Chapitre 10

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Sur le trajet du retour, Eden me posa des questions sur mes goûts littéraires, auxquelles je répondis avec un enthousiasme non feint.
Ce fut sans surprise qu'il se moqua gentiment de moi quand je lui parlais des soeurs Brontë ou de Jane Austen, m'accusant de ne pas être très originale.
Je tâchais de me défendre en lui disant qu'il ne pouvait pas me juger sur deux exemples et que, de plus, ces auteures faisaient parties des grands classiques.
— Justement, rit-il. Je sais pertinemment que tu aimes les classiques, ça se voit de suite. Je parlais des autres livres, ceux que tu aimais faire découvrir aux autres.
Je lui déballais alors tous les livres que je possédais. Du roman romantique au fantastique, tout y passa. Je glissais quand même d'autres auteur intemporels, tels que Victor Hugo ou encore Shakespeare. Je lui prouvais ainsi que mes goûts étaient hétéroclites, ce qu'il ne manqua pas de relever.
— Il n'y a pas un genre que tu n'aimes pas ?
— Je ne suis pas très romans policiers ni science-fiction, répondis-je après une minute de réflexion. Ils ont tendance à vite me lasser. Je trouve que c'est toujours un peu pareil.
— Cela dépend de comment c'est écrit, j'imagine. Tu lis quoi, en ce moment ?
— Anne de Green Gables, répondis-je avec un petit sourire rêveur sur les lèvres avant de me reprendre. Et toi ? Mis à part les livres anciens, tu aimes lire ? Demandais-je, curieuse de savoir s'il avait lu mes romans préférés.
Eden haussa les épaules.
— Un peu, oui. J'ai lu certains des livres que tu as cité.
— Lesquels ?
— Austen et Brontë, évidemment, répondit-il en levant les yeux au ciel.
Je pris un air faussement outré.
— Voyons Eden, tu m'as habitué à plus d'originalité.
Il eut son petit sourire en coin si séduisant et je sentis mon coeur battre un peu plus vite avant de le morigéner intérieurement. Si à chaque fois qu'il me souriait mon rythme cardiaque s'emballait, cela risquait d'être assez compliqué.
— Quel est ton préféré ? continuais-je, comme si de rien n'était.
— De Brontë, Jane Eyre, sans l'ombre d'un doute. De Jane Austen, c'est plus difficile..., hésita-t-il. Je dirais peut-être Northanger Abbey.
Un sourire béat s'afficha sur mes lèvres alors qu'il citait mes deux romans favoris.
— Pour quelles raisons les aimes-tu ? Demandais-je en essayant de cacher ma joie.
— Le premier parce qu'il est plus positif que Les Hauts de Hurlevent et puis Rochester me plait assez.
— Rien d'étonnant, murmurais-je en me disant qu'Eden avait un caractère un peu similaire à Rochester.
— Et Northanger Abbey parce que c'est le plus drôle de Jane Austen, finit-il sans relever mon intervention. Il change un peu des autres, bien que la trame de fond reste la même.
— Je suis d'accord, approuvais-je.
Nous discutâmes pendant tout le trajet de nos opinions sur les romans que nous avions lu et je notais, non sans satisfaction, que même s'il se moquait de moi quant à mon enthousiasme à parler de mes auteurs favoris, il n'était pas avare non plus pour ce qui était de donner son point de vue.
Quand il se gara derrière la librairie, je ne m'étais même pas rendue compte que nous étions déjà arrivés.
— Bon, il est temps de se remettre au travail, dis-je en soupirant.
— J'aurais aimé poursuivre notre discussion, mais je pense qu'il vaut mieux que j'évite de donner à Christian de quoi m'en vouloir davantage.
Je n'avais même plus pensé à ce qui s'était passé juste avant qu'Eden me propose de dîner avec lui. J'avais eu l'impression de me retrouver dans une bulle avec Eden pendant ces quelques heures. Mais la réalité était à présent revenue et il était temps que nous nous séparions.
Je me penchais pour ouvrir la portière, sous les yeux d'Eden qui ne bougea pas d'un pouce. Je me tournais alors vers lui.
— Tu ne viens pas ?
— Non. Il vaut mieux que j'aille trouver Christian, me dit-il avec un petit sourire presque peiné.
— Oui, je comprends. A plus tard, alors.
J'ignorais si je le reverrais dans la journée ou prochainement. Eden venait quand il l'avait décidé ou quand il désirait voir Christian. Mais leur relation était plutôt tendue, en ce moment, à cause de la venue de cette personne indésirable. Je devais m'attendre à ne pas revoir Eden de sitôt. Ne souhaitant pas qu'il devine ma déception, je m'empressais de sortir de la voiture.
Je refermais la portière derrière moi, constatant au passage qu'Eden me fixait toujours. Je lui adressais un sourire timide avant de me diriger vers la porte arrière de la boutique.
Sa voiture démarra au moment où je passais la porte et Judy m'accueillit en se jetant pratiquement sur moi.
— Alors ? Me demanda-t-elle prestement.
Je m'écartais d'elle et allais poser mes affaires sur le porte-manteau.
— Alors quoi ? Demandais-je innocemment.
Elle roula des yeux.
— Qu'est-ce que vous avez fait, tous les deux ? insista-t-elle.
Je me sentis rougir jusqu'aux oreilles en entendant sa question.
— On a mangé, rien de plus. Qu'est-ce que tu as encore imaginé ?
— Il a été gentil ?
Elle s'était approchée de moi tandis que je me débarrassais de mon écharpe.
— Il a été normal.
J'avais opté pour une réponse évasive, pour ne pas que Judy se fasse des films sur son frère et moi.
— Normal chez Eden ça ne veut rien dire, grimaça-t-elle. Ce pauvre garçon n'est jamais normal.
Je me dirigeais vers l'accueil, Judy sur mes talons.
— Eh bien normal chez moi ça veut dire ni de mauvaise humeur, ni de trop bonne humeur, dis-je en m'installant devant l'ordinateur. Normal, quoi.
Judy resta debout à côté de moi.
— Il n'était pas perturbé ou irrité ?
— Non. Enfin, me repris-je, un peu au début parce que je lui ai posé des questions sur cette personne qu'il souhaitait éviter. Mais après, non. On a discuté de tout et de rien, comme des gens normaux.
— Il t'a parlé de... cette personne ? S'étonna Judy en ouvrant ses grands yeux couleur senois.
— Pas en détail. Il m'a simplement dit que cette querelle datait de longtemps, qu'ils avaient tous les deux leurs torts mais que lui en était conscient et qu'ils n'avaient jamais parlé de tout ça ensemble, expliquais-je.
Je regardais Judy qui semblait sous le choc et me demandais, un bref instant, si j'avais bien fait de rapporter ce qu'Eden m'avait dit à ce sujet. Cela dit, elle connaissait toute l'histoire, ce n'était pas comme si elle ignorait tout et que son frère m'avait demandé de garder le secret.
— Il y a un problème ? Demandais-je comme elle ne réagissait toujours pas.
Judy secoua lentement la tête.
— Je suis juste... surprise qu'Eden t'ai dit tout ça.
— Parce que tu trouves que c'est beaucoup ce qu'il m'a dit ? Demandais-je en rigolant.
— Pour mon frère, crois-moi, c'est énorme !
Ce fut à mon tour de marquer un petit temps d'arrêt, tandis que de légères palpitations se déclenchaient dans ma poitrine. Eden avait eu suffisamment confiance en moi pour me dire des choses qu'il ne disait pas à n'importe qui. C'était assez flatteur.
— Et donc après ? Continua Judy.
— Après on a parlé de...tout autre chose, répondis-je en repensant à notre description mutuelle de l'autre.
Il était hors de question que je confesse cette partie à Judy. Ce n'était pas par manque de confiance en elle, mais c'était trop personnel, presque intime, pour le lui révéler. 
Elle finit par soupirer en s'asseyant à côté de moi.
— Tout va bien ? Demandais-je en voyant sa mine perplexe.
Elle grimaça.
— C'est en rapport avec la personne qu'Eden évite, c'est ça ?
Elle me jeta un bref coup d'oeil et je compris que j'avais vu juste.
— Disons que les choses ne se sont pas passées comme on l'espérait, dit-elle alors avec un maigre sourire.
— A cause de l'absence d'Eden ?
Je me sentis soudain mal d'avoir contribué à ce que les choses ne se passent pas bien pour Judy, Christian et Rose. Mais ma collègue me sourit doucement.
— Non, ne t'en fais pas. Eden a eu raison de ne pas venir et de rester avec toi. Sa présence n'aurait rien changé, de toute façon.
Elle paraissait réellement soucieuse malgré son souci de me rassurer.
— Que s'est-il passé, Judy ? Risquais-je malgré ma certitude qu'elle ne me dirait rien.
Elle prit une profonde inspiration avant de poser une main sur la mienne.
— Rien qui ne devrait t'inquiéter, rassure-toi.
Ses petits yeux noisettes cherchèrent à me convaincre et je finis par hocher la tête.
— D'accord.
Elle se leva prestement de sa chaise et alla retourner la pancarte de la porte, avant de revenir vers moi avec un petit sourire espiègle.
— Je suis bien contente, finalement.
— De quoi ?
— Qu'Eden et toi ayez mangé ensemble, bien sûr ! Rit-elle.
Sa réflexion me fit rougir.
— Ah bon ? Pourquoi ça ? Demandais-je en passant nerveusement un main dans mes cheveux, emmêlant encore plus mes boucles.
Elle affichait toujours son petit air mutin.
— Mais parce que visiblement il a su se montrer agréable avec toi, sinon tu n'aurais pas eu l'air aussi contente en arrivant.
Je m'empourprais davantage.
— Je ne..., tentais-je de me justifier.
Mais c'était peine perdue, Judy me coupa avec un air satisfait tout en m'adressant un clin d'oeil.
— Ton sourire a parlé pour toi, ma belle !

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