Chapitre 19

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Le lendemain matin, ma mère m'attendit pour partir. J'avais réussi à la convaincre de me déposer au travail et avais averti Eden que ce n'était pas utile qu'il vienne me chercher. Il m'avait seulement répondu qu'il comprenait.
    Malgré les protestations de ma mère, qui se demandait pourquoi je n'acceptais pas la proposition d'Eden, elle avait fini par abdiquer.
    Ce n'était pas que je ne voulais pas le voir, bien au contraire, même. Mais je n'avais pas envie de le déranger, même si l'idée venait de lui. De plus, j'étais encore chamboulée par ce qui s'était passé la veille, dans sa voiture. J'avais eu beaucoup de mal à m'endormir en repensant à la multitude de sensations qui m'avaient envahies au contact et à la proximité troublante d'Eden.
    Bien entendu, je ne pouvais pas expliquer tout cela à ma mère. Elle m'aurait obligé à rappeler Eden pour lui demander de venir me prendre sur le champ.
    Ma mère s'arrêta sur le parking de la librairie, juste à côté de ma voiture, qui n'avait pas bougé, avant de se tourner vers moi pour me prendre dans ses bras.
    — Merci encore d'être venue, maman.
    — Avec plaisir ma chérie, me dit-elle en me caressant doucement les cheveux. J'ai tellement hâte de te revoir, déjà !
    Je ris doucement avant de m'écarter d'elle et de fouiller dans mon sac.
    — Tiens, j'ai oublié de te le donner hier, dis-je en lui tendant le petit paquet contenant les bijoux que je lui avais acheté.
    — Il ne fallait pas ! S'exclama-t-elle, des étoiles dans les yeux.
    Je ris en la voyant déballer le papier cadeau.
    — Oh ! C'est magnifique ! Merci ma chérie, tu es trop mignonne.
    Elle m'embrassa sur la joue tout en me serrant contre elle.
    — Je suis contente si ça te plaît.
    — Beaucoup !
    Je me dégageais doucement de son étreinte.
    — Il faut que j'y aille, sinon je vais être en retard, dis-je en ouvrant la portière.
    — Oh et mon invitation pour Judy et Eden tient toujours, me lança ma mère tandis que je sortais de la voiture.
    — Evidemment, murmurais-je.
    — Je suis persuadée qu'il serait encore plus beau en costume, tu ne crois pas ?
    La question de ma mère et l'image d'Eden sur son trente-et-un me firent rougir. Elle le remarqua et se mit à rire.
    — Je dis ça, je dis rien.
    Je secouais la tête.
    — C'est ça. Sois prudente sur la route, lui dis-je en me penchant vers elle pour l'embrasser sur la joue, une dernière fois. Et écris-moi quand tu es bien arrivée.
    — Bien sûr.
    Elle attacha sa ceinture avant de me jeter un dernier petit regard malicieux.
    — Fais moi confiance, Wendy. Eden sera là à mon mariage !
    Avant que je n'ai pu riposter, elle me lança un baiser avec sa main et se mit en route.
    Je restais un instant bête sur le parking, à la regarder s'éloigner. Je ne savais pas si je devais me réjouir ou craindre que sa certitude ne devienne réalité.

    Judy fut dans tous ses états en apprenant qu'elle avait raté ma mère de peu.
    — Ce n'est pas juste ! Se plaignit-elle avec un air de petite fille qui me fit sourire. Depuis le temps que je veux la rencontrer, elle vient quand je ne suis pas là !
    — C'est vraiment pas de chance, en effet, dis-je d'un ton compatissant malgré mon sourire. Surtout que c'est elle qui m'a amené ce matin.
    Elle me jeta un regard noir et je me retins de rire.
    — Ne remue pas le couteau, s'il te plaît.
    Je mis une main devant ma bouche.
    — Pardon.
    — J'imagine que ça t'a fait plaisir de la voir, me dit-elle retrouvant son ton doux.
    — Oui, beaucoup. Elle m'avait manqué et pouvoir la voir et passer du temps avec elle m'a fait du bien. Surtout après notre dernière conversation.
    Elle se redressa sur son fauteuil et m'écouta attentivement lui raconter mon échange avec ma mère.
    — Tu as eu l'occasion de lui dire ce que tu avais sur le coeur, c'est très bien, me dit-elle en me pressant la main.
    Je ne pus retenir un sourire et mes mots s'échappèrent de ma bouche avant que je n'ai eu le temps de les retenir.
    — Tu dis exactement la même chose que ton frère.
    En la voyant froncer les sourcils et marquer un mouvement de recul, je me mordis la lèvre. J'aurais peut-être mieux fait de me taire.
    — Attends, à quel moment mon frère à eu vent de cette histoire ? Demanda-t-elle, sans comprendre.
    Je détournais le regard et fis mine de ranger les papiers sur le bureau.
    — Eh bien, disons qu'il était là quand je suis sortie du travail avec ma mère, répondis-je, craignant la réaction de Judy.
    Elle poussa une exclamation indignée.
    — Tu veux dire qu'Eden a rencontré ta mère avant moi ?!
    Je sursautais. Elle venait de se lever d'un bond, et son fauteuil roula avant de heurter le mur. Je pensais qu'elle allait se demander pourquoi il était venu à ma sortie de travail, ce qu'il voulait et pourquoi j'en étais venue à lui parler de ma mère. Au lieu de cela, elle semblait réellement outrée par le fait qu'il ait eu l'occasion de voir ma mère avant elle. Comme s'il s'agissait d'une personnalité publique.
    — Je n'arrive pas à le croire !
    — Judy, calme-toi, enfin. Ce n'est pas si grave.
    Elle se tourna vivement vers moi.
    — Pas si grave ? Mais c'est scandaleux, tu veux dire ! C'est moi ton amie ! Et c'est moi qui voulait absolument voir ta mère. Tu as dit qu'on s'entendrait bien !
    J'ouvris de grands yeux, essayant de contenir le rire que je sentais monter au fond de ma gorge devant l'attitude de Judy.
    — Et c'est le cas ! La rassurais-je. Même elle désirait vraiment te voir et était déçue de ne pas en avoir l'occasion.
    Elle sembla se radoucir et posa ses mains jointes contre sa poitrine.
    — C'est vrai ?
    Je hochais vigoureusement la tête. Elle eut un petit sourire avant de retrouver sa mine boudeuse.
    — N'empêche ! Pourquoi il faut toujours que les bonnes choses arrivent à Eden ? Se lamenta-t-elle.
    Je pouffais doucement mais Judy m'entendit et me fusilla du regard en pinçant les lèvres.
    — Ce n'est pas drôle, Wendy !
    — Désolée, tentais-je de m'excuser en retenant un autre rire.
    Je me levais et vins vers elle.
    — Mais si ça peut te consoler, ma mère a manifesté le vif désir de t'inviter à son mariage.
    Le visage de Judy s'illumina soudain et avant que je ne m'en rende compte, elle me prit dans ses bras et me souleva de terre en me faisant tournoyer. J'en eus le souffle coupé et les bras littéralement broyés.
    — J'y crois pas !! S'exclama-t-elle dans mon oreille avant de cesser de tourner.
    — Je t'assure que ça ne vaut pas la peine de me vriller le tympan et de me broyer en deux.
    Judy me reposa par terre et s'écarta de moi, comme si elle venait de faire une bêtise.
    — Pardon, je t'ai fait mal ? Me demanda-t-elle avec empressement.
    — Ça va, mais j'ignorais que tu avais une telle force, plaisantais-je en me massant le bras gauche.
    Elle eut un petit rire gêné.
    — Je me suis laissée emporter par ma joie.
    — J'ai vu ça, oui, riais-je.
    Elle se rassit sur son siège et je fis de même.
    — Je n'arrive pas à croire que ta mère m'ait invité spontanément à son mariage. Elle ne me connait même pas !
    — Elle te connait par rapport à ce que je lui ai dis sur toi. Et comme tu es mon amie la plus proche...
    Judy me sourit tendrement, visiblement touchée.
    — Tu es aussi mon amie la plus proche, Wendy, et je t'aime énormément, me dit-elle.
    Je lâchais un petit rire, gênée par sa déclaration soudaine.
    — Tu m'aimes tellement que tu as bien failli me briser les os.
    Un éclat de panique sembla se dessiner sur ses traits tandis que je faisais des petits mouvements du bras gauche pour détendre mon muscle douloureux.
    — Je t'ai vraiment fait mal, c'est vrai ?
    — C'est juste mon biceps qui est un peu douloureux, mais ce n'est rien, la rassurais-je devant son air désolé.
    Elle semblait catastrophé.
    — Ce n'était pas censé arriver, murmura-t-elle en fronçant les sourcils, plus pour elle-même.
    J'aurais dû me douter que sa culpabilité serait excessive. Judy était excessive en tout, ce n'était plus un mystère.
    — Je t'assure que ça va. Ne te fustiges pas. Je m'en remettrais. Je suis seulement étonnée par ta puissance. Tu es des bras en acier, ma parole !
    J'espérais que ma tentative d'humour allait la détendre mais elle ne m'adressa qu'un faible sourire.
    — Soit c'est moi qui suis en sucre, poursuivis-je, soit tu possèdes une force herculéenne que je ne soupçonnais pas.
    Judy finit par émettre un petit rire tout en me tirant la langue.
    — Tu fais du sport intensif, ou quoi ?
    — On peut dire ça...
    Elle détourna le regard alors que la porte de l'entrée s'ouvrit, faisant tinter la petite clochette. Je vis alors Liam s'avancer vers nous, les yeux rivés sur moi, un petit sourire aux lèvres.
    — J'ai oublié que je devais rapporter des documents importants à Christian, dit Judy en se levant rapidement. Je reviens d'ici une petite heure. Ça ira ?
    — Bien sûr.
    — On se voit plus tard, alors, me dit-elle avant de filer par derrière.
    Je n'eus pas le temps de lui répondre que Liam se tenait déjà appuyé contre le comptoir. Il semblait ravi de me voir, et encore plus maintenant que Judy venait de partir.
    — Salut, Wendy, me lança-t-il chaleureusement.
    — Comment tu vas, Liam ?
    Je m'étais levée de mon siège et lui rendais son sourire contagieux.
    — Ça va pas mal, et toi ? J'ai entendu dire que ta mère était venue te voir ?
    Je fus un instant surprise qu'il soit déjà au courant de cela, avant de me rappeler que mon oncle et Ben étaient amis.
    — Neil en a parlé à ton père qui s'est empressé de t'en parler, je me trompe ?
    — Comment tu le sais ? Rigola-t-il, faisant mine d'être épaté par ma déduction.
    Je mêlais mes rires aux siens. J'étais vraiment contente de le revoir. Il fallait dire que la dernière fois que nous nous étions vus, nous avions eu une conversation en demie-teinte à propos d'Eden et je redoutais que notre relation amicale n'en soit perturbée. Je fus soulagée de constater que ce n'était pas le cas. Pour autant, je n'oubliais pas qu'il avait des choses à me dire et je me demandais, l'espace d'un instant, s'il était venu pour me les dévoiler.
    — Il a, bien sûr, déploré de ne pas l'avoir vu, rajouta-t-il. Mais il m'a dit que si elle était comme dans ses souvenirs, elle était, et je le cite « aussi charmante que sa fille ».
    Je ris en l'entendant prendre le même ton que son père.
    — Je soupçonne ton père de trouver la moitié des gens charmants, fis-je amusée. Il n'a que du bon en lui, ça se voit. J'ai beaucoup de mal à l'imaginer avoir des ennemis. Je crois que même ce mot ne fait pas parti de son vocabulaire.
    Les yeux de Liam s'assombrirent légèrement et je me demandais si j'avais dit une bêtise.
    — Mon père est peut-être toujours aimable avec tout le monde, il sait toutefois qui sont ses amis et ceux qui ne le sont pas.
    Son ton, soudain dur, me prit au dépourvu et j'eus peur de l'avoir froissé.
    — Bien sûr, c'est évident, dis-je avec empressement. Je ne voulais pas dire que ton père était naïf, loin de là !
    Il leva ses paumes et je me détendis en le voyant retrouver son sourire.
    — Je sais, ne t'en fais pas. Je préfère seulement le préciser, parce que certains semblent le croire.
    Je me demandais ce qu'il voulait dire par là et si Ben avait déjà eu des problèmes avec une personne en particulier.
    Je récupérais le cutter sur le bureau et le glissais dans la poche arrière de mon pantalon avant de prendre le carton de livre d'arrivage qui se trouvait par terre. Je sentis une douleur au niveau de mon épaule gauche, celle qui m'avait fait un peu mal après l'étreinte énergique de Judy, mais n'en fis pas cas.
    — En tout cas, pour en revenir à ta mère, j'imagine que tu as du être contente de la voir, me dit Liam en me suivant dans les rayons.
    — Oui, beaucoup.
    Je m'arrêtais dans une allée et posais le carton à mes pieds.
    — Il parait qu'un mariage se prépare ?
    — Ma parole, tu es de la police ou quoi ?
    Liam se mit à rire.
    — J'ai peut-être un pouvoir spécial, qui sait.
    — Ou des espions, cachés aux quatre coins de la ville, m'esclaffais-je.
    — Malheureusement, je suis dans l'obligation de te détromper. Même si l'idée d'avoir des espions était tentante, rit-il. Mais c'est seulement Neil qui en a parlé à mon père.
    — Je m'en serais doutée. Comment l'aurais-tu su, sinon ?
    — Tu sais, c'est une petite ville. Tout finit par se savoir, un jour où l'autre.
    — On ne peut donc pas avoir de secrets ? Mince ! Moi qui voulais éviter qu'on apprenne que j'étais, en réalité, une méchante sorcière. C'est râpé, dis-je en feignant la déception.
    — Tu aurais pu trouver un secret un peu moins évident. Avec tes cheveux, c'est beaucoup trop crédible pour être étonnant, gloussa-t-il.
    Je levais les yeux au ciel en souriant.
    — Mais pour répondre à ta question, les personnes qui ont des secrets, ici, ne sont pas amené à les garder longtemps, reprit-il d'un ton plus sérieux, presque énigmatique.
    Je lui jetais un bref coup d'oeil, tout en mettant de l'ordre dans les rayons.
    — Tu as l'air de parler d'une personne, en particulier, fis-je remarquer.
    Il se racla la gorge tout en glissant ses mains dans ses poches. Il me parut soudain mal à l'aise.
    — Wendy, tu te souviens la discussion que nous avons eu, la dernière fois que je suis venu ?
    Difficile de l'oublier. La mise en garde qu'il m'avait faite ce jour-là résonnait toujours dans mon esprit.
    — Un peu, oui.
    — Tu te souviens que tu as évoqué... le frère de Judy.
    Il semblait éviter intentionnellement de prononcer son prénom.
    — Eden, oui, précisais-je en observant sa réaction.
    Je le vis se raidir et serrer les dents. Il était temps d'arrêter de tourner autour du pot. S'il avait quelque chose à me dire sur Eden, j'étais prête à l'entendre.
    — Je me souviens que tu t'apprêtais à me dire quelque chose à son sujet, dis-je en récupérant le cutter pour ouvrir le carton devant moi.
    Il hocha gravement la tête mais garda le silence. Je lui fis face et le regardais dans les yeux.
    — Je t'écoute.
    Il sembla hésiter, comme s'il ne savait pas par où commencer son explication.
    — Si je veux que tu comprennes, il faut que je te raconte toute l'histoire.
    Je fronçais les sourcils mais le laissais parler.
    — Lina, ma soeur, est plus ou moins tombée amoureuse de lui, lâcha-t-il en grimaçant, comme si cette idée le répugnait.
    Il me jeta un petit regard, attendant que je réagisse à cette annonce. Je ne trouvais pourtant rien de trop étonnant à cela. Après tout, c'était probablement le plus bel homme sur cette terre. Et je n'exagérais pas.
    — Plus ou moins ? Répétais-je pour le pousser à continuer.
    Il soupira en roulant des yeux.
    — Du genre raide dingue, en réalité.
    Cet aveu semblait difficile à énoncer, mais il poursuivit.
    — Un jour que ma soeur rentrait de chez une amie, tard le soir, elle s'est fait interpeller par des gars bourrés. Ils se tenaient sur le parking de la place, caché sous les arbres. Elle ne les avait pas vu, mais eux l'avaient remarqué. Ils se sont mis à la draguer, mais pas de manière très correcte, tu t'en doutes. Ils étaient insistants et avaient de mauvaises intentions. Ils ont encerclés ma soeur, pour l'empêcher de poursuivre sa route. Au même moment, Eden (je le vis esquisser une grimace) est arrivé et est intervenu, repoussant les gars. C'est parce qu'il la défendu que ma soeur est tombée amoureuse de lui.
    Il marqua une courte pause. Je me doutais que l'histoire ne s'arrêtait pas là, étant donné que cette partie montrait davantage Eden comme un preux chevalier, venant au secours des jeunes filles en détresse. Il était évident que ce n'était pas du tout le but de Liam de me le dépeindre de cette façon, bien au contraire. S'il me parlait, c'était pour me mettre en garde contre Eden.
    Je redoutais soudain d'entendre la suite de son récit.
    — Après ça, reprit-il, elle a passé la majeure partie de son temps à aller à la librairie. Elle espérait voir Eden pour le remercier de ce qu'il avait fait. Mais il n'était jamais là. Ce n'est que dix jours après cet incident qu'elle l'a revu.
    Il serra les poings et je sentis mon pouls s'accélérer.
    — Elle est restée jusqu'à la fermeture et a attendu qu'il sorte pour aller lui parler. Mais il n'était pas tout seul. Ma soeur s'est cachée derrière le mur et elle a compris qu'il était en train de se disputer violemment avec une autre personne. Elle aurait pu partir et les laisser régler ça, mais non, il a fallu qu'elle s'en mêle.
    Il serra plus fort le poing et je vis ses phalanges blanchirent sous l'effort.
    — Elle s'est jeté sur eux et le coup est parti.
    Je me figeais d'horreur et sentis une sueur froide couler le long de ma colonne vertébrale.
    — Le coup de poing était d'une telle violence que ma soeur a perdu connaissance. Quand elle s'est réveillée, elle était allongée par terre. Elle ne se souvenait plus de ce qui s'était passé, mais elle avait horriblement mal et a commencé à paniquer. Elle a senti des mains fermes la maintenir, l'empêchant de bouger alors qu'elle essayait de se débattre.
    Mon corps fut parcouru d'un frisson alors que je craignais que Liam ne poursuive son récit.
    — Elle a tenté de crier pour qu'on vienne l'aider mais là encore, on l'en a empêché fermement.
    Le regard d'acier de Liam me glaça les sangs.
    — Elle a eu beaucoup de mal à se souvenir de tout ça, dit la voix de Liam qui me paraissait soudain lointaine. La seule chose qu'elle se rappelait parfaitement, c'était la douleur qu'elle avait ressenti dans tout son corps. Je me souviendrais toujours de ce qu'elle m'a dit en me la décrivant.
    Il releva ses yeux vers moi et me regarda intensément.
    — Elle a eu l'impression qu'on essayait de lui dissocier son âme de son corps, comme si on voulait la lui arracher.
    Ma tête se mit alors à tourner dangereusement et je ne pouvais plus lutter contre les tremblements qui agitaient mon propre corps.    
    — Elle se souvenait aussi des seuls mots qu'on lui a murmuré à l'oreille.
    Par un miracle que je n'expliquais pas, ma langue se délia et je réussis à m'exprimer, malgré mon ventre noué.
    — Quels mots ?
    Ma voix s'était mise à trembler mais Liam ne sembla pas s'en apercevoir.
    — « Ce sera bientôt fini. »
    Je le dévisageais, le coeur au bord des lèvres. J'avais la sensation que je me vidais progressivement de toute énergie, au fur et à mesure que j'entendais l'histoire de Liam.
    Ce n'était pas possible. Il ne pouvais pas s'agir d'Eden.
    Je ne cessais de me répéter ces phrases dans mon cerveau pour me convaincre que ce que Liam me disait était faux. Mais plus il poursuivait son récit, plus mon cerveau me renvoyait l'image d'un Eden tel que Liam voulait me le montrer.
    Mon ventre se contracta et j'eus soudain envie de vomir. Je forçais mon cerveau à réagir et à empêcher mon ventre de se vider sur la moquette.
    — Après ça, elle s'est de nouveau évanouie, enchaîna Liam dans un souffle. Je l'ai retrouvé sur le canapé, inconsciente, les vêtements déchirés et tâchés de sang. Elle avait de profondes entailles sur le poignet et la poitrine. Je l'ai amené à l'hôpital, avec mon père, et elle s'est fait examinée par un médecin. Malgré le choc qu'elle avait eu à la tête et les plaies sur son corps, elle n'avait pas été...abusée. Elle a dû rester quelques jours à l'hôpital, en observation.
    Je fixais toujours Liam, la bouche sèche, incapable de prononcer le moindre mot.
    — Pendant des jours et des jours j'ai essayé de la faire parler, continua-t-il en serrant les dents pour contenir sa colère. Petit à petit, des éléments commençaient à lui revenir et c'est comme ça que j'ai pu refaire le fil de ce que je viens de te raconter. C'est aussi comme ça que j'ai compris qu'il était responsable de ce que Lina avait subi.
    Il avait sorti cette dernière phrase avec une sorte de dégoût flagrant envers Eden. Moi, je tâchais toujours de contrôler mon état qui s'aggravait de minutes en minutes.
    J'avais beau m'efforcer de prendre du recul sur ce que Liam était en train de me raconter au sujet d'Eden, je n'arrivais pas à convaincre mon cerveau de coopérer.
    — Quand elle a évoqué son nom, la fureur m'a pris et j'étais à deux doigts d'aller lui régler son compte. Mais Lina m'en a empêché. Elle m'a supplié de ne rien faire et de ne pas intervenir, prétextant qu'elle ne savait pas vraiment s'il était bien question de lui. Mais je savais qu'elle n'avait dit ça que pour le protéger. Pourtant, pour le bon rétablissement de ma soeur, je lui ai promis de ne pas l'approcher et de ne pas tenter de m'en prendre à lui.
    Liam me regarda dans les yeux et je fus glacée d'effroi, tandis que je tâchais désespérément de contrôler mes tremblements et mon envie de vomir.
    — Tu n'imagines pas comme tenir ma promesse a été difficile et l'est encore. A chaque fois que je le vois, je revois le corps mutilé et inconscient de ma soeur sur le canapé et je n'ai qu'une envie, c'est lui faire payer pour ce qu'il a osé lui faire.
    Mes oreilles s'étaient mises à bourdonner et j'avais la sensation que tout tournait autour de moi.
    — Tu sais, maintenant, quel genre de personne il est réellement, soupira-t-il enfin. Sous ses airs de beau gosse, c'est un dangereux psychopathe et j'espère que tu feras attention à toi.
    Il ouvrit de grands yeux inquiets et je crus le voir faire un pas vers moi. Je ne pouvais pas en être complètement certaine, car je le voyais déformé.
    — Wendy, qu'est-ce qui t'arrive ? Ça va ?
    La voix de Liam me paraissait terriblement loin à présent et avant que je n'ai pu me ressaisir, un voile noir brouilla ma vision et je me sentis partir.

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