Judy me fixait de ses yeux couleur noisette depuis de longues minutes maintenant. Elle attendait une réponse que je peinais à lui donner, par pur embarras.
Quand elle m'avait vu arriver à la librairie, elle s'était précipitée sur moi, avant de s'arrêter net, hésitante. Elle se demandait si je lui en voulais d'avoir mis au point un stratagème pour que je puisse avoir accès aux livres du local. Je l'avais évidemment rassurée en lui disant que grâce à elle, j'avais pu assouvir la fascination que j'avais eu dès le début pour ces ouvrages. Elle avait souri mais avait conservé ses
distances.
Elle m'avait alors demandé d'être honnête envers elle en lui assurant que je ne lui en tenais pas rigueur de n'avoir rien dit plus tôt et surtout, en lui confirmant que nous étions toujours amie. Son inquiétude à ce sujet m'avait tiré un sourire compatissant et je m'étais empressée de lui dire que je comprenais tout à fait qu'elle n'ait rien dit (après tout, ce n'était pas le genre de chose que l'on avouait si facilement) et qu'il était évident que notre relation n'allait pas s'en trouver altérer. Elle avait poussé un profond soupir avant de me prendre dans ses bras.
— Tu ne peux pas t'imaginer à quel point je suis ravie de t'entendre dire ça, m'avait-elle soufflé. J'avais tellement peur que tu ne veuilles plus t'approcher de moi.
J'avais émis un petit rire et lui avais garanti que jamais je n'aurais pu me passer de son amitié si précieuse. Elle avait été tellement touchée qu'elle en avait eu les larmes aux yeux.
Nous avions passé une bonne partie de la matinée à parler de son histoire. Comme Eden, Judy était une Waldren depuis longtemps. Elle approchait des cent quinze ans.
Je n'avais pu retenir un petit cri de surprise.
— Je ne les fais pas, hein ? m'avait-elle lancé en rigolant.
Effectivement, l'avantage d'être un Waldren était indubitablement que le temps n'avait pas du tout d'emprise sur eux, conséquence de leur immortalité.
A l'inverse d'Eden, elle n'avait pas le gêne en elle. Elle m'apprit qu'elle avait été transformé à l'âge de dix-neuf ans. La surprise fut à son comble quand elle m'annonça que ce n'était autre qu'Eden qui l'avait transformé.
— Quoi ?! m'étais-je exclamée.
Judy avait hoché la tête, avec un petit sourire triste.
— C'est lui qui m'a trouvé, au beau milieu de la nuit, m'avait-elle dit d'une petite voix. J'étais...dans un sale état. Eden m'a trouvé et il m'a sauvé, d'une certaine manière. Je pense que, sans lui, j'aurais fini par mettre fin à mes jours.
J'avais réprimé un frisson en l'entendant m'avouer qu'elle avait été prête à se suicider. Je n'avais pas insisté pour savoir ce qui lui était arrivé, elle ne semblait visiblement pas prête à en parler et je ne tenais pas à la mettre mal à l'aise, mais je ne
doutais pas que cela avait dû être terrible pour qu'elle en soit venue à avoir ce genre de pensée.
— Il s'est toujours demandé s'il avait bien fait de me condamner à cette existence, avait-elle repris. Mais, à la longue, il a fini par accepter l'idée qu'il m'avait littéralement sauvé. Ça n'a pas été facile, au début, de me familiariser avec ma nouvelle existence, mais Eden a été un excellent mentor. Je lui dois beaucoup.
Elle avait ponctué sa phrase d'un petit sourire et j'avais compris où elle voulait en venir en me louant la personnalité d'Eden. Je m'étais sentie rougir et avais détourné les yeux.
J'avais médité quelques instants sur les paroles de Judy et m'étais rendue compte que la transformation en Waldren n'était pas forcément utilisée à des fins purement machiavéliques. Au contraire, elle pouvait réellement être le début d'une nouvelle vie pour les âmes éperdues, comme l'avait été Judy au moment où Eden l'avait trouvé.
Judy m'avait observé en silence, me laissant réfléchir à tout cela, avant de se pencher vers moi avec un petit regard mutin.
— Et si tu me disais maintenant ce qu'il s'est passé entre toi et Eden.
J'avais piqué un fard derechef et m'étais renfoncée dans mon fauteuil.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, avais-je tenté de me dérober.
Judy avait secoué la tête, faisant voleter ses cheveux bruns sur son visage.
— Pas de ça avec moi, Wendy. Je sais très bien que vous vous êtes avoués vos sentiments, tu ne me feras pas croire le contraire.
J'avais ouvert de grands yeux, les joues en feu.
— Eden te l'a dit ?!
Elle avait lâché un petit rire.
— Il n'a pas eu besoin. Son attitude parlait pour lui, si tu veux tout savoir. Je ne l'avais jamais vu autant...heureux. Et comme ça fait bien des décennies que je le connais, tu peux me croire sur parole.
Même si j'étais extrêmement gênée à l'idée de parler de ma relation amoureuse avec la soeur d'Eden, je devais admettre que j'étais plutôt contente d'entendre cela.
Ainsi, j'avais réussi à rendre Eden heureux, malgré sa condition qui lui pesait depuis des siècles.
— Maintenant que tu sais ça, c'est à ton tour de me raconter comment tout le reste s'est passé, m'avait-elle dit. Et j'attends le plus de détails possible, évidemment.
Nous en étions donc à ce stade. Judy qui me fixait intensément, bien décidé à ce que je lui révèle comment s'était passée ma discussion avec Eden et ce qui en avait
découlé.
— Que veux-tu que je te raconte, Judy, finis-je par dire en haussant les épaules. Il m'a avoué son secret...votre secret, je lui ai posé des questions auxquelles il a répondu et voilà.
— Wendy ! s'exclama-t-elle en ouvrant de grands yeux.
Je sursautais sur mon siège.
— Pourquoi tu cries ? demandais-je, incrédule.
— Parce que tu te fiches de moi ! Je sais très bien tout ça ! Ce que je veux savoir c'est comment s'est passée votre déclaration de sentiment mutuelle. Ce n'est pas compliqué.
— Si ça l'est, la contredis-je.
Elle sembla véritablement étonnée.
— Pourquoi donc ?
Je pinçais les lèvres. Je n'avais aucune idée de comment aborder ce sujet avec elle. Elle ne m'en laissa pas le temps, cependant. Elle poussa un petit cri et se couvrit la bouche, une expression horrifiée sur le visage.
— Tu ne l'aimes pas ?!
Sa réaction me fit presque rire. Comment pouvait-elle me poser cette question ? Il était impensable de ne pas aimer Eden.
— Bien sûr que si !
Ma réponse instantanée la fit se détendre et elle sourit, tandis que je rougissais encore davantage devant mon aveu.
— Et lui aussi ?
— Oui.
Judy paraissait de plus en plus satisfaite à mesure que je lui dévoilais ce qu'elle voulait savoir.
— Et...vous vous êtes embrassé ? chantonna-t-elle en se penchant vers moi.
Je roulais des yeux devant son attitude niaise. Nous n'étions plus en primaire, pourquoi elle voulait absolument savoir cela ? Surtout qu'elle connaissait probablement déjà la réponse.
Je soupirais mais finis par ravaler la remarque que je m'apprêtais à lui balancer, prenant conscience que c'était sûrement le genre de choses qu'aimaient se raconter les
véritables amies. Je n'étais pas du tout à l'aise avec cette façon de faire et n'avais aucune expérience en matière d'amitié, mais il allait bien falloir que je fasse des efforts pour m'habituer à ce genre de situation.
— Oui, répondis-je simplement en évitant de regarder Judy dont les lèvres s'étiraient lentement en un sourire.
Elle poussa une exclamation attendrie et je levais les yeux au ciel.
— Judy..., soupirais-je, un poil exaspérée par son côté fleur bleue qui n'était pas sans me rappeler celui de ma mère.
— Pardon, mais je n'y peux rien, se défendit-elle sans se départir de son sourire. C'est tellement mignon. Votre premier baiser a dû être fantastique, je me trompe ?
J'aurais dû me douter de cette question, venant de sa part. Pourtant, malgré la gêne qui s'accentuait à mesure que la conversation devenait de plus en plus intime, je repensais au tout premier baiser que j'avais échangé avec Eden. Même si d'autres avaient suivi et avaient été tout autant intenses, je devais bien avouer que le tout premier que nous avions échangé dans la forêt derrière la librairie, complètement trempés par la pluie, avait été digne d'un baiser de cinéma. Mais en mille fois mieux. Parce que nous avions attendu ce moment depuis longtemps, tant l'un que l'autre, et parce qu'on ne pouvait rêver mieux qu'un premier baiser avec un
homme comme Eden.
Judy se racla la gorge, me ramenant à l'instant présent. Elle me jeta un petit regard taquin qui en disait long et je compris que je m'étais trahie. J'avais sûrement dû sourire en me replongeant dans ce souvenir et elle n'avait pas manqué de le
remarquer et d'en tirer des conclusions que je ne pouvais pas réfuter.
Reprenant mes esprits, je glissais une mèche derrière mon oreille et lui répondis sans la regarder.
— Oui, il l'était, avouais-je.
Judy retint difficilement un autre sourire satisfait.
— A quel point ? voulut-elle savoir.
Il lui en fallait toujours plus. Elle ne pouvait jamais se contenter de ce qu'on lui donnait. Mais si je ne lui répondais pas, elle ne me lâcherait pas de la journée. Or, je ne tenais pas à être cuisinée par Judy le restant de l'après-midi.
— Au point où j'ai eu beaucoup de mal à m'en remettre, que mon coeur a failli exploser dans ma poitrine tellement il battait fort et que mes jambes se sont dérobées quand il s'est écarté de moi, répondis-je d'une traite. Ça te convient comme réponse ?
— Assez, oui.
Mon coeur bondit dans ma poitrine et je me tournais vers Judy en écarquillant les yeux.
Ce n'était pas elle qui venait de parler. Elle ne faisait que me regarder avec un immense sourire.
Non, la voix grave qui venait de me répondre appartenait à la
silhouette qui se tenait derrière nous, dans l'encadrement de la porte menant à l'arrière-boutique. Elle me regardait de ses yeux verts profonds, m'adressant un sourire en coin qui fit fondre mon coeur, tout en levant un sourcil de manière
totalement espiègle.
— Eden ! m'exclamais-je en sentant mes joues s'empourprer dangereusement.
Il s'avança vers nous et s'arrêta derrière le fauteuil de Judy. Celle-ci pivota vers son frère.
— Je suis fière de toi, mon frère ! lui lança-t-elle, joyeusement. Je constate que tu t'es appliqué, pour ton premier baiser.
Mes yeux s'ouvrirent davantage tandis qu'Eden levait les yeux au ciel face à la réflexion de sa soeur.
— Tu n'as pas pu t'en empêcher, hein ? Tu t'es sentie obligée de lui poser ce genre de question quand tu m'as entendu arriver.
J'affichais une expression outrée et me tournais vers Judy.
— Tu l'as fait exprès ?! m'écriais-je.
Elle balaya l'air de la main, comme si ce n'était pas important.
— Franchement, tu ne vas pas me sermonner, Eden ! Je te signale que je l'ai fait pour toi et que tu étais bien content d'entendre la révélation de notre chère Wendy, se défendit Judy en m'ignorant complètement. Tu devrais plutôt me remercier.
Eden émit un petit rire sarcastique.
— Je te remercie, Judy, d'avoir mis Wendy mal à l'aise. C'est bien ça que tu veux entendre ?
Il venait de croiser les bras sur sa poitrine et regardait sa soeur de manière insistante. Elle roula des yeux.
— Allons, il faut toujours que tu dramatises tout. Toutes les amies se racontent ce genre de choses, c'est normal ! Tu ne peux pas comprendre, tu n'es qu'un garçon.
Elle avait lancé cette dernière phrase comme si c'était une critique, mais Eden encaissa la riposte de sa soeur sans se formaliser. Elle finit par se tourner vers moi.
— Ne m'en veux pas trop, me chuchota-t-elle, comme si Eden ne pouvait pas entendre ce qu'elle disait. Il faut bien que quelqu'un vous donne un coup de pouce de temps en temps. Je vois bien que vous êtes, tous les deux, des novices en matière de relation amoureuse. Je ne peux pas vous laisser comme ça.
Eden leva les yeux dans le dos de sa soeur.
— Qu'est-ce qui faut pas entendre, murmura-t-il.
Judy se tourna vers lui.
— Excuse-moi, mon cher Eden, mais on ne peut pas dire que tu brilles dans ce domaine. Dois-je te rappeler que tu n'as jamais eu la moindre expérience amoureuse ?
Je jetais un regard interrogatif en direction d'Eden mais celui-ci ne sembla pas gêné par la remarque de sa soeur.
— Tu n'as pas à me le rappeler, j'en suis pleinement conscient, répondit-il calmement. Mais Wendy et moi saurons nous débrouiller tous seuls, merci.
Judy roula des yeux exaspérés. Avant qu'elle n'ait pu rajouter autre chose, Eden la devança.
— Maintenant que les choses sont claires, je peux avoir un moment avec Wendy ?
Elle le fusilla du regard mais finit par se tourner vers moi avec un sourire, tout en se levant.
— Je dois aller retrouver Rose, de toute façon. Soyez sages, tous les deux. Ne faites pas de bêtises.
Le clin d'oeil qu'elle nous adressa me fit rougir jusqu'à la racine des cheveux. Elle prit la peine de quitter la pièce à un rythme humain, simplement pour agacer Eden, compris-je quand je le vis soupirer doucement une fois que la porte arrière fut refermée.
Il se détendit dès qu'elle fut partie et le silence tomba entre nous. Malgré ses yeux qui me dévoraient, je n'osais pas lever les miens vers lui, toujours perturbée par le sous-entendu que Judy avait fait avant de partir.
Ce fut Eden qui réduisit la distance entre nous en apparaissant devant moi en un battement de cils. Ses doigts se glissèrent sous mon menton et relevèrent mon visage
vers lui.
— Ne tiens pas compte de ce que dit Judy, me dit-il d'une voix douce. Elle est parfois un peu trop...humaine.
Je souris face à son expression amusée, me demandant quand même ce qu'il pouvait bien vouloir dire par là. Mais il ne me laissa pas le temps de lui poser la question. Ses lèvres douces caressèrent les miennes et je fermais les yeux tout en
retenant ma respiration. Sa main me tenait toujours le menton tandis que les miennes agrippaient fermement les accoudoirs de mon fauteuil pour m'empêcher de les jeter autour de son cou. Je savais qu'il valait mieux ne pas céder à ce genre de pulsion.
Malgré la tentation qui me démangeait, à mesure que son baiser s'accentuait, je parvins à me maîtriser, ignorant toutefois par quel miracle.
Eden s'éloigna finalement, un petit sourire aux lèvres et une expression amusée dans les yeux.
— Je t'ai connu moins sage, chuchota-t-il, son souffle déclenchant des frissons sur ma peau. Aurais-tu peur de ne pas réussir à t'en remettre ?
Sa remarque, reprenant les paroles que j'avais prononcé à Judy quelques instants auparavant, me fit me mordre la lèvre.
— J'aurais dû remballer ta soeur, bougonnais-je en repensant au mauvais tour qu'elle m'avait joué.
Eden rit doucement.
— Ça partait d'un bon sentiment.
— Pour toi, oui, rétorquais-je.
— Je dois admettre que c'était assez satisfaisant à entendre.
— J'imagine, oui. Ta fierté a dû être bien redorée.
Ma remarque le fit rire de plus belle.
— Plus que ma fierté, c'est ton amour envers moi qui m'a comblé.
Je me reculais pour le regarder un peu mieux.
— Parce que tu doutes de mes sentiments pour toi ? demandais-je presque outrée.
— Je n'ai jamais dit ça. Je dis simplement que te l'entendre clairement l'avouer à une autre personne m'a fait plaisir.
Il me caressa la joue du bout des doigts, avec une tendresse infinie.
— Même si cette personne est ma soeur et que je sais qu'elle t'a poussé à bout, rajouta-t-il.
Je ne pus m'empêcher de rire.
— Je te rassure, même si elle a forcé ma confidence, ce que je lui ai dis n'en reste pas moins vrai.
Son sourire me chamboula le coeur.
— J'en suis heureux.
Il s'apprêtait à se pencher vers moi pour m'embrasser de nouveau mais je me reculais légèrement. Je venais de repenser aux paroles de Judy concernant sa transformation et je voulais lui en parler.
— Un problème ? demanda-t-il, perplexe.
— Judy m'a dit que c'était toi qui l'avait transformé, dis-je simplement.
— Ah.
Il se redressa et s'assit au bord du bureau. Ses mains puissantes agrippèrent le rebord, faisant apparaître la musculature parfaite de ses bras sous son t-shirt. Sa mèche ondulée retombait sur son front et j'aurais bien voulu la lui remettre en place, même si elle le rendait encore plus beau.
— Elle m'a expliqué que tu l'avais trouvé dans un état...lamentable, dis-je.
Eden m'observait sans broncher. Je ne parvenais pas à déchiffrer l'expression de son visage mais je crus y déceler une pointe de tristesse.
— Elle ne t'a pas raconté ce qui lui était arrivé, je me trompe ?
Je secouais la tête.
— Elle m'a simplement dit qu'elle s'était enfuie de chez elle.
Sa tristesse sembla se transformer en pitié.
— Et...qu'elle avait pensé mettre fin à ses jours, terminais-je.
Eden soupira et passa une main dans ses cheveux, recoiffant ainsi sa mèche rebelle.
— Je ne pense pas que ce soit à moi de te raconter son histoire, dit-il doucement. Mais, en effet, quand je l'ai trouvé, elle était dans un sale état. A tel point que je me suis demandé comment des humains étaient capables de faire ce genre de chose.
Je sentis mes poils se hérisser sur ma nuque.
— Je ne comptais pas la transformer, reprit-il en baissant la tête sur ses chaussures.
Je fronçais les sourcils face à son expression de culpabilité qui avait teinté ses traits.
— En réalité, je...traquais un coeur pur pour un nouveau transformé, m'avoua-t-il en grimaçant.
J'ouvris des yeux horrifiés. Il avait donc pris pour cible Judy afin qu'un jeune Waldren puisse obtenir un pouvoir grâce à son sacrifice.
— Je sais ce que tu penses, dit-il devant mon expression. Ce que je m'apprêtais à faire était horrible, je le sais bien. Mais, comme je te l'ai dis, à l'époque, j'ai pris beaucoup de vies humaines. Je n'en suis pas fier et quand j'y repense, je me dégoute encore plus. Malheureusement, je ne peux pas revenir sur mes erreurs passées et je ne peux plus ramener à la vie les humains que j'ai sacrifié. Même si ce que j'ai fait me
hante toutes les nuits depuis bien des décennies.
Je déglutis avec peine mais parvins à hocher lentement la tête. Il avait été honnête avec moi en m'avouant les crimes qu'il avait commis. Même si cette idée me répugnait, je savais que, désormais, il n'était plus ce genre de personne et, plus
important encore, il ne désirait plus l'être.
— Tu as raison, c'est du passé, dis-je doucement.
Eden me jeta un regard en coin et je le vis se détendre avant de reprendre la parole.
— Cette fameuse nuit, j'avais arrêté mon choix sur Judy. En réalité, je venais à peine de me dire qu'elle était probablement un coeur pur qui permettrait d'honorer le rituel de l'appel du sang. J'étais loin de m'imaginer ce qu'elle subissait.
Il marqua une pause et resserra sa prise sur le rebord du bureau.
— J'ai assisté à tout, ce soir là, sans détourner les yeux. J'aurais pu intervenir plus tôt, mais la vérité c'est que je ne savais pas encore ce que j'avais décidé de faire. J'hésitais encore entre la tuer pour lui arracher le coeur ou la sauver. Finalement, j'ai abandonné mon idée première de la sélectionner pour le sacrifice. Je pensais qu'elle n'allait pas se remettre de ce qu'elle avait subi, que c'était fini pour elle. Mais j'ai compris que j'avais tort et qu'elle était bien vivante quand j'ai perçu les faibles battements de son coeur. A ce moment-là, j'ai su que je devais l'aider. Je me souviendrais toujours de l'état dans lequel elle se trouvait quand je l'ai découvert.
Il serra fermement le rebord du bureau et je crus, un instant qu'il allait le réduire en miette. Je vis le coin qu'il enserrait se plier légèrement sous la pression. Il sembla s'en rendre compte également et retira sa main. Le bois était bien déformé.
— La pitié que je ressentais pour elle était tellement forte que j'en aurais pleuré si je n'avais pas été un Waldren. Les Waldrens sont incapables de verser la moindre larme, précisa-t-il en voyant mon air d'incompréhension. Je l'ai finalement transformé avant même de me rendre compte de ce que je faisais, reprit-il. Quand j'ai réalisé ce que je venais de faire, je me suis demandé si j'avais bien fait de lui faire
endurer une telle chose. Elle venait de subir d'atroces souffrances et je lui en rajoutais en la transformant en monstre.
Il lâcha un petit rire sarcastique.
— Je m'attendais à la voir se tordre de douleur mais au lieu de ça, elle a commencé à délirer, alors je l'ai emporté avec moi, pour la ramener à Christian. Au bout de quelques heures, seulement, c'était fini. Elle était devenue une Waldren.
Je tressaillis sur mon siège et pris quelques instants avant de prendre la parole.
— Elle ne t'en a pas voulu, dis-je d'une petite voix.
Je dus me racler la gorge pour poursuivre.
— Elle m'a dit que tu l'avais sauvé en la transformant.
Eden hocha gravement la tête tout en pinçant les lèvres.
— Oui. C'est exactement ce qu'elle m'a dit quand elle a compris ce qu'elle était devenue. Elle m'a remercié de l'avoir transformé. Elle en a presque pleuré de reconnaissance pour l'avoir amené loin de l'enfer dans lequel elle vivait depuis dix-neuf ans. C'était bien la première fois qu'on me remerciait pour ça.
La gorge me serra. J'imaginais sans mal la scène.
— J'ai mis du temps avant de comprendre qu'elle avait raison et que, pour une fois, j'avais sauvé une vie au lieu de la prendre.
Il me regarda les yeux emplis de pitié.
— C'est tout ce que je peux te raconter, me dit-il. Le reste, c'est à Judy de t'en parler. C'est beaucoup trop personnel pour que je le fasse à sa place. J'espère que tu comprends.
Je lui adressais un petit sourire, malgré le chamboulement que je ressentais dans mon coeur en découvrant une partie de la vie de Judy.
— Bien sûr. Elle m'en parlera quand elle le désirera.
Eden me sourit tendrement.
— Merci.
Il se pencha vers moi et me caressa lentement la joue.
— Judy t'apprécies énormément, je suis sûre qu'elle t'en parlera tôt ou tard. Elle te laisse juste un peu de temps, je pense, pour digérer tout ce que tu viens d'apprendre
sur nous. Je pense qu'elle ne veut pas te choquer.
— Pourquoi me choquerait-elle ?
Eden paru hésiter.
— Disons que ce qu'elle a subi est plutôt difficile à entendre et à imaginer.
Je déglutis avec peine, me préparant déjà au pire.
— Je comprends. J'attendrais alors, dis-je déterminée.
Il sourit de nouveau d'un air presque émerveillé et je ne pus m'empêcher de lui demander ce qui le faisait sourire.
— Je te trouve extrêmement tolérante, surtout pour quelque chose qui est, quand même, assez fou. Je ne pensais pas que tu le prendrais aussi bien.
— Toi tu t'imaginais que je m'enfuirais en courant, lui rappelais-je en levant les yeux au ciel.
— Parce qu'encore une fois, c'est la réaction la plus logique à adopter, à mon sens, rétorqua-t-il en fronçant les sourcils.
— Tu aurais préféré que je réagisse comme ça ?
Il hésita pendant quelques secondes avant de soupirer.
— Non. Je suis bien content que tu le prennes aussi bien et avec autant de facilité, je le reconnais.
Je souriais, satisfaite de sa réponse.
— Mais ce n'est pas pour autant que je t'en voudrais si tu exprimais de la peur, précisa-t-il. Parce que tu en as le droit.
Je penchais la tête sur le côté tout en le regardant dans les yeux.
— Je suis désolée de te décevoir, mais je n'ai pas peur, dis-je pleine d'assurance.
Il eut un petit sourire.
— Je n'en attendais pas moins de toi. Tu es pleine de contradiction, de toute façon.
Je haussais les épaules, comme si je n'y pouvais rien.
Je me levais de mon siège et m'apprêtais à me diriger vers la porte d'entrée pour fermer la librairie, quand la main d'Eden se referma sur mon poignet. Je me retrouvais plaquée contre son torse musclé, son visage à quelques centimètres du
mien.
— Qu'est-ce que tu fais ? demandais-je surprise.
— Je te montre que tu devrais avoir peur d'être avec quelqu'un comme moi, me susurra-t-il, son souffle chaud me caressant la peau.
Mon coeur eut un raté et ma respiration s'accéléra.
— Ton petit jeu ne sert à rien, Eden, réussis-je à articuler, malgré les tremblements dans ma voix. Je n'ai pas peur de toi, c'est un fait.
Il me fit pivoter de façon à ce que je me retrouve collée au bureau, son corps au dessus du mien.
— Tu dis ça parce que tu ne te rends pas compte de ce dont je suis capable, me dit-il d'un air presque menaçant qui me fit frissonner malgré moi.
— Je dis ça parce que je sais que tu ne me feras pas le moindre mal, chuchotais-je.
Eden ferma les yeux et secoua la tête.
— Ta confiance m'honore, dit-il ce qui me fit lâcher un petit rire. Mais je veux que tu prennes pleinement conscience de ce que je suis. Et je n'ai pas l'impression que ce soit réellement le cas.
Il s'était approché davantage de moi, ses lèvres tout près des miennes et je sentis mon coeur s'affoler dangereusement dans ma poitrine.
— Et comment comptes-tu t'y prendre pour me prouver ça ? articulais-je faiblement.
Un sourire se dessina sur ses lèvres parfaites et j'eus une furieuse envie de l'embrasser. Il approcha sa bouche de mon oreille.
— Viens avec moi, ce soir, me chuchota-t-il. Je te montrerais l'étendu de mes pouvoirs. Tu es d'accord ?
Mon corps fut parcouru de frissons incontrôlables et je ne sus si c'était par envie de sentir ses lèvres contre les miennes ou si c'était par excitation à l'idée de ce qu'il allait me montrer sur ses capacités.
Il se redressa, ses lèvres effleurant les miennes délicatement et je commençais à fermer les yeux, dans l'attente du baiser qui allait suivre.
— J'attends une réponse, Wendy.
Je rouvris les yeux, frustrée qu'il joue avec moi de cette façon. Mais son regard dévorant suffit à me montrer que lui aussi, était à deux doigts de craquer.
— Oui, murmurais-je.
Eden sourit mais se recula légèrement alors que je m'approchais de lui pour obtenir ce que je voulais.
— Oui, quoi ?
Il était vraiment décidé à jouer avec mes émotions.
— Oui, je viendrais ce soir...
J'eus à peine le temps de terminer ma phrase que ses lèvres s'avancèrent vers les miennes. Au moment où ma patience allait enfin être récompensée, je le sentis se figer. Avant que je ne puisse poser la moindre question, la porte de la librairie s'ouvrit violemment et une voix résonna derrière le comptoir.
— Lâche-là !
Eden se redressa et je vis ses yeux incendier du regard la personne qui venait de nous surprendre. Je n'avais pas besoin de me retourner pour connaître son identité.
Je me tortillais malgré tout afin de me redresser. Eden se recula légèrement pour me permettre de me tourner vers Liam. Celui-ci jetait un regard noir en direction d'Eden.
Ses poings étaient fermement serrés et ses épaules se soulevaient au rythme de sa respiration, montrant qu'il était bouillant de colère.
Malgré le rouge qui se mit à teinter mes joues d'avoir été surprise dans un tel moment avec Eden, par Liam, qui plus est, je me forçais à adopter un ton calme.
J'imaginais très bien ce qu'il avait pu imaginer en voyant Eden penché au dessus de moi.
— Liam, ce n'est pas ce que tu crois.
Ses narines étaient dilatées et ses lèvres pincées. Il était totalement hors de lui.
— Comment oses-tu t'en prendre à elle ? siffla-t-il entre ses dents serrées à l'intention d'Eden.
Ce dernier était toujours prêt de moi, les muscles tendus, visiblement prêt à ne pas se laisser faire et même à me protéger si Liam tentait quoi que ce soit. Sauf que Liam
ignorait qu'Eden possédait une force incroyable et qu'il lui suffisait d'un rien pour le mettre au tapis. Il était hors de question que je les laisse en arriver là.
— Liam, s'il te plaît..., tentais-je de le raisonner.
— T'en prendre à ma soeur ne t'a pas suffi, visiblement. Il t'en faut toujours plus, dit-il en m'ignorant superbement, le visage rouge de colère.
Je me figeais en entendant ses paroles. Le récit de Liam me revint en mémoire d'un seul coup. J'avais complètement oublié l'histoire qu'il m'avait raconté sur Lina, en vue de me mettre en garde contre Eden. J'avais découvert tellement de choses ces derniers jours, que j'avais omis de demander à Eden les détails sur ce qui s'était réellement passé ce jour-là.
Pourtant, ce n'était pas le bon moment pour parler de tout ça. Je devais calmer Liam avant que sa colère n'atteigne un point de non retour.
J'ouvris la bouche pour parler mais Eden me devança.
— Liam, tu devrais te calmer, lui conseilla-t-il, un poil menaçant.
Je me demandais si c'était réellement la meilleure chose à lui dire, guère convaincue que Liam obéisse docilement.
— Ne me dis pas ce que je dois faire ! cracha-t-il.
Non, ce n'était décidément pas la meilleure tactique à adopter. Il valait mieux qu'Eden ne parle pas, pour éviter d'accentuer la colère de Liam.
Je me tournais vers lui pour lui faire comprendre de ne pas intervenir, mais il garda les yeux rivés sur Liam, plein de détermination.
— Je te dis seulement qu'il est préférable que tu gardes ton calme, renchérit Eden.
— C'est une menace ? persifla Liam.
— Non, juste un conseil.
Liam semblait littéralement prêt à exploser. Il fit un pas en avant, les muscles bandés.
— Tu peux te les garder, tes conseils.
Eden ne cilla pas face au ton haineux de Liam, mais je sentis sa main glisser sur mon poignet et me reculer légèrement. Il le dévisageait comme s'il ne représentait aucun danger. Ce qui était le cas, en comparaison de lui.
— Liam, ça suffit, dis-je en me tournant vers lui.
— Wendy, ne t'inquiète pas, il ne te fera rien, me répondit-il sans me regarder.
Je fronçais les sourcils tandis qu'Eden levait les yeux au ciel, chose qu'il n'aurait jamais dû faire. Liam s'approcha de nouveau de lui.
— Je le sais qu'il ne me fera rien, dis-je avant qu'il ne puisse dire quoique ce soit à Eden.
Je venais de faire un pas en avant mais Eden me retint fermement.
— Tu ne sais pas ce dont il est capable, Wendy.
Sa réflexion aurait pu me faire sourire puisqu'il venait de reprendre les mots qu'Eden m'avait dit quelques instants plus tôt. Sauf que je n'avais pas du tout le coeur à rire. J'étais bien trop inquiète que la situation ne dégénère entre Liam et Eden.
— Toi non plus, intervint Eden à voix basse.
Je me tournais vers lui, horrifiée qu'il continue de le pousser à bout au lieu d'essayer de faire profil bas. Mais Liam ne sembla pas l'avoir entendu, pour mon plus grand soulagement.
— Cette fois, je ne le laisserais pas s'en sortir aussi facilement, poursuivit Liam, imperturbable.
Il fit de nouveau quelques pas en direction d'Eden et, réussissant à me dégager de l'emprise de ce dernier, je m'empressais de me placer entre les deux. Liam sembla
déstabilisé par mon geste. Il posa enfin ses yeux sur moi, son regard passant de la colère à l'incompréhension en quelques secondes.
— Liam, ça suffit, dis-je fermement. Tu te méprends, je t'assure.
Il ouvrit de grands yeux, comme si j'étais folle.
— Wendy, comment peux-tu le défendre ? Tu ne vois pas qu'il te manipule, tout comme il a manipulé ma soeur ?
— Il ne me manipule pas, Liam.
Il m'observait, attendant visiblement que je développe mes propos. Je me mordis la lèvre en essayant de trouver la meilleure façon de lui dire ce que je ressentais pour Eden mais il finit par se figer. Ses poings se desserrèrent et ses épaules s'affaissèrent en comprenant ce qui se passait.
— Ne me dis pas que...tu as, toi aussi, des sentiments pour lui ? chuchota-t-il sans y croire.
Je pinçais mes lèvres et me sentis rougir. Il écarquilla légèrement les yeux avant de les poser sur Eden, plus brillants de colère que tout à l'heure.
— Qu'est-ce que tu lui as fait ?! s'emporta-t-il.
J'ouvris de grands yeux face à l'incompréhension de sa réaction.
— Qu'est-ce que tu lui as raconté comme bobards pour qu'elle tombe dans tes filets ?
Liam s'était avancé vers nous, essayant d'atteindre Eden.
— Tu te crois plus malin, c'est ça ? fulmina-t-il.
— Liam, je t'en prie ! m'interposais-je de nouveau.
Mais Liam venait, au même instant de se rapprocher et il m'aurait bel et bien percuté si Eden ne m'avait pas tiré en arrière pour me placer derrière lui.
Il se retrouva nez à nez avec Liam, le dominant de toute sa hauteur, l'air mauvais.
— C'est la dernière fois que je te conseille de te calmer, Liam, lui dit-il d'une voix grave et ferme, me faisant tressaillir. Ce qui se passe entre Wendy et moi ne te regarde en aucun cas et je te prierais de bien vouloir le respecter.
Liam lâcha un petit rire sec.
— Tu ne manques pas d'air ! Tu crois vraiment que je vais te laisser la manipuler de cette manière si...malsaine ?
Il se rapprocha encore, le visage à quelques centimètres de celui d'Eden qui ne parut pas du tout impressionné.
— Je sais ce que tu es, Eden, cracha-t-il lentement, sûr de lui.
— J'en doute.
Eden contracta sa mâchoire mais continuait de fixer Liam.
— Si tu savais qui j'étais réellement, jamais tu ne te permettrais de faire ce que tu fais actuellement. Crois moi.
Une sueur froide coula le long de ma colonne vertébrale tandis que j'observais tour à tour Eden et Liam se défiant du regard. Je vis Liam serrer le poing droit et la panique s'empara de moi. Je me reculais pour échapper à l'emprise du bras d'Eden, qu'il tendait toujours devant moi pour m'empêcher de m'interposer, et me glissais à leur côté. Je posais une main sur l'épaule de chacun afin de les forcer à reculer. Mais malgré toute la force que je déployais, je ne parvins pas à les faire bouger, ne serait-ce que d'un pouce.
— Arrêtez ça tout de suite ! m'écriais-je alors. Ça suffit, maintenant ce petit jeu ridicule ! Je vous rappelle qu'on est dans un lieu public et que des clients sont susceptibles de vous voir. Alors arrêtez !
Je sentis Eden se détendre en premier. Je savais qu'il allait réagir à mes propos et j'en fus soulagée. Il se recula d'un pas, mais faisait toujours son possible pour se contenir. Je me tournais alors vers Liam qui le regardait, un petit sourire triomphant sur les lèvres et j'eus une terrible envie de lui mettre une gifle. Il ne se rendait pas compte que ce n'était pas le moment de jubiler ?
— C'est ça, fais toi passer pour le gentil docile, le provoqua Liam.
— Liam ! m'écriais-je, outrée par son comportement enfantin.
Eden le dévisageait avec mépris.
— Je me dis seulement que tu n'en vaut pas la peine, mon pauvre Liam.
Ce dernier se crispa et j'eus tout juste le temps de le pousser pour l'empêcher d'avancer. Eden fit un pas en avant, probablement pour m'obliger à reculer, mais je tendis la paume dans sa direction pour qu'il me laisse gérer.
— Je t'interdis de m'appeler comme ça ! s'emporta Liam.
— Ça suffit !! criais-je plus fort, exaspérée.
Le silence tomba entre nous trois, mais la tension resta palpable. Je gardais mes mains tendues entre les deux.
— Liam, je crois que tu ferais mieux de partir, assénais-je en regardant mon ami.
Il tourna ses yeux vers moi et je vis une pointe de tristesse les traverser, qui me serra le coeur.
— Wendy...
Je levais la main pour l'arrêter.
— Non, Liam. Je ne cautionne pas ce genre de comportement, et tu le sais bien, le sermonnais-je comme s'il était un enfant.
Ses épaules s'affaissèrent.
— Je m'inquiète juste pour toi, Wendy.
Il avait jeté un regard en direction d'Eden et je compris qu'il avait des choses à me dire mais qu'il ne voulait pas que celui-ci les entende. Je poussais un profond soupir.
— Viens avec moi, lui dis-je en l'entraînant à l'extérieur.
Je me tournais brièvement vers Eden qui me regardait en fronçant les sourcils.
— Je reviens, lui lançais-je en ouvrant la porte, tout en entraînant Liam à ma suite.
Il sembla perplexe mais ne dit rien. Je refermais la porte derrière nous et croisais les bras sur ma poitrine. Le soleil m'obligea à plisser les yeux pour ne pas être éblouie, mais je continuais, malgré tout à regarder Liam sévèrement. Il finit par se passer rageusement la main dans ses cheveux foncés.
— Wendy, qu'est-ce qui se passe entre toi et lui ?
Sa voix semblait désespérée.
— Je t'avoues que ta démonstration de tout à l'heure ne me donne pas vraiment envie de te répondre, rétorquais-je.
Il poussa un râle de frustration.
— Ne me dis pas que tu as des sentiments pour lui ! s'indigna-t-il.
Je le regardais avec des yeux ronds.
— Il me semble que ça ne te regarde pas.
Il s'approcha de moi vivement, m'obligeant à décroiser les bras.
— Wendy, il est dangereux, me dit-il en plantant son regard dans le mien.
Sur ce point, je ne pouvais pas totalement lui donner tort. Eden était effectivement quelqu'un que l'on pouvait qualifier de dangereux de part ses capacités hors du commun. Pour autant, jamais il n'en userait avec moi pour me faire du mal. Mais cela, Liam ne devait en aucun cas le savoir.
— Liam..., soupirais-je de nouveau.
— Non, tu ne comprends pas ! s'emporta-t-il en reculant avant de revenir se planter devant moi. Il va te faire du mal, Wendy ! Tôt ou tard.
Je secouais lentement la tête.
— Je sais que tu as peur pour moi par rapport à ce qui s'est passé avec ta soeur...
— Justement ! Tu veux qu'il t'arrive la même chose ?
Je le regardais, bouche bée. Je n'aimais pas la manière dont il me parlait. Je n'aimais pas la manière qu'il avait de me mettre en garde contre Eden alors qu'il ne le connaissait même pas.
— Liam, je t'apprécie beaucoup, mais comme te l'a dit Eden, ce qui se passe entre lui et moi ne te regarde pas. Je suis suffisamment grande pour décider toute seule de ce qui est bon pour moi. Alors je te remercie de t'inquiéter pour moi, mais je te demanderais de respecter mon choix. Si tu n'en es pas capable, je ne sais pas si on va pouvoir rester ami.
Je savais que mes paroles étaient dures et que j'allais indubitablement le peiner, mais je n'avais pas le choix.
Je le vis ouvrir de grands yeux et afficher une mine déconfite. Mon coeur se serra instantanément. J'appréciais beaucoup Liam, c'était vrai. Et cela me faisait de la peine d'en arriver à ce stade. Mais il était hors de question que, lui aussi, se permette de donner son avis sur ma relation avec Eden.
— Je vois, dit-il enfin, d'une voix blanche. J'imagine que ça n'a jamais été que ça, de toute manière.
Je fronçais les sourcils, ne comprenant pas ce qu'il voulait dire. Il ne me laissa pourtant pas le temps de réagir. Il releva la tête et ses prunelles marrons brillaient d'un éclat plus dure.
— Je n'ai plus qu'à te souhaiter une bonne continuation, alors, dit-il d'un ton sec qui me fit mal. Je refuse de cautionner ce qui se passera. Parce que, quoique tu dises, il se passera inévitablement quelque chose, Wendy. Et ce jour-là, tu ne pourras pas dire que je ne t'aurais pas prévenu.
Il commença à tourner les talons et je sentis une pointe de tristesse me transpercer le coeur.
— Liam..., l'appelais-je doucement pour le retenir.
Je ne voulais pas que notre amitié se termine de cette manière. C'était bien trop triste. Bien trop dommage.
Il continua d'avancer avant de s'arrêter finalement. Je repris espoir en me disant que, peut-être, il allait se tourner vers moi avec son sourire de petit garçon et qu'il allait me dire qu'il plaisantait, qu'il était prêt à accepter ma décision même s'il n'était pas d'accord.
Mais cela ne se passa pas de cette manière.
Il se tourna à demi, m'offrant seulement le profil de son visage qui était dénué de sourire.
— Sache quand même que ce jour-là, je serais là pour toi...
Ses mots suffirent à m'achever davantage.
Je le regardais traverser la place, les épaules basses, et je sentis les larmes me monter aux yeux quand je pris conscience que je venais de perdre l'un de mes premiers amis.P.S : 🌟 merci de cliquer sur la petite étoile en bas du chapitre si vous avez aimé 🌟
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Anmore Cove
ParanormalA dix-huit ans, Wendy décide de partir vivre avec son oncle qui lui a trouvé un stage dans la librairie de sa ville, Anmore Cove. Encore marquée par l'abandon de son père quand elle avait six ans, la jeune fille voit dans ce changement l'échappatoir...