Chapitre 34

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Le silence était retombé lourdement dans le grand salon. Mes yeux étaient plantés dans ceux d'Eden, qui semblait figé d'horreur devant moi.
La révélation de Peter, qui avait eu l'effet d'une bombe, me laissa complètement pantoise. J'avais l'impression qu'on avait appuyé sur le bouton off de mon cerveau et que celui-ci peinait à se reconnecter à la réalité.
Peter était le frère d'Eden !
Je me répétais cette phrase en boucle jusqu'à en avoir le tournis. Eden ne m'avait jamais parlé de lui, il n'avait jamais évoqué un grand frère. Je m'en serais souvenue. Ce n'était pas le genre de détail qu'on oubliait.
Je ressentis une profonde tristesse en constatant qu'Eden ne m'avait pas fait suffisamment confiance pour m'en parler. J'aurais de loin préféré l'apprendre de sa bouche à lui, plutôt que de celle de son psychopathe de frère, qui avait fait exprès de me balancer cette information avant de disparaître.
Ma colère pour ce dernier se raviva instantanément. J'espérais ne jamais devoir me retrouver de nouveau face à lui. Je revis son sourire carnassier et sentis automatiquement des frissons d'horreur me parcourir le corps.
— Peter est ton...frère ? demandais-je d'une voix sourde.
— Je vais te ramener chez ton oncle, dit-il, faisant mine de ne pas m'avoir entendu.
Il s'était détourné et s'apprêtait à quitter le salon. Je me précipitais derrière lui, je n'en avais pas fini. Je regardais cela dit derrière moi et constatais que Christian et Judy avaient disparus. Ils avaient sûrement suivi Peter pour être certains qu'il quitte la ville. Tant mieux, j'avais des questions à poser à Eden et je préférais que personne n'assiste à notre échange qui s'annonçait plutôt houleux.
Mes yeux tombèrent sur le mur en pierre complètement défoncé à l'endroit où Peter avait atterrit. Je revis son état quand il s'était extirpé de là, repensant à l'angle improbable que sa tête avait pris à la suite du choc et de nouveau, je tressaillis. Eden n'y était pas allé de main morte et sans l'intervention de Christian, il se serait probablement jeté sur lui pour l'endommager davantage. La fureur qu'il avait ressenti avait été telle qu'il n'avait pas pu se contenir plus longtemps. Cependant, je trouvais qu'il avait fait preuve d'une patience incroyable jusqu'à ce moment. Et puis, Peter l'avait bien cherché.
Je réussis à rattraper Eden et me plantais devant lui pour l'obliger à me répondre.
— Réponds à ma question, Eden. Est-ce que Peter est ton frère, oui ou non ?
— Je ne l'ai jamais considéré comme tel, répondit-il sèchement.
— Mais il l'est ou pas ?
Eden détourna les yeux, contrarié et je compris de suite que Peter n'avait pas menti. Il était bel et bien le frère d'Eden, même si ce dernier semblait ne pas vouloir l'avouer.
— Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? chuchotais-je.
— Tu aimerais, toi, être assimilée à ce genre d'individu ? maugréa-t-il.
Il planta son regard dans le mien.
— Pas moi.
Je déglutis avec peine. Pour avoir vu Peter à l'oeuvre, et pour avoir entendu les choses terribles qu'il était prêt à commettre pour son propre intérêt, je pouvais parfaitement comprendre qu'Eden ne veuille pas crier sur tous les toits qu'il était le
frère d'un monstre. Personne ne voudrait d'un tel individu pour frère.
— Mais je t'en ai déjà parlé, en vérité, reprit-il.
Je fronçais les sourcils, perplexe.
— Tu ne m'as jamais dit que tu avais un frère, Eden, le contredis-je, sûre de moi.
Il soupira.
— Non, ça c'est bien trop dur à admettre. Mais je l'ai déjà évoqué avec toi.
Je fouillais ma mémoire à la recherche d'une preuve qui confirmerait ses dires mais n'en trouvais pas. En voyant que je réfléchissais attentivement pour tâcher de me souvenir de quoi il voulait bien parler, Eden se sentit obligé d'être plus explicite.
— La personne que je voulais à tout prix éviter, le jour où je t'ai invité à dîner.
Mes yeux s'agrandirent de surprise.
— Ton ennemi, c'était lui ?
Eden hocha la tête, presque honteusement.
— Oui. C'est lui.
Je restais un moment interdite en essayant d'assembler les pièces du puzzle que j'avais en ma possession. Eden ne s'était pas étendu à son propos et je n'avais pas insisté pour qu'il le fasse, voyant bien que c'était un sujet épineux. Mais je me souvenais qu'il m'avait dit qu'il s'était passé quelque chose entre eux qui avait fait que leur relation s'était dégradée. J'imaginais sans mal que la chose était suffisamment importante et grave pour qu'Eden nie être son frère.
— Il est tard, Neil va s'inquiéter, dit-il en commençant à s'éloigner.
— Attends, le retins-je.
Il s'arrêta mais ne me regarda pas.
— Que s'est-il passé entre vous ?
Je vis son corps se raidir. Quand il se tourna vers moi, il semblait encore plus fermé que tout à l'heure.
— Je dois vraiment te ramener, Wendy. Peter pourrait revenir d'un moment à l'autre...
— Pourquoi tu évites ma question ? demandais-je agacée.
— Je n'évite rien, je veux seulement te mettre en sécurité.
— Je suis davantage en sécurité avec toi que chez mon oncle, je te signale, soulignais-je.
Eden parut prendre conscience de la véracité de mes propos tout comme moi en les prononçant. Je n'avais pas complètement réfléchi en les disant, souhaitant seulement
une excuse pour le forcer à me parler. Mais je devais admettre que c'était entièrement vrai.
— Tu as raison. Il vaudrait peut-être mieux que tu restes ici pour la nuit alors.
J'ouvris la bouche, hébétée. Je ne m'étais pas attendue à ce retournement de situation.
— Quoi ? Mais je ne peux pas, voyons !
— Il le faut, Wendy, me dit Eden en s'approchant de moi. Tu as raison, si Peter est encore dans les parages et se décide à revenir il faut que tu sois en sécurité. Et malheureusement, Neil ne pourra rien faire contre Peter.
Je le regardais, estomaquée.
— Pourquoi Peter reviendrait-il ?
Le regard d'Eden s'assombrit et je vis sa mâchoire se contracter. Je frissonnais instantanément.
— Pour moi, finis-je par répondre dans un murmure.
C'était un traqueur de coeur, je ne devais pas l'oublier. Même s'il avait déjà en sa possession celui de la pauvre Samantha, rien ne l'empêchait d'en convoiter d'autres. Si Peter décidait de me poursuivre, il allait forcément attendre qu'Eden me ramène chez mon oncle.
— Je ne le laisserais pas t'approcher, me dit Eden en me prenant par les épaules, me forçant à le regarder dans les yeux.
— Mais...il sait que...toi et moi, bredouillais-je. Ça ne le dissuadera pas de s'en prendre à moi ?
— Non, c'est tout le contraire.
Il se passa une main dans les cheveux dans un geste désespéré.
— C'est justement parce que tu es avec moi qu'il va chercher à t'atteindre.
— C'est pour cette raison que tu lui as dit tout ça sur moi, quand je vous ai surpris à la boutique de Rose ?
Il baissa les yeux.
— Oui. J'étais obligé de dire que tu ne représentais rien pour moi parce que je savais qu'il s'en prendrait à toi s'il était au courant de ce que je ressentais vraiment. Je savais que tu nous écoutais et ça me tuait de devoir dire ces choses horribles à ton égard en sachant que tu allais les entendre. Mais je n'avais pas le choix. Je devais te protéger.
Je sentis qu'il me disait la vérité mais qu'il s'en voulait encore pour m'avoir fait du mal. Pourtant, maintenant que je comprenais ses véritables motivations, je ne pouvais que l'en remercier.
— Je ne t'en veux pas, Eden. Mais je suis rassurée de savoir que tu ne pensais pas ce que tu as dit ce jour-là.
Il soupira de soulagement.
— Il te déteste donc à ce point ? Pour s'en prendre volontairement à la personne que tu aimes ?
— Tu n'imagines même pas.
Je restais pétrifiée devant Eden, incapable de bouger. Pourtant, cela ne devait pas m'étonner. Après tout, j'avais bien senti que ces deux là ne se portaient pas dans leur
coeur. Il n'était pas étonnant que Peter soit à ce point cruel. Mais il devait sûrement y avoir une explication qui justifiait cette animosité entre les deux frères. Je décidais donc de réitérer ma question à ce sujet.
— Qu'est-ce qui s'est passé entre vous ?
Eden se redressa et me lâcha.
— C'est une longue histoire.
— Si je dois rester ici cette nuit, j'ai tout mon temps pour l'entendre.
Je vis le coin de sa bouche tressaillir.
— Ce n'est pas le bon moment pour parler de tout ça, se déroba-t-il une seconde fois en s'éloignant de moi, m'obligeant à lui courir après.
— J'ai l'impression qu'il n'y aura jamais de bon moment pour parler de cette histoire, à t'entendre.
Il m'ignora et se dirigea dans la cuisine américaine, qui était aussi immense que le salon.
— Tu as faim ? me demanda-t-il, comme si de rien n'était, en contournant le large ilot central pour se diriger vers le frigo.
Je n'eus pas le temps de m'extasier sur la beauté des lieux, où le gris foncé et le bois étaient à l'honneur de manière toujours aussi harmonieuse que dans le salon. Je m'arrêtais devant le large comptoir et observais Eden, debout devant le frigo ouvert.
— Eden, j'aimerais que tu me parles de ton frère.
Il referma la porte bruyamment avant de se tourner vivement vers moi, les yeux sombres de colère et les dents serrées.
— Ne l'appelles pas comme ça, s'il te plaît.
Son soudain excès de rage me prit au dépourvu et je reculais d'un pas sous l'éclat féroce de ses prunelles. Il sembla tout à coup comprendre qu'il venait de m'effrayer
et se radoucit instantanément.
— Pardon, je ne voulais pas...
— C'est moi, le coupais-je, le coeur battant la chamade. Je n'aurais pas du le qualifier de cette manière alors que tu le détestes. Excuse-moi.
Il m'adressa un petit hochement de tête malgré son visage rembrunit.
— Merci.
Je me détendis légèrement tout en me disant qu'il allait falloir que je fasse très attention aux mots que j'employais pour aborder le sujet. Il ne s'agissait pas de le braquer davantage.
Il posa sur le plan de travail une bouteille d'eau et la poussa vers moi.
— Tu veux que je commande quelque chose à manger ? proposa-t-il, tandis que je m'emparais de la bouteille.
Je secouais la tête. Avec tout ce qui s'était passé ce soir, j'étais incapable d'avaler quoique ce soit. Mon ventre ne le supporterait jamais et il était hors de question que je souille les toilettes de cette maison impeccable.
— Je n'ai pas vraiment faim, répondis-je avant de boire une grande gorgée d'eau pour faire passer la sensation de nausée qui s'était réveillée.
Je reposais la bouteille et contemplais le visage d'Eden. J'ouvris la bouche mais il me devança, anticipant ce que j'allais lui demander pour la troisième fois.
— Je ne peux pas t'en parler tout de suite, Wendy.
Je ne pris pas la peine de dissimuler ma déception.
— Mais..., commençais-je à protester.
Il leva une main pour me faire taire.
— Il s'est passé trop de chose aujourd'hui, tu as besoin de te reposer, me coupa-t-il.
Je fronçais les sourcils et croisais les bras sur ma poitrine.
— Tu crois vraiment que j'ai envie de dormir ?
— Il ne s'agit pas d'avoir envie, tu as besoin de te reposer après toutes les émotions que tu as subis.
— Ce dont j'ai besoin, en cet instant, c'est d'obtenir des réponses à mes questions, ripostais-je.
C'était un demi-mensonge, parce qu'en réalité, je me serais endormie sans problème s'il avait eu l'idée de me forcer à m'allonger dans un lit. Mais mon désir de connaître ce qui s'était passé entre Peter et lui était bien plus forte que ma fatigue.
— Pas aujourd'hui.
Son ton tranchant m'irrita davantage.
— Quand, alors ?
Eden aussi commençait à voir sa patience envers moi s'amoindrir. Il soupira d'exaspération en levant les yeux au plafond gris foncé de la cuisine.
— Je n'en sais rien, Wendy. Ça ne se programme pas ce genre de choses.
Il avait contourné le comptoir pour repartir dans le couloir. Je commençais à en avoir assez de sa manière de fuir le dialogue. Heureusement qu'il n'avait pas encore décidé d'user de son pouvoir de rapidité pour m'évincer. Je m'empressais de le suivre.
— Visiblement, si, puisque tu ne veux pas m'en parler maintenant.
— Ce que tu es agaçante, l'entendis-je râler.
— Je cherche seulement à comprendre, Eden.
Il se tourna si brusquement que je faillis lui rentrer dedans. Il me saisi par les épaules, me stabilisant par la même occasion.
— Il n'y a rien à comprendre. Peter est un monstre cruel et sanguinaire qui n'a aucun scrupule à massacrer des humains, et même des congénères, quand l'envie lui prend. Tout ça par pur plaisir de tuer et de faire régner la terreur partout où il passe. Tu veux savoir pourquoi on ne s'entend pas, lui et moi ? Eh bien je pense que ce que je viens de te dire et ce que tu as vu de lui aujourd'hui, sont des réponses
suffisamment claires et précises à ta question.
Je ne cillais pas, mon regard toujours planté dans le sien avec détermination.
— Je suis sûre qu'il y a autre chose que tu ne me dis pas, murmurais-je, butée.
Eden soupira et me lâcha, hors de lui.
— Tu es impossible !
— Je pense être en droit de savoir, maintenant que je suis impliquée dans votre querelle !
Il s'arrêta net devant l'entrée du salon et j'eus soudain l'angoisse de voir réapparaître Peter devant nous. Mais heureusement, ce n'était que Christian qui nous observait en silence, une expression indéchiffrable sur le visage. Je me sentis rougir de gêne.
— Vous l'avez amené à Pénélope ? demanda Eden d'un ton plus calme bien que tendu.
Lui aussi semblait légèrement gêné d'avoir été surpris par son père dans notre échange un peu vif. Mais Christian ne sembla pas perturbé.
— Oui. Elle était là avec son groupe. Ils ont failli venir directement ici en ne le voyant pas arriver à l'heure prévue.
— Cela l'aurait peut-être fait partir plus tôt, maugréa Eden.
— Probablement pas. Tu sais comment il aime être le centre d'attention. Il aurait certainement fait pire avec un aussi large public.
Eden émit un grognement.
— Ne t'en fais pas. Il est bel et bien parti avec Pénélope qui m'a assuré qu'elle le surveillerait personnellement. Elle a bien compris à quel point il pouvait être dangereux.
Eden hocha simplement la tête et je me risquais à poser la question qui me brûlait les lèvres.
— Pardon, mais... qui est Pénélope ?
Christian se tourna vers moi.
— C'est une vieille connaissance. Elle a fondé son propre clan de traqueur de coeur.
Je tressaillis et Eden s'empressa de me rassurer.
— Ne t'inquiète pas, elle ne s'approche pas du périmètre de notre ville. Nous avons conclu un accord il y a quelques années et elle ne prendra pas le risque de le rompre. C'est une transformée.
Je compris ce que ces paroles signifiaient. Etant une transformée, elle était moins puissante qu'Eden et Christian.
— De plus, elle a une certaine dette envers Christian, ajouta Eden, presque à contre coeur.
Je fronçais les sourcils, voulant lui demander de quelle dette il voulait parler mais il secoua légèrement la tête et je compris que ce n'était pas le bon moment pour parler de cette histoire.
— Peut-on faire confiance en Pénélope pour ne pas se laisser berner par Peter ? demanda Eden à son père.
— Je le pense. Après tout, elle était prête à le tuer avant de savoir qui il était.
— Comment ça ? ne pus-je me retenir de demander.
Christian jeta un regard à Eden et celui-ci soupira avant de me répondre.
— Nous avons appris que Peter cherchait à revenir ici, quelques temps avant que tu ne viennes t'installer ici. Bien évidemment, il ne s'est pas contenté de nous chercher,
tu t'en doutes. Il a également chassé les coeurs purs pour sa collection. C'est comme ça qu'il a rencontré Pénélope. Depuis plusieurs semaines, elle avait jeté son dévolu sur un coeur parfait qui, elle l'espérait, pourrait lui conférait un nouveau pouvoir. Elle attendait le moment idéal pour agir. Quand elle était décidée à mettre son plan à exécution, c'était trop tard. Peter avait déjà arraché le coeur de sa proie.
Je frémis d'horreur mais tâchais de ne rien montrer, attendant de savoir comment Peter était arrivé à Anmore Cove.
— Tout le monde sait que Pénélope est aussi belle que redoutable, reprit Christian, à la place de son fils. Elle ne supporte pas que ses plans soient contre-carré. Par qui
que ce soit. Quand elle décide de se venger, elle ne fait pas dans la demi-mesure. Et je ne t'apprendrais rien en te disant que Peter est exactement pareil.
Je pouvais aisément imaginer la scène qui avait dû se dérouler entre cette Pénélope et Peter. Leur échange avait certainement été violent.
— Sauf que Peter fait cavalier seul, pas Pénélope, poursuivit Christian. Elle a donc décidé de le capturer et de se... charger de lui.
Je déglutis péniblement en essayant de ne pas imaginer ce que ces mots pouvaient signifier. Eden reprit la parole.
— Peter est resté quelques jours entre les mains de Pénélope, refusant de coopérer. Mais il a finit par lui proposer un marché. Il s'engageait à rejoindre son clan et à traquer des coeurs purs pour elle et en échange, elle lui disait où il pouvait nous trouver. Pénélope a voulu savoir pourquoi il nous cherchait, mais Peter a simplement dit qu'il avait une affaire à régler avec moi. Elle a donc contacté Christian.
Ce dernier s'avança de quelques pas avant de prendre le relais.
— Elle n'a pas eu besoin de me dire son nom pour que je devine qu'il s'agissait bien de Peter. Elle était prête à accepter son marché si elle avait l'assurance que j'étais d'accord. Sauf que je savais ce que cela allait impliquer. Peter rentrant dans le clan de Pénélope, les victimes allaient se faire nombreuses. Je lui ai donc demandé d'attendre quelques temps avant d'accepter, je devais en parler avec Eden.
Celui-ci serra les mâchoires.
— Te souviens-tu du jour où tu as surpris notre conversation dans le bureau de Christian ? me demanda-t-il alors.
Sa question me prit au dépourvu.
— Euh...oui.
Difficile d'oublier la première fois où Eden avait été en colère contre moi et m'avait paru menaçant.
— Te rappelles-tu de ce que tu as entendu, ce jour-là ?
Je fouillais ma mémoire pour me transporter dans ce fameux jour. Les éléments eurent du mal à me revenir, mais à force de concentration, je réussis à récupérer quelques bribes.
— Je crois que je me rappelle que vous étiez en train de parler de quelqu'un qui se trouvait dans une mauvaise posture.
Je relevais soudain le regard vers Eden, comprenant où il voulait en venir.
— C'était Peter ? soufflais-je.
Il hocha la tête.
— Nous étions en train de réfléchir à la bonne décision à prendre pour son cas. Christian voulait aller le récupérer pour éviter qu'il ne fasse davantage de victimes. Et moi, je refusais d'aller le secourir parce que je ne voulais pas qu'il vienne ici. Je me disais que le fait de rentrer dans un clan allait pouvoir le réfréner dans ses agissements, qu'il allait devoir se plier aux règles de Pénélope, que ce n'était pas une si mauvaise chose pour lui, lui qui détestait ça.
Il se passa une main dans les cheveux en soupirant.
— Mais Christian avait raison. Je ne pouvais pas faire courir un tel danger à des humains innocents. Alors, on a finalement décidé d'aller le chercher et de voir ce qu'il voulait vraiment.
— Qu'est-ce qu'il voulait ? demandais-je, fébrile.
Eden échangea un bref regard avec Christian avant de reporter son attention sur moi.
— Il voulait venir avec nous. Mais c'était hors de question.
Mon coeur se serra en voyant la colère qui brillait dans les yeux d'Eden quand il parlait de son frère charnel.
— J'ai dit à Pénélope que le mieux était qu'ils partent loin d'ici, intervint Christian. Qu'ils amènent Peter avec eux et qu'ils s'arrangent pour qu'ils ne reviennent pas. Pénélope a accepté mais au bout de quelques temps, Peter a redemandé à parler une dernière fois avec Eden. Comme il lui avait déjà rendu service en lui dénichant des coeurs, elle a décidé de venir directement nous voir. Sauf qu'Eden, croyant qu'elle aurait amené Peter avec elle, ne s'est pas présenté au rendez-vous, prétextant un autre engagement avec une personne plus importante.
J'ouvrais de grands yeux.
— Le jour où tu m'as amené au restaurant ?
Eden confirma par un signe de tête.
— Pénélope est donc repartie retrouver son clan, reprit Christian. Pendant ce temps, Peter était sous la responsabilité de quelques membres. Malheureusement,
certains se sont laissés berner par lui et c'est comme ça qu'il a pu échapper à leur surveillance pour venir à Anmore Cove. Et bien sûr, le résultat à été désastreux, comme tu l'as constaté.
Je repensais à cette pauvre Samantha qui avait perdu la vie. Effectivement, son arrivée en ville avait été plus que désastreuse.
— Il est réapparu quelques temps plus tard et cette fois, Eden n'a pas eu d'autres choix que de le rencontrer, poursuivit Christian.
Eden serra la mâchoire.
— Il fait référence au moment où tu nous a surpris à la boutique de meubles, précisa-t-il en soutenant le regard de Christian.
— Je vois, soufflais-je. Et à ce moment là, vous n'aviez aucun moyen de l'arrêter ?
De nouveau, Eden et Christian échangèrent un regard entendu.
— Disons qu'il y a eu un imprévu qui a permis à Peter de s'enfuir, répondit finalement Eden.
— Mais Pénélope s'était déjà mise en route pour venir personnellement, renchérit Christian. Elle lui avait visiblement fait une proposition qu'il avait fini par accepté pour rejoindre officiellement son clan. C'est comme ça qu'il était convenu qu'il parte ce soir.
— Concrètement, c'était Christian qui devait l'escorter au point de rendez-vous. Sauf qu'il s'est encore arrangé pour nous pourrir la vie.
Christian posa une main sur l'épaule d'Eden.
— Il est parti, maintenant.
Malgré la tentative de son père pour le réconforter, je voyais bien qu'Eden était toujours tendu. Comme s'il s'apprêtait à voir débarquer Peter d'un instant à l'autre.
— Je pense que tu devrais relayer Rose, Eden, lui dit finalement Christian.
Ce dernier lui jeta un regard interrogateur et je me rendis compte que Rose était partie bien avant que Peter ne fasse irruption dans la maison, sans dire où elle allait. Je n'avais aucune idée d'où elle avait bien pu se rendre.
— Elle m'a appelé.
Eden se raidit et sa voix trahit son anxiété.
— Il est là-bas ?
— Non. Il ne s'est pas approché. Mais Rose n'est pas tranquille. Elle craint qu'il ne vienne.
Je me demandais de quoi il parlait qui avait accentué l'angoisse d'Eden, mais m'abstins de poser la moindre question. De toute façon, ce n'était pas dit qu'Eden daigne y répondre. Il préférait garder le secret sur beaucoup de choses.
— Elle m'a demandé de te dire de venir dès que tu le pouvais, reprit Christian.
— Et Wendy ? Elle ne peut pas rester seule.
— Je vais rester avec elle.
Mon sentiment de malaise revint avec force à l'idée de me retrouver seule avec Christian. Non pas que j'avais peur de lui, mais je le trouvais beaucoup plus impressionnant et intimidant depuis que je savais qu'il avait été l'homme qui avait mené la guerre ultime contre les Waldrens, près de huit cents ans en arrière.
Eden parut, lui aussi, hésiter quelques instants, se demandant probablement si c'était une bonne idée. Peut-être craignait-il qu'il ne me révèle ce qu'il tenait temps à me cacher. Ou bien il avait peur qu'il ne cherche de nouveau à me convaincre de
cesser notre relation. Il avait beau avoir promis de ne plus interférer entre nous, il continuait de voir ma proximité avec Eden d'un mauvais oeil, je pouvais aisément le sentir.
— Il ne lui arrivera rien, Eden, le rassura son père, calmant, par la même occasion, les doutes qui commençaient à germer dans mon esprit.
Il l'observa, attendant qu'Eden daigne prendre une décision, mais celui-ci hésitait toujours.
— Je te promets que je ne lui dirais rien, dit-il alors. Tu doutes encore de moi, après toutes ces années, mon fils ?
Eden soupira.
— Non, bien sûr que non. Excuse-moi, je suis un peu à cran, il faut croire.
— Je le comprends. Peter nous met tous dans cet état là.
Eden lâcha un petit rire ironique.
— Pour ne pas changer.
Christian sourit.
— Tu peux y aller, Eden. Je m'occupe de Wendy.
Eden hocha la tête et s'apprêta à se tourner vers moi, avant de se raviser et de regarder de nouveau son père qui n'avait pas bougé d'un cil.
— Tu ne comptes pas, non plus, la persuader de partir, n'est-ce pas ? s'assura-t-il.
Christian ne parut pas vexé de sa question.
— Je vous ai promis, à tous les deux, que je n'interférerais plus dans votre relation. Je ne suis pas quelqu'un qui revient sur sa parole. Ça aussi, tu devrais le savoir mieux que personne, depuis le temps.
Eden se pinça les lèvres, tout en affichant une expression de petit garçon qui venait de décevoir son père. Christian leva la main en souriant.
— Ne t'en veux pas, Eden. Peter a remonté beaucoup de choses, ce soir. Je comprends ton inquiétude.
Eden lui adressa un regard de remerciement pour sa compréhension auquel Christian répondit par un hochement de tête.
Eden se tourna alors vers moi et je fus rassurée de voir que ses prunelles s'étaient adoucies, comparées à tout à l'heure. Il s'approcha de quelques pas mais s'arrêta à une distance respectable, comme s'il craignait que je sois toujours fâchée après lui. Ce qui n'était pas totalement faux, au demeurant.
Une partie de moi lui en voulait toujours de refuser de me dire les tenants et les aboutissants de sa relation avec son frère. Mais l'autre partie était désireuse de sentir ses bras autour de moi dans une étreinte réconfortante. J'aurais préféré qu'il reste avec moi, mais Rose avait besoin de lui, visiblement.
— Je n'en ai pas pour très longtemps, me dit-il, tandis que je vis du coin de l'oeil, Christian s'éloigner, nous laissant un peu d'intimité.
— D'accord.
Il parut soudain peiné.
— S'il te plaît, ne m'en veux pas, chuchota-t-il en tendant la main vers ma joue.
Je soupirais à son contact et appuyais davantage mon visage contre sa paume, désireuse de laisser sa caresse dissiper mes craintes et mes doutes.
— Je ne t'en veux pas, Eden. Mais j'aimerais que tu me fasses confiance.
— Je te fais confiance.
— Pas suffisamment, apparemment.
Eden sembla profondément touché par la déception qui teintait ma voix. Il se rapprocha un peu plus mais je gardais les yeux obstinément baissés. Je savais que si je croisais son regard, je le laisserais gagner. Or, j'avais besoin qu'il comprenne que c'était important pour moi de connaître son histoire dans les moindres détails. Il fallait qu'il sache que notre relation ne pourrait être forte que s'il se décidait à ouvrir son coeur entièrement et pas à demi.
— Wendy...
Il me releva le menton doucement pour m'obliger à le regarder et je sentis de suite ma déception et ma frustration s'évanouirent.
— Je sais que mes réponses ne te suffisent pas, à l'heure actuelle. Mais ce sont les seules que je peux te donner.
— La vérité à un coeur tranquille, Eden. Dois-je vraiment te le rappeler ?
Il ferma brièvement les yeux.
— Toute vérité n'est pas bonne à dire.
Je restais coite devant son obstination. Il se pencha alors, ses lèvres effleurèrent les miennes un court instant, sans que je ne puisse rien faire pour l'en empêcher. Il ne s'attarda pas, cependant, sachant pertinemment que j'étais capable de le repousser après ce qu'il venait de me faire comprendre. Il se redressa et sa main quitta ma joue.
— Je t'aime, Wendy, me lança-t-il en s'éloignant vers le salon.
Ma première idée fut de ne rien lui répondre, tellement j'étais en colère après lui. Il ne pouvait pas me dire qu'il m'aimait alors qu'il refusait de s'ouvrir à moi sur cette partie de sa vie. Ce n'était pas de cette manière qu'il pouvait me prouver qu'il tenait réellement à moi.
Puis, la culpabilité s'empara de moi. Je lui demandais de me faire confiance mais je n'étais pas capable d'en faire autant en respectant sa décision. Peut-être qu'il avait de bonnes raisons de ne pas me dire ce qu'il y avait entre eux. Peut-être que la vérité était trop difficile à entendre et qu'il ne cherchait qu'à me protéger, encore une fois.
Je ne pouvais pas baser notre relation sur cette histoire. Cela n'avait pas de sens. Après tout, il m'avait fait entièrement confiance pour me révéler ce qu'il était vraiment. Cela aurait dû me suffire. Car c'était la plus belle preuve d'amour qu'il
avait pu me témoigner.
Je finis par soupirer et m'empressais de me rendre dans le salon, désireuse de lui dire que moi aussi je l'aimais, que quoique j'ai pu apprendre aujourd'hui sur lui, je l'aimais toujours éperdument, et que rien ne pouvait changer cela, pas même son frère.
— Eden, je...
Je stoppais net à l'entrée du salon vide et je sentis la culpabilité m'envahir aussitôt.
J'arrivais trop tard. Eden avait quitté la maison.

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