Chapitre 27

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J'étais pétrifiée. Je regardais avec effroi mon patron, qui se tenait sur le seuil du local et m'observait attentivement.
Ce que je redoutais depuis le début était enfin arrivé.
On m'avait prise la main dans le sac à fouiller dans des choses qui ne me regardaient pas.
En me voyant avec, entre les mains, un des livres qu'il avait tenté de protéger, nul doute qu'il avait compris que j'étais entrée dans son bureau et que j'avais trouvé son coffre où il gardait la clé. De plus, l'expression de mon visage devait probablement lui indiquer mon méfait. Pourtant, je fus surprise qu'il ne me fasse pas de reproches.
Son expression ne semblait pas réprobatrice, comme je m'y étais attendue, même s'il avait toutes les raisons de m'en vouloir. Après tout, ce que j'avais fait était grave et très mal. Mais je ne vis aucune trace de colère.
Au lieu de cela, il semblait profondément attristé. La culpabilité m'envahit toute entière et je sentis mon visage virer au rouge cramoisi.
— Je suis...
Christian leva la main pour m'arrêter.
— Ne t'excuse pas, Wendy, me dit-il calmement. Je comprends ce qui t'a poussé à agir ainsi et je ne t'en veux pas.
Je restais coite devant ces paroles. Il soupira en glissant sa main dans la poche de son pantalon.
— Je sais qu'Eden t'a parlé et t'a dit certaines choses.
Je ne réagis pas, continuant de le fixer avec de grands yeux coupables. Je ne pouvais pas lui dire que j'avais décidé d'aller à la pêche aux informations toute seule, de manière totalement autonome. Peut-être pensait-il que c'était Eden qui m'avait donné l'autorisation de consulter ces ouvrages pour avoir les réponses à mes questions.
— J'aurais dû me douter qu'il irait au bout de ses intentions, poursuivit-il en secouant la tête. Je savais très bien que mes mises en garde ne servaient à rien. Quand Eden a une idée en tête, c'est plutôt difficile de la lui enlever.
Il m'adressa un petit sourire qui ne se prêtait pas du tout à la situation gênante dans laquelle je me trouvais. Il tentait visiblement de me mettre à l'aise mais c'était purement impossible. Pas après tout ce que je venais d'apprendre. Pas après avoir été prise en flagrant délit.
— J'aurais, malgré tout, préféré qu'il m'écoute cette fois. Pour le bien de tous. Et surtout pour le tien.
Ses prunelles me regardaient avec intensité et je me sentis tressaillir.
Je ne savais pas si c'était parce que je venais de prendre conscience que je me retrouvais seule avec un homme surpuissant, ou simplement parce qu'il venait d'énoncer clairement que j'étais désormais en danger. Peut-être bien que c'était les deux à la fois.
— Quand Judy m'a dit ce qu'elle avait fait pour que tu puisses avoir accès à la bibliothèque, je ne l'ai pas cru tout de suite.
Je fronçais les sourcils.
— Comment... ?
— Oui, c'est elle qui t'a laissé des indices pour que tu puisses lire ces livres. Visiblement, elle aussi désirait que tu sois mise au courant de notre secret. J'ai cru, au départ, qu'elle couvrait Eden et que c'était lui qui avait eu l'idée de t'ouvrir la bibliothèque. Mais ensuite, je me suis dit que ce n'était pas la façon de faire d'Eden.
Je restais bouche bée par ce que je venais d'apprendre. C'était donc Judy qui avait laissé tous ces indices pour que je puisse avoir accès à leur lourd secret.
— D'après elle, tu étais en droit de savoir, dit-il en réponse à mes questionnements silencieux. J'ignore encore si elle a eu raison, mais c'est fait, de toute façon. Tu sais, à présent, qui nous sommes.
Je réussis à dénouer ma langue après avoir déglutis péniblement pour faire descendre la boule qui s'était formée au fond de ma gorge.
— Vous êtes des Waldrens, soufflais-je.
Christian hocha gravement la tête.
— Mais en réalité, nous le sommes tous. Tous les humains sont, d'une façon ou d'une autre, des Waldrens. Ils ont tous cette part sombre en eux.
Je repensais aux phrases que j'avais lu à ce sujet dans l'un des livres. Les Waldrens étaient la représentation de notre partie la plus sombre. Pour autant, ce n'était pas tout le monde qui était capable de se déplacer à une vitesse faramineuse.
— Chacun de nous possède une part de noirceur, poursuivit Christian. Chez certains, elle est seulement plus présente que chez d'autres.
— Est-ce cela qui détermine si l'on est un Waldren ou pas ? demandais-je fébrilement.
— Pas tout à fait.
Il marqua une pause et s'approcha de quelques pas avant de s'arrêter à une distance raisonnable de là où je me trouvais. Visiblement, il ne voulait pas m'effrayer en s'approchant davantage de moi, ce qui, je devais bien l'admettre, me rassura. Non pas que j'étais apeurée de me retrouver seule avec lui, mais je ne pouvais pas m'empêcher de ressentir une petite appréhension, malgré tout.
— Laisse moi te raconter l'histoire des Waldrens. Du plus loin que l'Homme ait existé, le Waldren a toujours existé. Il était tapi au fond des tout premiers êtres humains. Il ne s'est véritablement réveillé que quand un des humains a décidé
d'écouter sa voix. Dans la mesure où l'humain a pris conscience de cette part de lui, le Waldren a pu prendre possession de l'homme qui l'abritait. Ainsi, l'humain est devenu créature.
Je sentis un frisson me parcourir le corps, tandis que j'écoutais avec une grande attention le récit de Christian.
— Le Waldren est un être immortel et extrêmement puissant, reprit-il. La première
fois qu'il a vécu indépendamment d'un humain, il a passé son temps à exploiter ses pouvoirs. Mais il ne pouvait pas se montrer aux autres humains, sous peine de se faire traquer. Après tout, c'était une bête immense et effrayante. Il a donc compris que, s'il voulait avoir une chance de survivre, il devait se débarrasser des humains qui
représentaient une menace.
» Pendant des années, il a chassé ceux qui s'en prenaient à lui. Mais, outre le fait de les éliminer, il a aussi pris le temps d'observer leur manière de vivre. Il a ainsi appris que l'Homme aimait s'entourer d'autres semblables, était capable d'éprouver des émotions fortes pour eux et qu'il ne pouvait même pas vivre sans côtoyer d'autres
personnes de son espèce. Il a vu les hommes tomber amoureux des femmes, et, pour la première fois, le premier Waldren a ressenti un vide immense. C'est à ce moment-là qu'il a décidé de cherché d'autres Waldrens. Il se disait que s'il avait réussi à prendre le plein contrôle de l'humain dans lequel il était, d'autres avaient
probablement réussi à faire de même.
» Il s'est donc mis en quête de trouver des semblables. Dans sa recherche, il s'est rendu compte que la voix des Waldren étaient plus ou moins forte en fonction de l'humain qui l'habitait. Ainsi, plus l'humain était mauvais et écoutait ses sombres désirs, plus la voix du Waldren qui sommeillait en lui était plus forte et donc beaucoup plus susceptible de prendre le plein contrôle. Il a donc attendu que le Waldren se révèle avant de l'aborder. C'est ainsi qu'il a accueilli le premier membre de son clan. A mesure qu'il arpentait le territoire des humains, il finissait par trouver des Waldrens qui s'étaient réveillés. Au bout de quelques années, il avait réussi à former sa propre famille, qui était bien plus nombreuse que ce qu'il avait espéré au
départ.
Christian s'arrêta et observa les livres qui étaient exposés, comme si c'étaient eux qui lui soufflait le récit des Waldrens. Je ne pouvais m'empêcher d'être subjuguée, même si ce que j'apprenais avait de quoi me faire froid dans le dos.
Quand il reprit, sa voix semblait lointaine.
— Mais ce qui devait arriver, arriva. Les humains, voyant certains membres de leur famille devenir des créatures puissantes, cherchèrent à se venger des Waldrens afin de récupérer ceux qu'ils avaient perdus. Mais c'était un combat perdu d'avance. Les Waldrens étaient beaucoup plus forts et les humains tombèrent rapidement.
» Les créatures décidèrent donc de débarrasser définitivement les humains de la surface de la terre, car ils avaient fini par comprendre qu'il ne pouvait subsister qu'une seule espèce. Mais pour cela, ils avaient besoin d'une armée. Leur nombre
était, certes, considérable, mais il ne permettait pas de couvrir toute la terre. Ils entreprirent alors de transformer les humains qui n'avaient pas succombé à la voix de leur Waldren. Autrement dit, les humains plus purs.
» Ils en capturèrent une poignée, bien décidé à réveiller la voix qu'ils avaient au fond d'eux. Malheureusement, ils n'y parvinrent pas de suite. Leur pouvoir de persuasion ne fonctionnait pas et le Waldren semblait presque inexistant chez certains humains. Il n'était donc pas possible de réveiller leur Waldren. Ils cherchèrent donc
un autre moyen, beaucoup plus...brutal.
Christian me jeta un coup d'oeil, sûrement pour guetter ma réaction ou bien pour vérifier que j'avais bien compris ce qu'il sous-entendait. Mon regard dû le lui faire comprendre car je le vis hocher légèrement la tête.
Oui, j'avais compris quel moyen brutal ces créatures avaient dû employer pour transformer les humains en l'un des leurs. Je me rappelais très bien la caricature que j'avais vu dans l'un des ouvrages.
Christian reprit plus lentement.
— Pourtant, malgré les nombreuses tentatives des Waldrens, l'humain finissait toujours par mourir avant qu'ils aient pu révéler le Waldren. Mais ils ne baissèrent pas les bras et continuèrent à capturer des humains pour mener à bien leur plan. Tu ne seras pas étonnée de savoir que leur expérience ont fait énormément de victimes.
Il baissa la tête, honteux. Je pouvais percevoir le regret dans sa voix, comme s'il avait lui-même participé à cette barbarie.
— Cinquante ans plus tard, poursuivit-il, ils réussirent enfin à transformer le premier humain en Waldren. Leur fierté fut si grande, qu'ils étaient confiants dans leur projet fou de conquérir la terre. Ils entamèrent une campagne de transformations massives pour grossir leur rang. Toutefois, si certaines transformations
fonctionnaient, d'autres n'arrivaient pas au bout et, encore une fois, de nombreux humains furent sacrifiés pendant leur tentative.
» Plus les années passaient, plus ils parvenaient à faire baisser considérablement le nombre d'humains sur la planète. Mais ils ignoraient que les Hommes avaient également lancé des recherches contre eux. Si les Waldrens cherchaient le moyen de transformer les humains en l'un des leurs, les humains, eux étaient bien décidés à trouver le moyen de tuer ces créatures, définitivement. Les Waldrens ne se doutaient
pas un seul instant que les Hommes étaient capables de les éliminer. Après tout, ils étaient bien trop puissants pour de simples mortels.
» Mais un jour, un homme parvint à trouver la solution tant attendue. Il compris quel était le seul moyen d'éliminer les Waldrens.
J'étais littéralement pendue aux lèvres de Christian, vivant avec lui le récit de ces créatures et désireuse d'entendre la suite.
— Les Waldrens comprirent que leur fin était inévitable quand ils virent la moitié de leur espèce s'éteindre petit à petit sous les assauts des Hommes. Ils tentèrent bien évidemment de riposter, mais c'était trop tard. Leurs capacités ne suffisaient pas à les protéger. Ils avaient eu trop confiance en eux-mêmes et avaient baissé leur garde, face à l'intelligence des humains.
» Finalement, seulement une poignée de Waldren réussi à s'en sortir. En l'an 1153, ils se retrouvèrent pris au piège par les humains. Menés par l'homme qui avait trouvé le moyen d'éliminer ces créatures, les humains étaient bien décidés à en finir une bonne fois pour toutes, afin de venger les être chers que ces bêtes leur avait pris.
» Comprenant qu'ils ne pourraient rien faire pour se défendre, les quelques Waldrens restants décidèrent d'effectuer un tout dernier sacrifice. Celui-ci serait le plus important de tous car il allait changer la vie des humains restants et à venir de manière considérable.
Je me raidis en reconnaissant les paroles du dernier livre que j'avais lu, celui où la fin avait été effacée volontairement.
— Les humains ignoraient qu'une part d'eux était la voix des Waldrens, reprit Christian, imperturbable. Ils n'avaient pas conscience qu'au fond d'eux, une créature semblable était en sommeil, attendant, pour certains, le bon moment pour se réveiller. Les Waldrens en avait pleinement conscience. Ils effectuèrent le rituel qu'ils avaient pour habitude de célébrer à chaque pleine lune. D'un même geste vif, ils s'arrachèrent tous le coeur.
Je frémis d'effroi en imaginant la scène atroce que Christian me décrivait.
— Leur cri résonnèrent dans les profondeurs de la nuit et les humains qui les tenaient en joue durent fournir de gros efforts pour ne pas s'enfuir en courant, horrifiés par ce qu'ils voyaient.
» Les Waldrens ne prêtèrent aucune attention à ce qui se passait autour d'eux. Ils se mirent à dire quelques mots, d'une même voix puissante, dans une langue qui était totalement étrangère aux Hommes. Puis, ils soufflèrent sur leur coeur et le tendirent vers la lune. Celle-ci finit par se teinter progressivement pour devenir entièrement
rouge sang. Un rouge magnifique, mais dévastateur.
Je revis soudain le tableau lugubre dans le bureau de Christian, celui qui dissimulait son coffre fort et un frisson me parcouru l'échine. Je comprenais mieux pourquoi le peintre avait choisi le rouge d'Andrinople. Il représentait parfaitement ce que Christian me décrivait. La beauté et le danger.
— Les humains contemplèrent ce phénomène avec un mélange de peur et d'admiration, même s'ils ne savaient pas du tout ce qui était en train de se produire, continua Christian en contemplant les livres dans la bibliothèque.
» De fines gouttes de pluie finirent par tomber du ciel, s'écrasant sur les humains. Quand le meneur de cette attaque s'essuya le visage, il découvrit que la pluie étaient en réalité du sang. Les hommes autour de lui se mirent à crier dans tous les sens et à vouloir fuir loin de ces créatures. Mais c'était trop tard. Leur sort était déjà scellé.
» Les Waldrens tombèrent en poussière et disparurent dans l'air, se mélangeant aux gouttes de sang. C'est alors que les humains présents commencèrent à se tordre de douleur. Les hurlements étaient atroces. L'homme qui était responsable de cette tuerie regardait, effaré, ses semblables se contorsionner dans l'herbe, hurlant à la mort. Certains finirent par s'évanouir. Il fut le dernier à être touché et finit par perdre connaissance sous ses propres hurlements.
Christian se tut et je l'observais en silence, épouvantée par ce que je venais d'entendre. Ses traits étaient tirés et ses lèvres pincées. Son regard était perdu quelque part dans la scène qu'il venait de me raconter.
Il cligna des yeux plusieurs fois avant de reprendre la parole.
— Quand ils se sont réveillés, ils ont de suite su qu'ils étaient différents. Le meneur de la troupe comprit alors ce qui leur était arrivé.
Il planta son regard dans le mien et je crus un instant que j'allais m'évanouir, moi aussi.
— Ils étaient tous devenus des Waldrens, lâcha-t-il d'une voix sourde qui déclencha mes tremblements. Bien qu'ils aient gardé leur apparence humaine, ils étaient désormais dotés des mêmes capacités que ces créatures. Les humains avaient voulu les éliminer définitivement, mais les Waldrens leur avait joué un tour machiavélique. Ils comprirent qu'ils étaient désormais condamnés à vivre avec une
partie Waldren en eux, pour le restant de leurs jours. Devenant ainsi la même créature qui les avait dégouté et qu'ils avaient cherché à éradiquer.
Un lourd silence tomba dans la pièce, seulement comblée par ma respiration haletante.
— C'est ainsi que les Waldrens ont commencé à vivre parmi les humains, conclut-il.
Je n'osais toujours pas bouger. Je tachais d'ingérer toute l'histoire que Christian venait de me relater, mais de toute évidence, il allait me falloir quelques jours avant de pouvoir m'en remettre complètement. Mais je ne devais pas montrer la peur qui me tenaillait les entrailles. Je ne devais pas céder à la panique. Pas encore.
J'avais encore de nombreuses questions qui fusaient dans mon cerveau et qui attendaient désespérément des réponses pour pouvoir accepter toute cette histoire.
Quelle était cette méthode qui permettait de se débarrasser définitivement des Waldrens ? Qui était cet homme qui avait trouvé cette solution et comment l'avait-il trouvé ? Qu'était-il devenu, lui et ses hommes ? En quoi consistait le rituel que les créatures avaient l'habitude de célébrer les jours de pleine lune ? Comment avaient-elles réussi à transformer les humains en créature ? La méthode de transformation était-elle toujours d'actualité ? Et qu'est-ce que c'était que cette histoire de gêne ? Qui pouvait dire qu'il avait le gêne des Waldrens en lui ?
Toutes ces interrogations me donnèrent instantanément le tournis et je dus me retenir au bureau qui se trouvait à côté de moi pour ne pas m'effondrer par terre.
Christian sembla remarquer mon trouble.
— Je sais que ça fait beaucoup d'informations à digérer d'un coup, me dit-il en lâchant un petit rire, que je trouvais presque indécent au vue de la gravité de tout ce qu'il venait de me raconter. Mais tu as voulu toi-même connaître notre secret. Désormais, c'est chose faite. Tu dois probablement avoir de nombreuses questions qui te viennent, mais ce n'est pas à moi d'y répondre. Je n'ai fait que te traduire ce que contenait ces livres et dont tu n'as certainement pas compris un traitre mot quand tu les as feuilleté.
Sa réplique aurait pu me faire rire si je n'étais pas autant nauséeuse. J'avais l'impression désagréable que mon coeur tambourinait dans mon estomac. Je sentis le sang quitter mon visage et j'eus soudain très peur de vomir sur les chaussures impeccable de mon patron. Je m'empressais de respirer par la bouche et tentais de me calmer.
Je repensais au tableau qui représentait la dernière bataille entre les Waldrens et les
humains. Je n'avais pas réussi à distinguer ce que ces formes, qui étaient en réalité les Waldrens, tenaient dans leur main. A présent, je le savais.
Il s'agissait de leur propre coeur, qui avait permis de transformer tous les humains qui se trouvaient autour d'eux en créature. Cela ne m'étonnait plus que Christian ait en sa possession cette représentation. Après tout, c'était ce jour-là que tout avait commencé. C'était ce jour-là que le sort des humains, son propre sort, avaient été scellé, comme il l'avait si bien dit.
Récupérant mes forces, je me redressais et regardais mon patron qui n'avait pas bougé d'un pouce. Il semblait attendre que je me remette de mes émotions, sans me brusquer.
J'avais l'impression qu'il espérait me voir m'enfuir à toutes jambes, en hurlant comme une démente avant de m'évanouir de peur. Peut-être était-ce la réaction la plus normale à adopter quand on venait d'entendre cette histoire. Mais il était hors de question que je réagisse de cette manière.
Je ne comptais pas me dérober. J'avais voulu savoir tout cela, malgré le danger. Je n'avais pas l'intention de le regretter.
Je me souvenais alors de ce qu'Eden m'avait dit. Christian n'avait pas voulu qu'il me révèle toute leur histoire. Pourtant, c'était exactement ce qu'il venait de faire, sans que je n'ai besoin de poser la moindre question.
— Pourquoi m'avoir raconté tout ça ? réussis-je à articuler.
Christian me fixa comme si je délirais.
— Je viens de te le dire, répondit-il sans comprendre.
— D'accord, vous avez seulement traduit les livres que j'avais feuilleté, dis-je pour lui montrer que j'avais écouté. Mais Eden m'a dit que vous ne teniez pas à ce qu'il me révèle votre secret. Alors, pourquoi m'avoir raconté tout ça ? Vous auriez pu attendre qu'Eden le fasse.
Son regard était doux malgré les traits de son visage qui étaient marqués par une certaine fatigue. Comme si le fait d'avoir raconté tout ça lui avait coûté et l'avait privé d'énergie.
— C'est vrai, je ne voulais pas qu'il t'en parle, affirma-t-il. Et je pense toujours que c'est une très mauvaise idée, non seulement pour nous, car aucun humain ne doit savoir ce que nous sommes réellement, mais surtout pour toi, Wendy.
Il ramassa le livre que j'avais fait tomber et le remis à sa place sur l'étagère avant de refermer la vitrine, scellant à jamais le secret qu'elle renfermait.
Il brandit alors la petite clé, semblant inoffensive, devant mes yeux.
— Je crois que tu n'imagines pas le danger auquel tu t'exposes en sachant toute cette histoire. Si je t'ai raconté cette légende, c'est uniquement pour que tu prennes conscience de la gravité de ce que nous sommes. Nous ne sommes pas des êtres bons, Wendy. Ce n'est qu'une façade. Au fond de nous se cache la plus terrible et la plus sanguinaire des créatures qui n'a jamais existé. Crois-tu réellement qu'il est bénéfique pour toi de côtoyer de manière aussi intime ce genre de bête maudite ?
De nouveau, je fus prise d'un vertige qui m'obligea à me maintenir au bureau.
Christian glissa la petite clé dans sa poche de pantalon, là où elle se devait d'être.
— Parce que c'est bien ce que nous sommes, continua-t-il d'une voix calme mais ferme. Nous sommes des êtres maudits. Nous ne pouvons pas nous défaire de la part de Waldren que nous portons en nous comme un fardeau. Nous devons nous confondre avec les humains en luttant constamment pour que nos pouvoirs ne se voient pas, pour que notre part d'ombre ne se dévoile pas au grand jour. Nous devons chaque jour nous contrôler pour ne pas faire la moindre erreur qui trahirait notre véritable nature. Même si tu le voulais, tu ne pourrais pas comprendre. Et tu ne le pourras jamais.
Je sentis une douleur lancinante me traverser le coeur. Etait-il en train de me dire que je n'avais aucun avenir avec Eden ? Que je n'étais pas capable d'être avec lui ?
Cette pensée me fit monter les larmes aux yeux.
— Je sais que tu penses être amoureuse d'Eden, reprit Christian. Mais ce n'est pas vraiment le cas, crois-moi. Tu es amoureuse parce qu'il t'a montré son côté humain et parce que notre physique est attirant pour votre espèce, une ironie, compte tenu du véritable aspect qui est tapi au fond de nous et que tu as probablement dû voir dans ces romans. Mais il est impossible, pour un humain, d'aimer sincèrement un être tel
que nous.
Ma respiration se fit plus saccadée tandis que les paroles de Christian s'inséraient au fond de moi.
— Je comprends que tu sois désappointée et que tu ne saches plus ce que tu dois faire, me dit-il en posant une main se voulant rassurante sur mon épaule. Mais le mieux que tu as à faire, Wendy, c'est de t'éloigner d'Eden définitivement et de ne plus jamais chercher à le voir. Il en va de ta vie.
Je relevais les yeux vers lui, le souffle coupé. Ses yeux me regardaient attentivement, cherchant à me convaincre. Tout en observant ses yeux anthracites, je ne pus m'empêcher de me dire que, peut-être, il avait raison, au fond.
Après tout, Eden était touché par la malédiction des Waldrens, sûrement depuis de longues années, puisque Christian m'avait dit que ces créatures étaient immortelles.
J'avais encore beaucoup de choses à apprendre et j'ignorais si j'allais réussir à les accepter. Oui, j'étais tombée amoureuse d'Eden. Mais se pourrait-il que Christian ait raison ?
Je m'étais laissée séduire par son apparence et ses bons côtés sans savoir si j'étais prête à supporter sa part d'ombre. Après tout, je m'étais peut-être emballée trop vite dans cette histoire. Eden était le premier homme à s'intéresser à moi et j'avais pu m'en trouver flattée en confondant ce sentiment avec de l'amour.
Pourtant, j'avais une réelle affection pour lui, je ne pouvais pas le nier. Je savais qu'elle était sincère et qu'elle ne dépendait pas de son physique ou de son pouvoir d'attraction mais véritablement de ce qu'il était quand il s'ouvrait, qu'il parlait librement, qu'il me questionnait sur ma vie et qu'il cherchait à me réconforter quand
je n'allais pas bien.
Mon coeur s'emballa en repensant à son visage et à ses yeux qui me dévisageaient souvent avec une lueur profonde. Il n'était pas humain et ne le serais plus jamais.
J'avais la sensation terrible que tous mes espoirs s'effondraient en un instant.
— Je sais que c'est dur pour toi, me dit-il d'une voix douce. Je ne doute pas que tu t'es attachée à Eden depuis ces quelques mois, et lui aussi, cela va sans dire. Mais vous feriez une énorme erreur si vous décidiez de poursuivre sur cette pente glissante.
Mes yeux fixaient la bibliothèque à présent close. Je sentis ma gorge me serrer et les larmes monter.
— Rentre chez toi, Wendy, finit par me dire Christian.
Je le regardais avec de grands yeux. J'avais pourtant de nombreuses questions qui me brûlaient les lèvres. Il m'avait, certes, raconté le commencement des Waldrens, mais j'ignorais encore tellement de choses. Je n'allais pas pouvoir faire un choix correct si je n'avais pas toutes les explications. Christian sembla voir mon hésitation.
— C'est le mieux que tu puisses faire, aujourd'hui. Tu as besoin de réfléchir à tout ce que tu viens d'apprendre. Et, par dessus tout, tu as besoin de faire un choix sur ce que tu souhaites faire.
Christian s'éloigna et se dirigea vers la porte du local. Sur le seuil, il se tourna et planta ses prunelles dans les miennes qui commençaient à se remplir de larmes.
— J'espère juste que tu écouteras la raison plutôt que ton coeur.
Sur ces mots, il disparut, me laissant seule avec mes doutes.

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Anmore CoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant