Chapitre 31

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Je me trouvais devant ma penderie, mordant l'intérieur de ma lèvre tout en parcourant du regard les quelques vêtements qui se dressaient devant moi. Mon attitude était complètement ridicule, je le savais bien. Après tout, je n'allais pas à un mariage où à un rendez-vous, je passais seulement la soirée avec Eden qui devait me montrer l'étendue de ses pouvoirs. Rien de romantique, donc.
Pourtant, quand j'étais rentrée à la maison, je m'étais précipitée à l'étage, désireuse de faire un effort sur ma tenue vestimentaire, pour une fois. Alors que je savais parfaitement qu'Eden se fichait complètement de ce que je portais. J'étais vraiment ridicule.
J'entendis des coups brefs frapper à ma porte.
— Oui, invitais-je Neil à entrer sans détourner mes yeux des deux tenues que je venais de déposer sur mon lit.
— Oh, je vois que tu es en plein dilemme, dit-il en me voyant froncer les sourcils. Je venais pour savoir ce qui t'avais fait monter dans ta chambre aussi rapidement et avec une telle inquiétude. Maintenant je comprends mieux. Tu te prépares pour un rendez-vous galant, c'est ça ?
J'émis un bref grognement qui le fit rire avant de me tourner vers lui d'un air désespéré.
— Je n'ai jamais fait ça avant et voilà que je me retrouve à réfléchir pendant des heures à savoir quoi porter alors que d'habitude, je n'ai qu'à mettre ce qui me tombe sous la main et c'est réglé. Pourquoi les choses doivent-elles être si compliquées dès lors qu'on est avec quelqu'un ?
Mon oncle retint un rire tout en s'approchant de moi.
— Je pense que c'est toi qui te tracasse pour rien.
Il s'arrêta à côté de moi et posa une main sur mon épaule.
— Ton copain s'en fiche de ce que tu vas mettre. S'il t'aime vraiment, il t'aimera dans n'importe quoi.
Je le regardais d'un air blasé.
— En gros, je peux y aller en pyjama que ça ne changerait rien, c'est ce que tu es en train de me dire ?
Neil éclata de rire.
— N'exagère pas quand même !
Il se tourna ensuite vers le lit et compara les deux tenues. J'avais sélectionné un pantalon noir avec une chemise de couleur crème légèrement délavée que ma mère m'avait acheté avant que je ne parte vivre chez mon oncle et que je n'avais encore jamais porté, ainsi que la robe verte que j'avais mise un fois au travail, sous les ordres de Judy.
— Moi j'aurais choisi la première, me dit-il en me désignant le pantalon et la chemise. Ça dépend où vous allez, mais je pense que ça te ressemble davantage. Pas besoin d'en faire trop. Reste toi-même.
— Merci, Neil, lui dis-je en lui déposant un petit baiser sur sa joue barbue.
Il haussa les épaules.
— Pas de quoi. J'adore aider les jeunes femmes sur le choix de leur fringues à mes heures perdues.
Je lui administrais une petite tape sur le bras et il se recula en rigolant. La sonnette retentit alors et je me figeais. Mon oncle leva l'index en l'air avec une expression triomphante.
— Ah ! Ton rendez-vous est là.
— Déjà ?! m'exclamais-je en paniquant.
Eden m'avait dit qu'il viendrait me prendre à dix-neuf heures. Ce n'était pas possible que ce soit déjà cette heure-ci. Je posais mes yeux affolés sur mon réveil.
Il était dix-neuf heures pile. On ne pouvait pas lui reprocher d'être en avance. C'était moi qui était en retard, évidemment.
— Tu ferais mieux de te dépêcher, me conseilla Neil avant de sortir de la chambre.
— Dis lui que je n'en ai pas pour longtemps, lui criais-je avant qu'il ne descende.
Je m'empressais de me changer, pour ne pas que mon oncle et Eden ne restent ensemble trop longtemps. Après la dernière fois, j'imaginais que Neil n'avait plus de mise à garde à formuler à Eden, mais je n'en étais pas totalement sûre pour autant. Je préférais ne pas prendre de risque inutile.
Je récupérais ma veste, que j'avais balancé sur le lit en arrivant et sortis de la chambre. Je dévalais les escaliers et m'arrêtais juste avant de percuter mon oncle.
— Ah te voilà !
Il se retourna vers moi et eut un petit sourire en voyant que j'avais suivi ses conseils en matière de mode. Mais mon regard venait de croiser celui d'Eden et je ne voyais, désormais, plus que lui.
Je constatais que ses cheveux avaient tenté d'être coiffé en arrière, mais sa mèche rebelle ondulée était toujours aussi indisciplinée. Ce n'était pas pour me déplaire, je le trouvais tellement plus beau comme cela. Son sourire en coin fit chavirer mon coeur tout comme ses yeux qui semblaient pétiller en me voyant.
— Je vois que tu ne t'es pas trompée, Wendy, pour le choix de ta tenue, intervint alors Neil amusé, en nous regardant tour à tour.
Je baissais les yeux sur l'habillement d'Eden et remarquais, qu'effectivement, nous avions opté pour les mêmes couleurs, sans nous concerter. Pantalon noir et chemise écrue. J'esquissais un petit sourire.
— Ce n'était pas la peine de te casser la tête, tu vois.
Je me sentis rosir légèrement face à la révélation de mon oncle et Eden ne manqua pas de le remarquer. Il plissa les yeux un bref instant et son sourire s'élargit.
— Bon, et si nous allions ? lançais-je à Eden.
Je passais devant Neil et m'arrêtais à côté d'Eden qui ouvrit la porte d'entrée pour me laisser sortir en première.
— A plus tard, Neil. Je ne sais pas à quelle heure je vais rentrer alors ne m'attends pas, rajoutais-je en jetant un petit coup d'oeil à Eden.
Neil hocha simplement la tête et nous regarda nous éloigner.
— Amusez-vous bien, nous lança-t-il joyeusement sur le seuil.
Je rougis dans la pénombre. Il avait toujours les bonnes phrases. Même si celle-ci paraissait anodine, je devinais sans mal ce qu'il pouvait imaginer de la soirée que j'allais passer avec Eden et la gêne s'empara automatiquement de moi.
J'accélérais l'allure en direction de la voiture d'Eden.
— Tout va bien ? me demanda-t-il en fronçant les sourcils.
— Maintenant que le danger est derrière nous, oui.
Eden lâcha un petit rire et quitta le lotissement.
— Je dirais plutôt qu'il est devant nous.
— Je crois qu'à choisir, je préfère le danger qui arrive à celui qu'on vient de quitter.
Il se tourna vers moi et leva un sourcil.
— Tu considères donc ton oncle comme plus dangereux que moi ?
— Tu n'imagines pas à quel point.
Il secoua la tête mais afficha un petit sourire.
— Qu'est-ce qui ne faut pas entendre, murmura-t-il.
— Bon, alors, où on va ? demandais-je, désireuse de changer de sujet.
— Chez moi.
Le stress s'empara automatiquement de moi.
— Chez toi ?
Eden plissa le front.
— Oui.
— Il y aura toute ta famille ?
— Oui.
Je tournais mon regard paniqué vers la route.
— Il y a un problème ?
— Pour tout te dire, je ne pensais pas qu'il y aurait toute ta famille avec nous, ce soir.
Il se tourna vers moi, ses prunelles teintées d'incompréhension et je compris alors que mes paroles pouvaient prêter à confusion quant à ce que j'espérais de la soirée.
— Non, ce n'est pas ce que... Je sais que cette soirée était prévue pour que tu me montres tes pouvoirs... Je n'attendais rien de plus... Enfin, rien qui n'ait un rapport avec ce que tu voulais me montrer à la base...
Je m'enfonçais dans mes explications sous le regard amusé d'Eden.
— C'est bon Wendy, détends-toi, j'ai compris ce que tu voulais dire.
Je m'autorisais à respirer normalement.
— Le problème étant que je ne peux pas te montrer ce dont je suis capable sans l'aide de quelqu'un d'autre, reprit-il.
Je le dévisageais, incrédule.
— Comment ça ?
— J'ai besoin que tu prennes la pleine mesure de mes capacités. Et pour cela, j'ai besoin d'un...cobaye.
Je me figeais sur mon siège.
— Un cobaye ? répétais-je.
Eden hocha gravement la tête.
— Quelqu'un qui accepte que j'use de mes pouvoirs sur lui.
Je sentis de nouveau la panique me saisir le ventre. Ses paroles prirent soudain tout leur sens.
— Et qui va servir de cobaye, au juste ?
— Judy.
Je le regardais, les yeux révulsés.
— Quoi ?! m'écriais-je.
— Wendy, calme-toi, on sait tous les deux ce qu'on fait. Ce n'est pas la première fois qu'on fait ce genre de chose. Ce sera comme un genre d'entraînement.
J'imaginais Judy en train de subir les assauts des pouvoirs d'Eden et la peur me gagna automatiquement.
— Mais...tu es vraiment obligé de faire ça ? Je veux dire, il n'y a pas d'autres moyens ?
— Wendy, ne t'en fais pas pour Judy. C'est elle qui a proposé de m'aider à te montrer tout ça.
— Mais je ne veux pas qu'elle soit blessée !
— Elle ne le sera pas. Ou du moins, pas trop longtemps...
Sa dernière phrase ne me rassura pas du tout.
— J'aurais bien demandé à Christian, mais ce ne serait pas la même chose.
— Pourquoi ça ?
L'idée que ce soit Christian qui serve de cobaye me paraissait beaucoup moins risqué. Judy était tellement fragile. Du moins, en apparence. Je me souvenais de son étreinte quand je lui avais annoncé qu'elle était invitée au mariage de ma mère. J'avais cru que ma douleur à l'épaule était due à mon entaille au bras, mais j'avais fini par comprendre que c'était la force surhumaine de Judy qui en avait été à l'origine.
— Parce qu'il est porteur du gêne, comme moi, répondit Eden. Alors que Judy est une transformée.
Je me rappelais ce qu'il m'avait confié quelques heures auparavant, quand il me racontait les évènements qui avaient eu lieu avec Lina. Il m'avait effectivement dit que les transformés, bien que pouvant prétendre avoir des pouvoirs plus puissants, n'étaient pas en mesure de rivaliser avec des Waldrens porteurs du gêne. Ces derniers restaient les plus forts lors d'un combat.
— Si ça peut te rassurer, Judy est très contente de participer à tout ça. Elle en trépigne même d'impatience.
— J'ignorais qu'elle avait un côté masochiste, marmonnais-je, guère rassurée.
— Tout va bien se passer, Wendy, fais moi confiance. Je sais ce que je fais.
Je pris une profonde inspiration tout en le regardant dans les yeux. Je sentais qu'il désirait véritablement que je ne doute pas de lui. Je n'oubliais pas qu'il faisait tout cela pour moi, pour me permettre de mieux comprendre ce qu'il était. Il fallait que je lui fasse confiance, même si l'idée me plaisait de moins en moins.
— Je te fais confiance.
Il parut soulagé et m'adressa un petit sourire. Nous restâmes quelques minutes sans prononcer le moindre mot. Eden était sûrement en train de se faire le déroulé de ce qu'il avait prévu de me montrer avec Judy, tandis que moi je luttais pour calmer la nervosité qui augmentait de plus en plus à mesure que nous nous approchions de l'instant décisif.
Pour être tout à fait honnête, ce n'était pas entièrement le fait d'assister à ce qu'Eden avait prévu de me montrer qui me mettait dans cet état. Une grande partie de mon stress, en cet instant, résidait dans le fait que j'allais bientôt me retrouver dans la maison d'Eden, entourée de la famille au grand complet. C'était véritablement ce qui m'angoissait le plus.
— Tu as peur ? me demanda alors Eden.
— Non.
Eden sourit, sachant pertinemment que j'étais en train de lui mentir.
— Si ça peut te rassurer, moi aussi j'ai peur.
Je lui rendis son sourire, prenant conscience que pour lui aussi, la situation était loin d'être facile.
— Si tout se passe bien, ça ne devrait pas durer trop longtemps.
— Parce qu'il y a un risque que ça se passe mal ?
— Tout va dépendre de toi, en réalité.
— De moi ?
Je le regardais avec des yeux ronds.
— Dois-je te rappeler que tu t'apprêtes à assister à quelque chose d'anormal, dit-il en levant les yeux au plafond.
— J'assiste déjà à quelque chose d'anormal.
Il se tourna vers moi, perplexe.
— Comment ça ?
— Le fait que quelqu'un comme toi puisses avoir des sentiments pour une simple humaine comme moi, c'est déjà quelque chose d'anormal, si tu veux mon avis, répondis-je avec un petit rire. Je crois que rien ne pourra davantage m'étonner que ça.
Ses yeux brillèrent d'un éclat de tendresse et il tendit la main pour me caresser la joue.
— Nous verrons bien.
Il tourna dans une petite allée en terre, semblant mener au coeur de la forêt. Sa famille avait véritablement décidé de vivre isolée du reste de la civilisation. Il faisait tellement nuit dehors que je ne parvenais pas à distinguer le paysage. Je réussis seulement à voir les arbres imposants qui se dressaient sur le bord du chemin.
La voiture finit par émerger sur un terrain plat, entièrement recouvert d'herbe et parsemé de ci de là de quelques arbres au troncs fins mais immensément grands.
Eden arrêta la voiture au milieu du terrain. J'aurais cru que l'on se trouvait au milieu de nul part, si je ne percevais pas de la lumière en contrebas de là où l'on venait de s'arrêter. Grâce à elle, je pouvais distinguer, encore plus bas, un point d'eau,
probablement un lac, entouré de montagnes de forêt. L'endroit devait être magnifique en plein jour.
Eden était sorti de la voiture et s'était retrouvé devant ma portière en un clignement de paupière. Il m'aida à sortir de la voiture, tandis que je regardais autour de moi. Il n'y avait que la forêt alentour. Aucune maison. Je commençais à me
demander si les Waldrens n'avaient pas pour habitude de vivre terrer comme les lapins.
Les bruits de la nuit me parvenaient et je frissonnais sous ma veste à cause du froid qui régnait entre les arbres.
— Suis-moi, me dit-il me prenant la main pour me guider dans la pénombre.
Il me fit longer le bord du terrain plat pour me mener à un escalier en pierres noires. Je m'arrêtais quelques secondes, le souffle coupé.
De chaque côté de l'escalier, des petits spots étaient allumés entre les arbustes de fleurs, éclairant le chemin. En contre-bas, je pouvais distinguer, grâce aux éclairages disséminés un peu partout, une immense terrasse au dallage noir entourée, là encore, de nombreuses parcelles de fleurs.
Eden me tira doucement par la main pour m'inviter à le suivre. Je descendis les escaliers, tout en m'émerveillant de ce que je découvrais.
En arrivant au bas des marches, je suivis Eden sur la grande terrasse, qui s'avérait être encore plus grande que ce que j'imaginais, possédant même une piscine à débordement. Je regardais Eden mi-amusée, mi-interrogative.
— J'ignorais que les Waldrens aimaient se baigner, pouffais-je.
Eden haussa les épaules.
— On apprécie les petits plaisirs de la vie. Et puis, Judy rêvait d'en avoir une.
J'étouffais un petit rire et me tournais sur la gauche. Je m'arrêtais net et lâchais un petit cri d'exclamation.
La maison, au style architecturale moderne, était construite de manière à se fondre complètement dans le décor. La voiture d'Eden, qui était garée en haut, était en réalité
garée pratiquement sur le toit de la maison à deux étages qui s'étendaient devant moi.
De nombreuses baies vitrées recouvraient la façade noire. Certaines parties du toit étaient recouvertes d'herbe, sûrement pour que ceux qui arrivaient d'en haut, ne puissent pas se douter qu'il y avait une maison en contrebas, tandis que d'autres parties étaient recouvertes de baies vitrées donnant sur le ciel étoilé.
Je restais ébahie devant la beauté de cette maison. Eden me regarda en souriant, sa main tenant toujours la mienne.
— Elle te plait ?
— Absolument pas, répondis-je ironiquement dans un souffle, ce qui déclencha ses rires.
— C'est Rose qui l'a conçu.
Mes yeux s'agrandirent de surprise.
— Elle a dessiné les plans de la maison qu'elle imaginait et Christian et moi l'avons construite, expliqua-t-il.
Je balayais du regard la demeure en me disant qu'avec les capacités exceptionnelles dont ils étaient dotés, ils n'avaient pas dû mettre beaucoup de temps à la terminer.
— C'est incroyable.
— Ravi que ça te plaise.
Il m'entraîna vers une porte vitrée, donnant sur une immense pièce à vivre complètement ouverte sur la terrasse. Le parquet clair lustré était impeccable tandis que les murs en pierres grises foncées accentuaient le côté moderne chic de
l'habitation.
Je m'avançais prudemment dans la grande pièce qui contenait un coin salon, avec une grande télévision accrochée au mur en pierre. L'immense canapé d'angle gris
anthracite, semblait incrusté dans une fosse en contrebas dont on pouvait accéder par des petites marches sur le côté. Au fond, je vis une bibliothèque couvrant complètement tout un pan de mur. De gros fauteuil cossus étaient disposés sur un grand tapis blanc moelleux, juste devant une imposante cheminée en pierre.
La bouche ouverte de stupéfaction, je relevais la tête et observais le ciel étoilé à travers la partie du plafond en verre qui avait été installée juste au dessus de la fosse.
Perdue dans la contemplation de cette magnifique demeure, je revins à l'instant présent quand j'entendis Eden se racler doucement la gorge à côté de moi. Je me tournais vers lui et pris soudain conscience que j'étais observée par toute la famille.
Christian se tenait devant une grande arche desservant le hall, qui menait à la cuisine, de ce que je voyais et à un grand escalier moderne. Mon patron se tenait bien droit, ses petits yeux gris me scrutant intensément de là où il était. Il n'esquissa pas un sourire sous sa barbe de trois jours, toujours impeccablement taillée, préférant conserver son visage impassible.
A son côté, Judy me regardait avec des yeux pétillants, un petit sourire accroché à ses lèvres. Elle semblait trépigner de me prendre dans ses bras, à la manière dont elle dansait d'un pied sur l'autre.
De l'autre côté de Christian, une belle jeune femme aux boucles châtains clairs me regardaient de ses grands yeux bleus, sous sa frange droite, avec une expression qui semblait osciller entre la contrariété et l'amabilité. Je reconnus instantanément la femme du portrait. J'avais cru qu'il s'agissait des ancêtres de Christian, mais en réalité, c'était bel et bien lui et Rose qui posaient sur la photographie qui ornait la cheminée de son bureau à la librairie.
Elle était encore plus belle en vrai qu'en photo. Son visage transparaissait une douceur déconcertante. Son teint de pêche ne contenait aucune imperfection, ses pommettes se redressaient de manière charmante quand elle souriait. Elle regardait Eden, par moment, comme si elle cherchait à être rassurée du fait de ma présence ici.
— Rose, tu es la seule à ne pas avoir encore rencontrée Wendy, dit enfin Eden, rompant le silence gênant qui s'était installé dans la grande pièce. Wendy, je te présente la femme de Christian et ma mère adoptive.
Complètement perturbée par sa beauté et l'éclat de ses yeux bleus indigo, je restais en plein milieu du salon, incapable de bouger. Heureusement, Rose ne sembla pas perturbée par mon mutisme. Elle m'adressa un sourire ravissant de ses lèvres pleines rosées, sans pour autant s'avancer.
— Je suis ravie de te rencontrer enfin, Wendy, me dit-elle d'une voix cristalline.
— Ravie aussi, parvins-je à articuler faiblement.
Christian s'adressa alors à moi.
— Je ne pensais pas te revoir aussi tôt, Wendy, me dit-il, sur un ton frôlant le reproche.
Je me sentis affreusement mal à l'aise tout à coup. La dernière fois que je l'avais vu, il m'avait implicitement demandé de ne pas continuer ma relation avec Eden, sous peine que je finisse par être en danger. Ma présence ici prouvait que je n'avais pas du tout tenu compte de son avis.
Son regard d'acier suffit à augmenter ma sensation de malaise.
— Christian, s'il te plaît.
La voix forte et grave d'Eden à mes côtés me fit légèrement sursauter. Son père tourna ses prunelles vers lui et le regarda quelques instants. J'avais l'impression qu'ils étaient en train de communiquer par la pensée et me demandais soudain si ce n'était pas réellement possible. Après tout, cela pouvait être une autre facette de leur pouvoir.
Christian fini par hocher lentement la tête, confirmant encore plus que mon hypothèse était plausible, et reporta son attention vers moi. Je me sentis frémir malgré moi.
— J'imagine que tu sais ce que tu fais.
Je perçus le grognement émanant du fond de la poitrine d'Eden, signifiant qu'il aurait préféré que son père adoptif s'abstienne de ce genre de commentaire. Mais il ne rajouta rien.
Un lourd silence retomba alors entre moi et la famille de Waldren qui m'encerclait.
Je ne savais pas comment me comporter en leur présence et eux semblaient également se demander ce qu'ils pouvaient dire ou faire sans risquer de m'effrayer ou de déclencher la colère d'Eden que je sentais tendu à mes côtés.
Je lui jetais un coup d'oeil et constatais qu'il avait serré les mâchoires, ce qui ne me rassura pas. Visiblement, il ne s'était pas attendu à ce genre d'ambiance quand il avait décidé de m'amener chez lui. La réticence de sa famille de me voir ici était palpable et je savais qu'ils auraient tous préféré que je suive le conseil de Christian.
Enfin, tous sauf une. Judy était la seule qui n'avait pas changé son attitude envers moi et qui me regardait toujours avec un sourire chaleureux. Ce fut elle qui se décida à apaiser la tension.
— Bon, on ne va pas passer la nuit là ! lança-t-elle en s'approchant de moi.
Elle passa un bras autour de mes épaules et me serra contre elle. Ce simple geste suffit à me détendre face aux regards interrogateurs que jetaient Rose et Christian à leur fille adoptive.
— Wendy a choisi de nous faire confiance. J'estime qu'on lui doit bien de faire de même, non ?
— Je ne sais pas si elle l'a vraiment choisi, dans la mesure où c'est toi qui a fait en sorte qu'elle soit au courant de notre secret, répliqua Christian à sa fille qui leva les yeux au ciel.
— Je l'ai seulement aidé un peu afin qu'elle comprenne. Et pour ça, il fallait qu'elle ait accès aux livres de la bibliothèque. Tu le savais très bien et Eden aussi le savait. En réalité, c'est lui qui aurait dû lui laisser l'occasion de lire ces livres.
— Je l'aurais bien fait, mais tu ne m'en as pas laissé le temps, intervint celui-ci en levant un sourcil à l'intention de sa soeur.
— Tu ne l'aurais pas fait aussi bien que moi, il faut bien l'admettre, répondit Judy en se tournant vers lui. Mais c'était tellement amusant à faire !
Elle retrouva son excitation habituelle en m'adressant un grand sourire.
— J'avais l'impression de planifier un escape game, c'était tellement excitant !
Je sentis la tension redescendre face à l'enthousiasme de mon amie qui eut le don de détendre tout le monde car en les regardant tour à tour, je vis que chacun affichait un petit sourire.
— Avoues que ça t'a plu, à toi aussi, hein, Wendy ? me demanda-t-elle alors.
Tous les regards bifurquèrent vers moi et je me sentis rougir. La situation redevint embarrassante pour moi. Je ne pouvais tout de même pas avouer devant mon patron que j'avais pris plaisir à fouiller dans ses affaires, allant même jusqu'à ouvrir son coffre personnel, afin de découvrir le secret qu'il cache depuis des décennies.
Heureusement, Eden vola à mon secours.
— Ne te sens pas obligée de répondre, Wendy. Judy a oublié qu'elle aurait dû nous parler avant de ce qu'elle prévoyait de faire pour te permettre l'accès à la bibliothèque secrète.
— Si je te l'avais dit, tu m'en aurais empêché, à coups sûrs, dit-elle. Et de toute façon, j'ai prévenu Christian quelques heures après.
Eden ouvrit la bouche pour répliquer mais Judy le coupa.
— La question n'est plus là. Elle sait maintenant, dit-elle en se tournant vers Christian. Et malgré ça, elle nous fait suffisamment confiance pour venir chez nous ce soir. Je pense que ça suffit à nous prouver qu'on peut, nous aussi, lui faire confiance pour ne pas révéler notre secret.
Rose et Christian échangèrent un bref regard avant que celle-ci ne glisse sa main dans celle de son mari et exerce une légère pression. Ce dernier soupira mais quand il redressa la tête dans notre direction, son visage s'était adouci et il souriait. Sa beauté me troubla et je me sentis rougir.
— Tu as raison, Judy. Wendy, je te présente mes excuses pour mon impolitesse.
Je restais interdite devant le regard implorant de mon patron.
— Tu as fait ton choix et même si je dois avouer que j'aurais préféré que tu en fasses un autre, je me dois de respecter ta décision. Elle t'appartient, après tout.
Je glissais un regard furtif vers Eden qui avait desserré les dents et paraissait plus calme, quoique légèrement surpris également. Il ne s'était pas attendu à ce que son père me fasse des excuses.
— Je pense qu'il me faudra un peu de temps pour assimiler cette nouvelle situation, entre toi et Eden, mais je ne m'interposerais plus entre vous. Je vous le promets.
Eden expulsa l'air qu'il avait contenu depuis que sa famille nous avait rejoins dans le salon, et moi-même, je me surpris à respirer un peu mieux. Comme si l'on venait de m'enlever un poids qui me pesait sur la poitrine.
— Merci beaucoup. Je vous promets, pour ma part, que je ne révélerais jamais votre secret à personne.
Je pris un profonde inspiration avant de poursuivre. Ils me regardaient tous avec attention mais je réussis à faire abstraction de ma gêne.
— J'ai conscience de ce que vous êtes et de ce dont vous êtes capable. Et j'en aurais encore plus conscience après cette soirée. Mais je sais déjà que malgré votre condition de Waldren, vous n'en restez pas moins des humains également. Et c'est cette partie de vous que j'ai décidé de regarder en premier.
La pièce plongea dans le silence le plus total. On pouvait seulement entendre le hululement d'un hibou dans la forêt entourant la maison.
J'ignorais comment ils avaient pris mes paroles, mais j'avais la désagréable sensation d'avoir commis une erreur. Au moment où mon coeur commença à s'emballer à cette idée, je sentis la main d'Eden se glisser dans la mienne et me la
serrer doucement. Je relevais les yeux vers lui et son regard emplit de tendresse me rassura.
— Ta bonté nous touche énormément, Wendy, dit alors Rose en m'adressant un sourire plein de reconnaissance. Merci beaucoup. Eden a beaucoup de chance de t'avoir.
Je me sentis m'empourprer sous le poids de leur regard sur moi.
— Allez, tout le monde est content, tout le monde est reconnaissant, c'est magnifique ! s'exclama Judy en tapant dans ses mains. Mais on a du boulot, maintenant.
Elle semblait réellement impatiente de jouer le rôle du cobaye pour Eden. Je la regardais avec de grands yeux.
— Tu n'es pas impatiente, Wendy ? me demanda-t-elle comme si c'était impossible que je lui réponde par la négative.
— Euh... Je...
— Tu verras, ça va être marrant.
Elle affichait un sourire éclatant mais malheureusement, je ne pouvais pas partager sa joie. Le mot « marrant » n'était pas le premier à me venir à l'esprit quand je pensais à ce qui allait suivre. Il me paraissait même un peu déplacé pour la
circonstance. Eden avait clairement dit qu'elle mettrait sûrement un petit temps avant de se remettre de ce qu'il comptait lui infliger. Je frissonnais déjà d'horreur.
— Ne fais pas cette tête, je t'assure que tout ira bien, me dit-elle en voyant mon expression.
— Vous allez faire ça où ? demanda Christian à Eden.
— Près du lac. Comme d'habitude.
Christian hocha la tête, comme s'il s'agissait du meilleur endroit pour se livrer à ce genre d'exercice.
— Je suppose que tu ne vas omettre aucun détail.
— Aucun. Elle doit tout voir.
Eden paraissait sûr de lui, même si je voyais bien qu'il n'était pas entièrement détendu. Moi-même, je ne l'étais pas du tout alors que je ne savais pas ce qui m'attendait.
— Voir c'est une chose, Eden. Il y a cependant des choses qui demande des explications.
Je sentis Eden se raidir à côté de moi et je me demandais ce que Christian sous-entendait. Il le regardait fixement, cherchant visiblement à lui faire passer un message qu'Eden avait de suite saisi mais qui semblait le mettre dans tous ses états.
— Elle saura tout, répondit-il finalement les dents serrées.
Christian hocha simplement la tête. Je ne pouvais m'empêcher de trouver leur relation déroutante. Je me rendis alors compte que j'ignorais totalement la manière dont Christian et Eden s'étaient rencontré. Mais le ton autoritaire d'Eden ne me laissa pas le temps de lui poser la question directement.
— Allons-y.
Il posa sa main dans mon dos et me guida jusqu'à la baie vitrée que nous avions emprunté pour entrer. J'eus tout juste le temps de voir Rose glisser quelque chose à l'oreille de son mari qui pinça les lèvres en nous regardant nous éloigner, avant que Judy ne se mette derrière moi. Elle m'adressa un petit sourire encourageant.
— Ne fais pas attention à Christian, me dit-elle tout bas quand nous émergeâmes sur la terrasse.
— Il est tellement...mystérieux et énigmatique, dis-je en suivant péniblement le rythme imposé par Eden.
Judy pencha la tête sur le côté.
— Oui, c'est une très bonne description. C'est tout à fait lui.
Je me tournais vers Eden.
— Je me rends compte que je ne sais pas comment il est devenu Waldren.
Eden paru surpris.
— Il ne te l'a pas dit ?
Je fronçais les sourcils et m'arrêtais en plein milieu de la petite colline surplombant le lac que nous étions en train de descendre.
— Pourquoi me l'aurait-il dit ?
Eden se tourna vers moi et jeta un regard à sa soeur qui haussa les épaules, tout aussi surprise.
— Je pensais qu'il lui aurait dit quand il lui a parlé de l'origine des Waldrens, dit-elle.
La lune pleine brillait au dessus du lac et me permettait de distinguer les traits d'Eden dans la pénombre. Il semblait hésiter à me dire ce que je cherchais à savoir.
— Vous allez enfin me dire ce que Christian était censé me révéler sur lui ? demandais-je, perdant patience et les regardant tour à tour.
Judy écarquilla légèrement ses grands yeux noisettes.
— Tu ne t'en doutes pas ?
— Me douter de quoi ? Eden ?
Je me tournais vers lui, espérant qu'il arrêterait ce petit jeu de questions réponses et qu'il me dirait clairement ce qu'il en était. Après un bref regard à sa soeur, Eden posa ses prunelles vertes sur moi
— Il t'a parlé de l'homme qui avait trouvé le moyen de vaincre les premiers Waldrens ?
— Oui. Il m'a dit que c'était cet homme qui avait mené le combat final contre les créatures avant qu'elles ne prennent la décision de se sacrifier, déclenchant ainsi la malédiction, répondis-je machinalement.
Eden pinça les lèvres, sans me quitter des yeux et je pris alors conscience de la vérité qui m'explosa en plein visage.
— Oh, soufflais-je le souffle court. Tu veux dire que...
Eden me sonda, une expression indéchiffrable sur le visage.
— Cet homme, c'était Christian.

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Anmore CoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant