avait raison, et je ne pouvais plus le nier.
Je m'étais véritablement attachée à Eden.PS : 🌟 merci de cliquer sur la petite étoile en bas du chapitre si vous avez aimé 🌟
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Anmore Cove
ParanormalA dix-huit ans, Wendy décide de partir vivre avec son oncle qui lui a trouvé un stage dans la librairie de sa ville, Anmore Cove. Encore marquée par l'abandon de son père quand elle avait six ans, la jeune fille voit dans ce changement l'échappatoir...