2 a.m
Quand on a un accident ou qu'on est pris d'une forte poussée de fièvre, on va aux urgences et s'en suit de longues heures d'attente, priant pour qu'il n'y est pas plus grave que nous le même soir. Après tout, il y a assez de jours dans la semaine pour ne pas tomber sur quelqu'un qui a chuté de son toit parce qu'il voulait enlever les guirlandes de noël alors que nous sommes le 1er mars. Alors on croise les doigts. Avec la température extérieure et un peu de chance, les seules personnes qui traversent les portes automatiques seront atteintes d'une gastro foudroyante.
Tout espoir disparait quand, dans le silence gênant de l'ennuie des urgences, un imprévu tonitruant accède à nos tympans. Un battement d'hélice. Vous ne pouvez pas confondre avec une forte bourrasque parce que ce matin, la météo n'a pas prévu d'orage. Pour une fois que vous avez décidé d'écouter les informations dans votre voiture en allant au travail, on vous enlève l'espoir. Mais peu défaitiste et surtout très mal en point, vous espérez.
Peut-être que Katrina, Aurore ou Barbie, Dieu seul sait comment ils vont l'appeler cette fois, va emporter New York sous une déferlante de neige. Vous en êtes tellement convaincue que vous imaginez déjà votre journée du lendemain. Dans votre meilleur pyjama pilou pilou et un chocolat chaud, pas besoin d'aller récupérer les enfants à l'école parce qu'ils dorment tranquillement au bout du couloir. Pas besoin d'appeler votre patron en faisant semblant d'avoir attrapé la grippe, parce que les routes seront impraticables.
Un fort enthousiasme s'éveille en vous, finalement, vous avez bien fait d'aller aux urgences ce soir. Un peu comme une bande annonce de votre vie, une sensation d'être médium vous engourdit les doigts. Que va dire votre femme quand, le torse bombé, vous lui direz que vous l'aviez deviné ? Vous rajouterez qu'aujourd'hui, vous passerez la journée sous la couette tout en fanfaronnant et en blaguant sur la possibilité de changer de vocation.
Malheureusement, New York est bien plus grand que vous l'espériez et ce n'est pas un début de Déborah, le futur ouragan, mais bel et bien le bruit d'un hélicoptère qui se pose sur le toit de l'hôpital pour une intervention impérieuse et vous savez. Vous allez passer la nuit aux urgences et on va se rendre compte que vous avez simplement la diarrhée, parce que c'est vous, la personne qui a une gastro foudroyante. Vous savez aussi qu'on vous donnera de quoi tout plâtrer et que demain vous devrez tout de même aller au bureau après avoir passé une nuit blanche aux urgences.
- A quoi tu penses ?
Je sursaute et dévie mon regard des lumières bleues et rouges de l'hélicoptère en face de moi. J'ai fixé tellement longtemps le véhicule que j'ai les yeux qui brûlent. Nolan s'est déplacé sans que je ne le vois. Il s'est installé sur le transat à côté de moi et semble réfléchir.
- A rien.
Je tourne la tête de droite à gauche pour soutenir mes propos et je le remercie silencieusement de ne pas plus chercher à comprendre. Le silence qu'il m'a accordé il y a une heure semble enfin le gêner. Je sais bien qu'il veut parler de la soirée mais moi, je ne suis pas sûr de vouloir rien que d'y penser. La sérénité m'a enveloppé de son épaisse couverture et je ne veux pas la quitter.
Malheureusement pour moi, mon colocataire n'a pas l'air du même avis. Sa posture assise, les genoux dirigés vers moi, les coudes adossés dessus et la tête posée sur ses poings sont tout autant d'indice qu'il s'est décidé à briser le silence. Son regard est bloqué sur moi tandis que ses sourcils sont froncés, tellement qu'ils pourraient se rejoindre.
- J'ai merdé hein ?
C'est à mon tour de froncer les sourcils. Ça ressemble bizarrement à des excuses, enfin, dans le langage de Nolan ça y ressemble. Je ne sais pas quoi faire de cette information. Il m'a beaucoup déçu. Mais d'un autre côté, il est l'une des rares personnes qui ne me prend pas pour une folle. Pour lui, ce rencard était quelque chose de lambda alors que pour moi, c'était un échappatoire à ma réalité. Un semblant de vie normale. Pourtant, je ne peux m'empêcher d'avoir une pointe douloureuse dans le cœur.
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Existence - Tome 1 [TERMINEE]
RomanceJameelyne, jeune femme de 26 ans, quitte sa campagne natale pour vivre à New York dans une colocation de cinq personnes. Perdue et brisée, elle va chercher à définir son Existence. Elle va tomber et se relever, se découvrir et se perdre. Dans cette...