Quand je retournais dans la librairie, j'avais le coeur lourd et les yeux brillants de larmes refoulées. Je refermais la porte derrière moi et retournais la pancarte. Je restais un petit moment à regarder par la porte vitrée, luttant pour retenir mes larmes.
Je fermais les yeux un instant.
Je venais de perdre Liam. Mon ami. Celui qui, en peu de temps, était comparable à un frère.
Je n'avais pas les mots pour décrire ce que je ressentais au fond de moi. Ce n'était que vide et profonde tristesse. J'aurais tellement aimé que les choses ne se passent pas comme elles venaient de se passer. Mais, quelque part, il n'y aurait jamais eu de bonne manière de lui dire que j'étais tombée amoureuse de la personne même qu'il haïssait par dessus tout. Liam ne l'aurait jamais compris et, visiblement, ne le comprendrait jamais. Pour lui, Eden n'était que l'agresseur de sa soeur et il n'y avait aucune raison valable qui serait susceptible de lui faire changer son point de vue.
Je pris une profonde inspiration, les yeux toujours clos. Même si j'étais bouleversée, je n'avais pas eu le choix. Et, malheureusement, si c'était à refaire, je le referais.
Mon oncle avait raison. Je ne comptais pas me laisser dicter ma conduite par d'autres personnes, même si elles démontraient par là qu'elles s'inquiétaient pour moi. Je savais ce que je faisais et je ne permettais pas que l'on s'octroie le droit de me persuader que mon choix n'était pas le bon. Parce qu'il l'était. Pour moi, il l'était. C'était tout ce qui importait.
Je sentis la main d'Eden se poser avec douceur sur ma hanche et je rouvris les yeux.
— Je suis désolé, chuchota-t-il.
Je poussais un profond soupir et me tournais vers lui. Son regard était empreint de tristesse ce qui me toucha.
— Ce n'est pas de ta faute.
— Bien sûr que si.
Je fronçais les sourcils. Je ne voyais pas pourquoi il se sentait responsable alors que c'était Liam qui était venu le chercher et qui l'avait provoqué. Eden n'avait fait que se défendre, d'une certaine manière. Je ne pouvais pas lui en vouloir.
— Tu ne serais pas avec moi, tu aurais gardé ton amitié avec Liam, me dit-il les yeux plantés dans les miens.
Je restais interdite face à ses propos. Il avait, de toute évidence, écouter notre conversation, et il avait été témoin du dénouement final. Mais ce n'était pas tellement cela qui me peinait le plus.
— J'aurais gardé mon amitié avec Liam s'il n'éprouvait pas autant d'animosité envers toi, répliquais-je calmement.
Eden ne répondit pas mais pinça les lèvres.
— Animosité, qui, je te rappelle, découle d'une simple supposition, rajoutais-je.
— Tu ignores ce qui s'est passé, tu ne peux pas dire que c'est une simple supposition.
— C'en est une dans la mesure où il ne peut pas affirmer que tu es responsable de ce qui s'est passé avec sa soeur.
— Peut-être bien que je le suis.
Sa réponse franche et sèche me déstabilisa quelques secondes.
— Que veux-tu dire ?
La mâchoire d'Eden se crispa et il détourna les yeux. Comme si cela lui pesait de me dire la vérité.
— Je ne pouvais pas te parler de cette histoire avant que tu ne saches notre secret, dit-il enfin. Maintenant que tu es au courant, je n'ai plus de raison de te cacher la vérité sur ce qui s'est passé avec Lina.
Je sentis mon coeur s'affoler, malgré moi. J'étais convaincue qu'il n'était en rien coupable dans la description que Liam m'avait fait de l'agression de sa soeur.
Pourtant, en cet instant, le doute s'empara de moi. Je redoutais la réponse qu'il allait me donner. Après tout, quelques instants plus tôt il m'avait avoué qu'il avait traqué
Judy quand elle était encore humaine afin de la sacrifier pour le rituel de l'appel du sang. Même si cette histoire datait de nombreuses années en arrière, il ne m'avait pas vraiment dit à quel moment il avait arrêté d'aider les nouveaux transformés à chasser des coeurs. Etait-il possible qu'il s'était mis en quête de traquer le coeur de Lina ?
Je réfutais obstinément cette hypothèse de mon esprit. Non, Eden n'aurait jamais fait cela. C'était impossible. Il était évident qu'il y avait une autre explication et je devais la connaître.
Je fis un pas vers lui mais il n'y prêta aucune attention. Il avait les yeux perdu dans le vague, sûrement en train de se remémorer cette fameuse nuit.
— Eden, lui dis-je d'une voix calme. Que s'est-il passé ce soir là ?
Il se tourna de nouveau vers moi, ses prunelles devenues dures. Il affichait un air grave et je me sentis frissonner malgré moi. Je devais pourtant rester maître de mes
émotions. Eden me tourna le dos et je l'entendis soupirer avant de prendre la parole.
— Liam t'a raconté comment sa soeur en est venue à être attirée par moi ? demanda-t-il en me jetant un coup d'oeil par dessus son épaule.
Je hochais la tête.
— Oui, il m'a dit que tu l'avais défendu contre des types.
Il acquiesça. Liam ne m'avait pas menti à ce propos, au moins.
— Depuis ce fameux jour, elle s'était mis en tête de venir quotidiennement à la librairie en espérant me voir, raconta-t-il. Comme je ne voulais pas alimenter ses sentiments, j'évitais le plus possible d'y aller. De plus, je ne voulais pas lui faire du
mal en la rejetant alors j'ai préféré m'effacer pendant quelques temps, certain qu'elle allait lâcher l'affaire et reprendre sa vie d'avant.
Je le vis baisser la tête brièvement avant de se tourner vers moi. Je n'avais pas bougé d'un pouce, désireuse de connaître la vérité sur toute cette histoire.
— Mais un jour, je n'ai pas eu d'autres choix que de retourner à la librairie, reprit-il. Un...Waldren était ici et je craignais qu'il fasse des dégâts dans la ville. Des dégâts considérables.
Il riva ses yeux dans les miens et je compris de suite ce qu'il essayait de me dire.
— C'était un...traqueur de coeur ? soufflais-je.
Eden opina et je déglutis avec peine.
— L'un des plus dangereux que je connaisse. Je savais qu'il rôdait par là et je voulais l'intercepter avant qu'il ne mette ses plans à exécution. Avec l'aide de Christian, et à force de persuasion, on a réussi à le convaincre de quitter la ville. On
l'a accompagné hors des limites et il est parti. Malgré tout, je le connaissais suffisamment pour douter de sa parole, alors je l'ai suivi jusque dans la région voisine, pour être sûr qu'il ne fasse pas demi-tour. Je suis rentré seulement quand je
l'ai vu dépasser la frontière.
Il soupira tandis que je retenais ma respiration. J'étais persuadée que l'histoire avec ce traqueur ne s'arrêtait pas là. Cela me paraissait beaucoup trop facile.
— Sauf qu'il m'a berné, dit-il les dents serrées. Il est revenu ce fameux soir où Lina m'attendait à la fermeture de la librairie. Je venais de rassurer Judy sur le départ du traqueur de coeur, quand elle m'a informé que Lina m'avait attendu toute la journée. Je n'avais plus le choix, je devais lui parler et lui dire d'arrêter de chercher à me voir. Qu'il le fallait pour sa propre sécurité. Mais au même moment, j'ai senti la présence du traqueur.
Je frissonnais d'effroi, redoutant la suite du récit, même si je la connaissais plus ou moins.
— Je l'ai retrouvé derrière la boutique. Il ne cherchait même pas à cacher son retour. Mais le fait qu'il revienne confirmait mes soupçons sur ses intentions. C'était plutôt comme s'il avait fait exprès de revenir pour me faire face. En vérité, il avait tout planifié.
Il lâcha un petit rire sarcastique en serrant le poing.
— Il m'a poussé à bout et je n'ai pas réfléchi. Au moment où je m'apprêtais à user de ma force, j'ai vu Lina se jeter sur nous.
Je frémis en écarquillant les yeux. Ma réaction pouvait paraître stupide, étant donné que je savais déjà ce qui s'était passé, mais j'avais l'impression de la découvrir sous un jour nouveau avec la version d'Eden. Et elle était beaucoup plus terrible que celle que Liam m'avait raconté.
— Je n'avais pas anticipé sa réaction et j'ai eu tout juste le temps d'ajuster ma puissance. Mais ça n'a pas été suffisant. Le coup que je destinais au traqueur était bien trop fort pour un humain. J'aurais bien pu la tuer.
Il avait soufflé ces derniers mots et je sentis mon coeur avoir un raté.
— Heureusement, j'ai pu stopper mon geste avant que les dégâts ne soient irréparables. Elle s'est évanouie sur le coup. Je m'en suis immédiatement voulu de ne pas avoir été plus prudent et de ne pas avoir réussi à me maîtriser. La culpabilité a été tellement grande que je suis resté une fraction de seconde complètement figé par ce que je venais de faire. Juste une simple fraction de seconde...
Tout mon corps se retrouva glacé d'horreur, mais je parvins à contrôler mes émotions. Je ne devais pas montrer à Eden la peur que j'éprouvais.
— Il n'en fallu pas plus au traqueur pour comprendre ce qui se passait et il profita de mon moment d'inattention pour se jeter sur elle en vu de...
Il s'arrêta et me jeta un bref coup d'oeil. Son regard transperçant me coupa les jambes mais je parvins malgré tout à rester debout.
— La sacrifier...
Mon intervention n'était qu'un murmure mais Eden le perçu nettement et hocha tristement la tête.
— Depuis le début, il avait sélectionné Lina pour être son coeur pur, dit-il d'une voix sourde. Il l'avait observé et avait vu qu'elle rôdait près de la librairie pour me voir. Il m'a attiré derrière la boutique, pour qu'elle nous surprenne et qu'ainsi, il
puisse mettre son plan à exécution en me faisant porter le chapeau.
Je retins un frisson de dégoût face ce plan machiavélique. Je comprenais mieux pourquoi Eden le considérait comme le pire Waldren traqueur de coeur qu'il connaisse.
Soudain, un détail dans son récit me frappa. Il m'avait dit que la lune rouge était un phénomène qui se déroulait tous les vingt ans. Or, le prochain rituel de l'appel du sang aurait lieu dans deux ans. La soeur de Liam avait dix-sept ans, si je me
souvenais bien. Il était impossible que son agression, qui devait remonter à trois ou quatre ans, ait eu lieu lors de l'appel du sang.
— Je ne comprends pas, lâchais-je, désappointée. Ce n'était pas encore le jour du rituel, je me trompe ?
Eden risqua un regard hésitant dans ma direction.
— Non, en effet, répondit-il. Il y a un...détail que je ne t'ai pas dit, concernant ce rituel.
Mon coeur battit plus vite dans ma poitrine.
— Quoi donc ? demandai-je, fébrile, m'attendant au pire.
Eden attendit quelques secondes avant de me répondre.
— Les transformés peuvent sacrifier un coeur pur et le...conserver jusqu'à l'appel du sang.
Les poils de ma nuque se hérissèrent. Je ne m'étais certainement pas attendu à ce genre de révélation.
— Tu veux dire que...
Je m'interrompis et le dévisageais, incapable de finir ma phrase qui resta bloquée au fond de ma gorge.
— Ils ne sont pas obligé d'attendre la lune rouge pour effectuer le sacrifice d'un humain, termina-t-il à ma place. Ce sont les traqueurs, généralement, qui usent de cette solution. Ainsi, ils assouvissent leur besoin de tuer sans être obligé d'attendre le jour du rituel.
Je lâchais une exclamation d'horreur. Je me rappelais alors qu'Eden avait parlé d'eux en les qualifiant de tueur en série. Je me rendais compte que c'était exactement le terme approprié. Effectivement, les traqueurs de coeur étaient les pires Waldrens qui pouvaient exister.
— C'est donc avec cette intention que le traqueur s'en ai pris à Lina, reprit-il de sa voix de ténor. Il avait détecté que son coeur pourrait lui octroyer un nouveau pouvoir, lors de la prochaine cérémonie. Il a profité de ma seconde d'inattention pour se jeter sur elle. Je me suis ressaisi au moment où il lui entaillait la poitrine. Je l'ai repoussé de toutes mes forces et me suis mis devant le corps de Lina pour la protéger. J'ai alors entendu qu'elle revenait à elle. Quand je me suis penché vers son visage, j'ai compris ce qu'il lui avait fait. C'était pire que ce que je croyais.
Eden ferma les yeux quelques instants tout en soupirant tandis que je tâchais de réguler ma respiration.
— Il avait commencé à extraire son coeur, finit-il par lâcher.
J'eus la sensation que tout mon corps se vidait de son sang et la nausée me serra le ventre. Je sentais clairement une goutte de sueur couler sur ma tempe.
— Elle était en train de se débattre furieusement pour rester en vie, entendis-je la voix d'Eden poursuivre. Quand un Waldren arrache le coeur de sa victime, la douleur est aussi forte que lors de la transformation. Sauf qu'en principe, elle ne dure pas longtemps.
Je fermais un instant les yeux et respirais par la bouche pour calmer mes vertiges.
C'est alors que les mots de Liam me frappèrent de plein fouet. Il m'avait dit que sa soeur lui avait décrit la sensation qu'elle avait ressenti, ce jour-là et qu'elle avait eu l'impression que son âme avait voulu s'extirper de son corps. C'était exactement les mêmes paroles qu'Eden avait prononcé pour m'expliquer ce que l'on ressentait quand on se faisait transformer.
Je dus me retenir au fauteuil qui se trouvait près de la porte pour ne pas m'effondrer au sol. L'image du coeur de Lina à moitié sorti de sa cage thoracique me souleva dangereusement l'estomac et je réprimais un haut le coeur, en couvrant ma bouche de ma main libre.
— Je ne savais pas quoi faire pour l'aider et le rire du traqueur résonnait continuellement dans mon dos, suffisant à me mettre hors de moi, ajouta Eden d'une voix vibrante de colère.
Malgré le dégoût qui tenaillait mes entrailles, je partageais la fureur qu'il ressentait pour cet inconnu qui avait infligé une telle torture à la soeur de Liam, par simple plaisir.
— Christian est arrivé au moment où je n'ai pas pu me maîtriser plus longtemps. Je crois que s'il ne nous avait pas intercepter, j'aurais réduis cette ordure en mille morceaux.
Je pinçais les lèvres pour réfréner un deuxième haut le coeur. Je ne doutais pas un seul instant que ses paroles étaient à prendre au sens propre. Je me souvenais encore de ce qu'il avait fait au sanglier qui m'avait surprise lors de ma promenade en forêt.
— Christian a ordonné au traqueur de quitter la ville le soir même. De toute façon, dans l'état dans lequel je l'avais mis, il n'était plus en mesure d'opposer la moindre résistance.
J'affichais un air sceptique devant sa remarque avant de me rappeler ce qu'il m'avait dit sur la puissance limitée des transformés face à un Waldren qui avait le gêne en lui.
— Les transformés sont beaucoup moins résistants lors d'un combat physique avec un Waldren qui possède le gêne, me dit-il pour confirmer mes soupçons intérieurs. Même s'ils ont une force similaire à la nôtre, elle ne fera jamais le poids face à celle d'un porteur du gêne. Il est donc possible d'infliger de sérieux dégâts à un Waldren transformés, même s'il est en mesure de se régénérer en quelques heures, suivant la
gravité des blessures.
Cette information, bien qu'intéressante, me passa complètement au-dessus de la tête, en cet instant. J'étais bien trop concentrée pour ne pas tomber encore une fois
dans les pommes.
— Christian a donc amené le traqueur avec lui et moi je suis retourné auprès de Lina. J'ai examiné l'ampleur des dégâts, pour savoir comment m'y prendre pour lui restituer son coeur. Par chance, le traqueur n'avait pas eu le temps d'arracher quoique ce soit, aussi, il m'a simplement fallu remettre le coeur à sa place d'origine. Quand ce fut fait, j'ai attendu que la douleur se dissipe, en essayant de la rassurer du mieux que
je le pouvais.
Liam m'avait dit que Lina avait cru entendre Eden lui murmurer que son calvaire serait bientôt fini. Sauf qu'il ne s'imaginait pas une seconde que c'était parce qu'il venait de lui sauver la vie en lui replaçant son coeur.
— Elle a de nouveau perdu connaissance, mais son coeur battait de manière régulière. Je l'ai donc ramené chez elle et ai attendu que son père et son frère rentrent pour l'amener aux urgences. Je l'aurais bien fait moi-même, mais j'avais les mains couvertes de son sang et nul doute qu'une enquête aurait été ouverte si je m'en étais chargé. Or, il était important, pour préserver notre secret, que personne ne soit au courant de ce qui venait d'arriver.
Je hochais machinalement la tête. Si Eden avait pris le risque d'amener lui-même Lina à l'hôpital, mon oncle aurait été appelé pour résoudre cette sordide affaire. Si tel avait été le cas, il était évident qu'il m'aurait dissuadé d'entamer une relation avec Eden. J'en étais certaine.
Je risquais un regard en direction d'Eden, qui m'observait avec attention, scrutant ma réaction. Heureusement, la nausée se dissipait lentement.
— Tu vois, Liam a véritablement de bonnes raisons de m'en vouloir pour ce qui s'est passé avec sa soeur, dit-il enfin, le regard chargé de remords.
Je secouais lentement la tête en me redressant. Je ne lâchais pas pour autant le fauteuil, sentant mes jambes encore faibles par tout ce que je venais d'entendre.
— Tu n'y es pour rien, le contredis-je d'une voix un peu éraillée. Tu lui as sauvé la vie.
Eden ouvrit de grands yeux.
— Wendy, je l'ai frappé.
— Mais tu ne l'as pas fait volontairement.
— Peut-être, mais il n'empêche qu'à cause du coup qu'elle a reçu, elle a bien failli mourir, ce soir-là. Et ce, par ma faute.
Je fronçais les sourcils, retrouvant petit à petit mes forces.
— Je ne suis pas d'accord avec toi.
Il soupira, excédé.
— Tu n'as pas être d'accord. C'est un fait.
Je croisais les bras sur ma poitrine et le dévisageais.
— Le fait est que si tu n'avais pas été là, elle se serait retrouvée dépouillée de son coeur qui aurait été gardé bien au chaud par un dangereux Waldren psychopathe en vu d'un sacrifice pour gagner un pouvoir. Ne me dis pas que c'est ce que tu aurais préféré.
Il leva les yeux au plafond.
— Tu ne comprends pas, Wendy.
Je m'approchais de lui, désireuse de lui faire comprendre le fond de ma pensée.
— Je ne comprends que trop bien, au contraire. Tu ne peux pas dire que j'ai tort, Eden. Tu sais très bien que j'ai raison. Sans toi, elle serait morte.
Il baissa les yeux vers moi, plein de dureté. Son corps était raide et je voyais les muscles de ses bras se tendre, signifiant qu'il était toujours en colère contre lui pour ce qui s'était passé ce soir-là. A moins que ce ne soit ma détermination qui le mettait dans cet état, ce qui était aussi, fort probable.
— Je ne l'ai pas sauvé. J'ai seulement réparé mon erreur qui aurait pu lui coûter la vie. Nuance.
Je ne cillais pas face à son regard d'acier et son ton tout aussi glacial.
— Tu te trompes.
Eden ferma les yeux en se pinçant l'arête du nez.
— Tu vois, c'est justement pour cette raison que je veux te montrer mes pouvoirs en action, ce soir, dit-il en essayant de contenir son exaspération. Parce que tu es tellement têtue que tu penses que je ne suis pas capable des pires choses, même quand je te décris tout ce que j'ai fait !
— Je sais ce dont tu es capable, Eden ! répliquais-je. Je sais très bien que tu peux tuer un humain à mains nues, et même un autre Waldren, ce que j'ignorais jusqu'à aujourd'hui, d'ailleurs. Je n'ai pas besoin d'en être témoin pour le comprendre.
Eden secoua la tête, toujours en colère. Je sentis, moi aussi, l'exaspération poindre le bout de son nez.
— Visiblement, si, répliqua-t-il, imperturbable.
— Pourquoi ? Pourquoi tu veux absolument me montrer que tu peux briser un rocher en une pression ou déraciner un arbre rien qu'avec ton petit doigt ? Qu'est-ce que tu attends de cette démonstration, au juste ? m'emportais-je.
— J'attends que tu sois en mesure de savoir si tu es entièrement prête à accepter ce que je suis !
Il avait fait un pas vers moi et je dus relever la tête pour continuer de le regarder.
Ses prunelles avaient une lueur désespérée, tout comme le ton de sa voix grave, ce qui me noua le ventre.
— Mais...j'ai déjà accepté ce que tu es, Eden, répondis-je d'une voix plus calme. Je pensais que tu le savais.
— Non, Wendy. Il y a une différence entre penser que l'on a accepté la chose et réellement l'accepter parce qu'on est pleinement conscient de ce que cela implique.
Son ton s'était fait plus doux mais je sentais qu'il était toujours sur la défensive.
— Je n'ai pas envie qu'un jour, tu me vois perdre le contrôle et que tu te rendes compte que tu ne peux pas le supporter, me murmura-t-il doucement en me caressant la joue du bout des doigts.
Je restais coite devant son aveu et me mis à réfléchir. Je devais bien admettre que lors de ses récits sur ce qu'il avait fait, je n'avais pas complètement réussi à l'imaginer commettre les actes qu'il me détaillait. J'avais beaucoup de mal à l'imaginer tuer des humains et leur arracher le coeur. Je savais que ce qu'il me disait était vrai. Je savais qu'il en était capable. Mais je ne parvenais pas à me l'imaginer mentalement. Pour moi, Eden n'était pas ce genre de personne. Il l'avait peut-être été, dans une très longue vie, mais il ne l'était plus. Cela m'avait suffi jusqu'à présent.
Mais maintenant qu'il se tenait devant moi, désireux de me montrer les aspects les plus sombres de son être, je me rendais compte qu'il avait raison.
Je devais prendre conscience de ses capacités de manière concrète. Il était important que je le vois dès à présent afin de ne pas me retrouver complètement choquée si cela devait arriver sans crier gare.
Même si cette idée ne m'enchantait pas, il n'était pas uniquement question de moi, en vérité. Eden avait besoin de cela pour être rassuré. Cela lui coutait sûrement énormément de me montrer jusqu'où allait ses pouvoirs, mais il se sentait obligé de me le révéler pour ne rien devoir me cacher.
J'avais longtemps bataillé pour le convaincre de me faire confiance en me parlant de lui à coeur ouvert, et aujourd'hui qu'il le faisait réellement et de manière la plus honnête possible, je ne pouvais pas lui dire d'arrêter. Je ne le voulais pas. J'avais besoin qu'il me fasse confiance et qu'il continue de m'en apprendre davantage sur lui et sur cette malédiction qui faisait partie de lui. Quoiqu'il en coûte. Et si la seule
manière de lui prouver que je l'acceptais entièrement était d'assister à la démonstration de ses pouvoirs, j'étais prête à le faire. Je savais d'avance que cela n'allait rien changer à ce que je ressentais pour lui.
— Je comprends, chuchotais-je. Je serais là ce soir et j'assisterais à tout ce que tu as à me montrer, sans détourner les yeux.
Je vis le soulagement détendre ses traits et un petit soupir lui échappa.
— Merci. Tu n'imagines pas comme c'est important pour moi. Même si je ne te cache pas que je suis extrêmement tendu et angoissé à l'idée de ce que tu vas bien pouvoir penser de moi.
Je tendis la main vers son visage et la déposais sur sa joue. Il ferma brièvement les yeux.
— La vérité à un coeur tranquille, lui soufflais-je.
Je vis un petit sourire se dessiner sur ses lèvres.
— La vérité peut s'avérer dangereuse, par moment, dit-il en rouvrant les yeux.
Je continuais de lui caresser la joue tendrement, tandis que ses yeux émeraudes me regardaient intensément.
— Je ne supporte pas l'idée que je puisse t'effrayer, chuchota-t-il, la voix pleine d'inquiétude. Tu n'imagines pas comme je me détesterais si c'était le cas.
— Jamais tu ne pourras m'effrayer, Eden. Quoique tu aies fait, quoique tu puisses faire, je sais que tu ne le ferais jamais par simple plaisir, comme ce traqueur qui s'en ai pris à Lina. Tu n'es pas comme ça et tu ne le seras jamais. Ton coeur est bon, je le sais.
Il soupira lentement en fermant les paupières mais ne chercha pas à me contredire.
Je sentis son corps se détendre sous mes caresses.
— Je prends le plus gros risque de ma vie, ce soir, dit-il les yeux toujours clos. Je sais qu'il y a de fortes chances pour que tu ne veuilles plus me voir et que tout s'arrête.
Mon coeur se serra dans ma poitrine. J'aurais tellement aimé qu'il me fasse confiance et qu'il ne doute pas de moi à ce point. Même si je savais que ce n'était pas vraiment en moi qu'il n'avait pas confiance, mais plutôt en lui.
— Tant que tu seras honnête avec moi, je ne pourrais que t'aimer davantage.
Il rouvrit les yeux et je fus happée par la profondeur de ses prunelles. Il se pencha vers moi et ses lèvres atterrirent sur les miennes avec une infinie tendresse. Ses bras se refermèrent autour de ma taille, m'attirant davantage vers lui, pour mon plus grand plaisir.
Tandis que je me délectais de la sensation que me procurait ce baiser, je ne pus m'empêcher de me dire qu'il était désormais impossible que je m'éloigne de cet homme. J'avais l'impression que mon âme s'était attachée à la sienne avec une telle rapidité, une telle force, qu'il était impossible de nous séparer. Cette pensée suffit à éliminer les quelques craintes qui s'étaient réveillées en vue de ce à quoi je
m'apprêtais à assister, ce soir.P.S : 🌟 merci de cliquer sur la petite étoile en bas du chapitre si vous avez aimé 🌟
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Anmore Cove
ParanormalA dix-huit ans, Wendy décide de partir vivre avec son oncle qui lui a trouvé un stage dans la librairie de sa ville, Anmore Cove. Encore marquée par l'abandon de son père quand elle avait six ans, la jeune fille voit dans ce changement l'échappatoir...